3.1.4. Portée sur le verbe et sur son complément

Nous avons vu précédemment que les circonstants qui portent sur le sujet et son verbe ont une incidence de type intra-prédicatif qui a en quelque sorte un certain rayonnement à gauche du verbe. Nous allons étudier maintenant une autre catégorie de circonstants de manière dont l’incidence rayonne à droite.

Le circonstant est incident au verbe et à son complément d’objet. Ils sont souvent appelés des adverbiaux d’objet-manière. Ils sont paraphrasés par : verbe + adverbe + complément → prédicat nominalisé est adj. 1 . Ces adverbes sont plus compatibles avec un objet effectué 2 , celui qui désigne un référent qui accède à l’existence au travers du procès signifié par le verbe qu’avec un objet affecté, celui qui désigne un référent qui préexiste à l’action verbale.

Ainsi dans (591) ci-dessous, les sourcils étaient douloureux à chaque fois que Mme Dambreuse essaie de les froncer. Mais dans (592), l’objet, la femme, préexiste à l’action verbale, il est simplement affecté par cette action. Il ne sera plus tenu comme un circonstant intra-prédicatif de manière car il sera considéré comme un adverbe qui exprime la quantité.

‘591. Dès qu'on parlait d'un malade, elle fronçait les sourcils dou­loureusement, et prenait un air joyeux s'il était question de bals ou de soirées. (ES, p. 206.)’ ‘592. Son mari l’avait abondamment battue. (Arland, cité par Guimier, 1996, p. 55.)’ ‘593. […] et avec les fauteuils et les chaises on fit un large demi‑cercle autour de la cheminée M. Gamblin lui demanda immédiatement 3 son opinion sur Mme Lafarge. (ES, p. 60.)’

Les paraphrases proposées pour ce type de circonstants ont la fonction de rendre compte de la valeur et du sens du circonstant. Dans (591), le froncement des sourcils était douloureux, ses sourcils (lorsqu’elle les fronçait) étaient douloureux. Dans (593), la demande que fait M. Gamblin est immédiate et l’opinion (qu’il demande) est immédiate.

Selon Guimier, les adverbes de manière orientés vers l’objet sont compatibles avec les verbes de perception car la qualité de la perception détermine les propriétés de l’objet perçu.

‘594. Elle aimait les voyages, le bruit du vent dans les bois, et à se promener tête nue sous la pluie. Frédéric écoutait ces choses délicieusement, croyant voir un abandon d'elle-même qui commençait. (ES, p. 224.)’

Paraphrase : les choses que Frédéric écoutait étaient délicieuses.

Toutefois, nous pouvons donner un contre-exemple où le circonstant porte bel et bien sur le verbe de perception regarder, mais qui n’est pas du tout un circonstant orienté vers l’objet, c’est plutôt un circonstant de manière orienté vers le verbe est son sujet :

‘595. Chaque mot qui sortait de sa bouche semblait à Frédéric être une chose nouvelle, une dépendance exclu­sive de sa personne. Il regardait attentivement les effilés de sa coiffure, caressant par le bout son épaule nue ; et il n'en détachait pas ses yeux, il enfonçait son âme dans la blan­cheur de cette chair féminine ; cependant, il n'osait lever ses paupières, pour la voir plus haut, face à face. (ES, pp. 107-108.)’

Paraphrase : Frédéric est attentif, son regard est attentif.

Les circonstants intra-prédicatifs orientés vers l’objet sont aussi compatibles avec les locutions verbales du type avoir tort, faire plaisir à quelqu’un, faire chaud / froid, faire campagne,… etc. ainsi qu’avec la phrase attributive dans laquelle l’adverbe porte sur l’attribut nominal 4 .

‘596. Le vieillard fut médiocrement 5 aimable. C'étaient de perpétuelles comparaisons entre Le Havre et Nogent, dont il trouvait l'air lourd, le pain mauvais, les rues mal pavées, la nourriture médiocre et les habitants des paresseux. (ES, p. 163.)’

Paraphrase : l’amabilité du vieillard est médiocre.

‘597. Quand l'enthousiasme de Rosanette pour les gardes mobiles' se fut calmé, elle redevint plus charmante que jamais, et Frédéric prit l'habitude insensiblement de vivre chez elle. (ES, p. 467.)’

Paraphrase : La prise de l’habitude de vivre chez Rosanette devient insensible pour Frédéric.

Notes
1.

Cf. Guimier, 1996, p. 55.

2.

Ibid., p. 55.

3.

Ce circonstant a bien évidemment un effet de sens principal qui exprime le temps. Il est un adverbe anaphorique qui fait référence au moment de l’énonciation. Notons que le déplacement de ce circonstant avant le verbe et après le sujet, va lui donner le sens d’un circonstant de temps qui établit la connexion avec l’énoncé précédent. Il sera alors égal à brusquement, brutalement, rapidement,…etc.

4.

Cf. Gumier, 1996, p. 56 et suiv.

5.

Le circonstant porte ici sur la relation attributive et non sur le seul attribut. Pour une étude plus détaillée sur ce genre de circonstant on se reporte à l’article de Claude Guimier, « Les circonstants en phrase attributive », in Guimier, 1993.