4.2. Les circonstants intra-prédicatifs de temps et de lieu

Les circonstants intra-prédicatifs de temps et de lieu ne changent pas de portée qu’ils soient dans la phrase active ou dans la phrase passive. Ils portent toujours sur le verbe de l’énoncé :

‘613. Vers le commencement de cet hiver, Frédéric et Deslau­riers causaient au coin du feu, réconciliés encore une fois 1 , par la fatalité de leur nature qui les faisait toujours se rejoindre et s'aimer. (ES, p. 547.)’

La phrase active peut être la suivante :

‘(613a) Vers le commencement de cet hiver, Frédéric et Deslau­riers causaient au coin du feu, la fatalité de leur nature les avait réconciliés encore une fois.’

Le groupe de circonstants encore une fois est donc incident au verbe dans les deux cas. Mais si l’on entre dans la structure de ce circonstant, on peut noter le rôle que joue l’adverbe encore. C. Fuchs dans ses recherches sur l’adverbe encore, a constaté une différence dans le comportement de cet adverbe avec les autres circonstants de temps qui se trouvent avec lui dans l’énoncé :

‘« Il y a […] convergence des indices temporels et aspectuels quand, encore étant à gauche du CT (un circonstant contigu), le verbe construit des occurrences discontinues de procès par son sémantisme propre (accomplissement ou achèvement) et par sa conjugaison (temps composé) ; ou à l’inverse, quand, encore étant à droite du CT, le verbe construit un procès continu par son sémantisme propre (état ou activité) et par sa conjugaison (temps imparfait) » 2 .’

Nous allons essayer de démêler cette différence. On peut considérer tout d’abord que la position de encore à gauche du circonstant (une fois) dans l’exemple précédent fait avec lui un adverbe paradigmatisant qui le sélectionne parmi tout un paradigme 3 d’occurrences (une fois, deux fois, trois fois, etc.). C’est avec cet adverbe seulement que le procès peut voir le jour.

Mais dans le cas où encore est à droite de l’autre circonstant, il fait avec le procès, qui prend l’aspect d’une action continue, une sorte de paradigme qui se répète. C’est-à-dire que le groupe (lecirconstant + encore + le verbe) peut bien se répéter avec un autre circonstant du même type, à savoir (trois fois encore, plusieurs fois encore,…etc.). Bref, dans les deux cas, les deux circonstants se comportent comme un seul circonstant intra-prédicatif.

Dans l’exemple suivant, le circonstant de lieu est bel et bien intra-prédicatif. Le déplacement nous semble inacceptable mais n’est pas totalement impossible surtout sous l’effet d’une thématisation dans la position initiale ou avant le verbe :

‘614. Le répétiteur avait été congédié de son troisième pen­sionnat pour n'avoir point voulu de distribution de prix, usage qu'il regardait comme funeste à l'égalité. (ES, p. 212.)’ ‘(614a) ? Le répétiteur, de son troisième pen­sionnat, avait été congédié pour n'avoir point voulu de distribution de prix, usage qu'il regardait comme funeste à l'égalité.’ ‘(614b) ?? De son troisième pen­sionnat, le répétiteur avait été congédié pour n'avoir point voulu de distribution de prix, usage qu'il regardait comme funeste à l'égalité.’

Il nous semble que dans (614a), le déplacement avant le verbe peut être rendu acceptable dans la seule mesure où il donne un grand poids de relief au lieu où se passe l’action. Le circonstant n’est pas très loin du verbe car sa présence près du verbe complète la compréhension de celui-ci. C’est le contraire de ce qui se passe dans (614b) où le circonstant est assez loin du verbe.

Notes
1.

Précisons que le groupe (encore + une fois) ou sa variante (une fois + encore) constitue un groupe qui se comporte comme un circonstant de temps authentique qui porte sur le verbe de l’énoncé.

2.

C. Fuchs, « Position, portée et interprétation des circonstants : encore et les circonstants de localisation temporelle » in : C. Guimier, 1993, p. 272. Les soulignements sont de nous.

3.

Voir sur cette notion, ici-même, 1ère partie, chap. IV, l’approche de H. Nølke.