3.2. Le circonstant du sujet-phrase orienté vers le prédicat (les adverbes de volonté)

Ce groupe de circonstants comporte les circonstants du type : (in)volontairement, instinctivement, machinalement, (in)consciemment, délibérément, intentionnellement, accidentellement, sciemment, etc. De par leur nom, ces circonstants ont des relations spécifiques avec le sujet de l’énoncé où ils figurent. Ils partagent à peu près les mêmes caractéristiques syntaxiques que celles des circonstants du sujet-phrase orientés vers le sujet. Mais la seule différence qui sépare ces deux groupes de circonstants, c’est que dans le cas des circonstants qui expriment la volonté du sujet « les adjectifs à partir desquels ils sont dérivés ne sont pas prédicables du sujet » :

‘671. Volontairement, instinctivement, machinalement, Pierre porta la main à son front. (* Pierre est volontaire, instinctif, machinal) 1 .’

Il est à ajouter à cette considération sémantique, qu’une deuxième différence d’ordre syntaxique peut distinguer cette classe. D’abord, si nous considérons les circonstants du sujet-phrase orientés vers le sujet, nous constatons que dans la phrase affirmative, ces circonstants peuvent connaître deux modes de fonctionnement différents aussi bien sur le plan sémantique que sur le plan syntaxique :

‘672. Marie conduit prudemment.’ ‘673. Prudemment, Marie conduit.’

Sur le plan sémantique, (672) signifie soit que Marie, aujourd’hui, conduit prudemment, soit qu’elle est toujours une bonne conductrice. Mais dans (673), le circonstant extra-prédicatif commente ce qui, dans les circonstances particulières où se trouve Marie, l’a incitée à conduire ainsi. Dans le cas des circonstants qui expriment la volonté, l’emploi intra-prédicatif et l’emploi extra-prédicatif ne correspondent pas, dans la plupart des cas, à des différences sémantiques bien remarquables :

‘674. Marie a arrêté la voiture volontairement 2 . ’ ‘675. Volontairement, Marie a arrêté la voiture.’

Mais ce n’est pourtant pas le cas au niveau de leur incidence syntaxique. Le circonstant est incident au prédicat dans (674) et à la phrase et son sujet dans (675). Pour rendre compte de ces deux emplois, Guimier (1996 : 98) propose de tourner ces deux énoncés au passif et de leur faire subir le test de la négation. Il en résulte, au passif, qu’en (674), seul le verbe de discoursarrêter volontairement est passivé. Mais dans (675), cette tournure n’est pas possible car seul le verbe arrêter est passivé et la phrase aura un sujet non animé qui est incompatible sémantiquement avec le circonstant du sujet-phrase :

‘(674a) La voiture a été arrêtée volontairement par Marie. ’ ‘(675a)*Volontairement, la voiture a été arrêtée.’

Ensuite, la négation de ces deux énoncés met en valeur aussi bien la différence au niveau sémantique qu’au niveau syntaxique :

‘(674b) Marie n’a pas arrêté la voiture volontairement. ’ ‘(675b) Volontairement, Marie n’a pas arrêté la voiture.’

Dans (674b), le circonstant est bel et bien en mode intra-prédicatif car il est sous la portée de la négation. La volonté de Marie n’est pas donc en cause. On peut comprendre que : Marie était peut-être sur le passage de la voiture, ce qui a contraint le chauffeur à stopper son véhicule. Dans (675b) par contre, le circonstant est en mode extra-prédicatif. Il met en cause la volonté de Marie et caractérise les circonstances qui l’ont conduite à faire son choix de ne pas arrêter la voiture.

Les circonstants qui expriment l’absence de volonté du sujet, comme involontairement, machinalement, délibérément, …etc., dénotent le fait que le sujet entre dans son procès sans faire intervenir sa propre volonté.

‘676. Frédéric n'entendait plus. Il regardait machinalement, par‑dessus la haie, dans l'autre jardin, en face. (ES, p. 156.)’ ‘(676a) Machinalement, il regardait, par‑dessus la haie, dans l'autre jardin, en face.’ ‘677. En même temps qu'il passait, elle leva la tête ; il fléchit involontairement les épaules ; et, quand il se fut mis plus loin, du même côté, il la regarda. (ES, p. 153.)’ ‘(677a) […] involontairement, il fléchit les épaules ; et, quand il se fut mis plus loin, du même côté, il la regarda.’ ‘678. Les paroles rappelèrent à Frédéric celles que chantait l'homme en haillons, entre les tambours du bateau. Ses yeux s'attachaient involontairement sur le bas de la robe étalée devant lui. Après chaque couplet, il y avait une longue pause, ‑ et le souffle du vent dans les arbres res­semblait au bruit des ondes. (ES, p. 129.)’ ‘(678a) Involontairement, ses yeux s'attachaient sur le bas de la robe étalée devant lui.’

Dans (676), (677) et (678) le circonstant est intra-prédicatif, il caractérise le noyau verbal et secondairement son sujet. Mais dans (676a), (677a) et (678a), le circonstant est extra-prédicatif et montre dans quelle condition le sujet est engagé dans son procès. Plus exactement, « Il commente le passage à l’acte, mais ne dit rien de la nature de cet acte lui-même » 3 .

Dans le cas où le circonstant intervient avec un procès à valeur inchoative, il s’emploie, dans la plupart des cas, extra-prédicativement et à ce moment-là il peut figurer soit en position initiale soit en position post-verbale. Il exprime alors les conditions dans lesquelles se déclenche le procès en soulignant l’absence totale de la volonté de son sujet :

‘679. ‑ « Ah ! à propos, mon notaire a été ce matin chez le vôtre, pour cette inscription d'hypothèque. C'est ma femme qui me l'a rappelé. »
- « Une femme de tête ! » reprit machinalement Frédéric. (ES, p. 270.)’ ‘680. Il se mit à son pupitre machinalement et dirigea machinalement l’orchestre. (Balzac, cit. Guimier, p. 102.)’

Dans (679), la brièveté et la soudaineté de l’action orientent le circonstant vers l’interprétation extra-prédicative. On peut comprendre que Frédéric répond d’une façon non délibérée et sans réflexion. Dans (680), le procès a aussi une valeur inchoative. Le premier machinalement peut être glosé par de façon non délibérée, par automatisme alors que le deuxième qualifie les modalités de l’action : il dirige l’orchestre comme une machine.

C’est un véritable circonstant de manière verbal. On peut retrouver la même interprétation dans (681) : cette personne buvait les petits verres, coup sur coup, comme le fait une machine :

‘681. Ses yeux pétillaient sous ses lunettes, il s'exaltait et buvait des petits verres, coup sur coup, machinalement. (ES, p. 264.)’

Mais si on manipule légèrement cet exemple en déplaçant le circonstant avant le verbe, il aura la même interprétation qu’en (679) :

‘(681a) Ses yeux pétillaient sous ses lunettes, il s'exaltait et machinalement, il buvait des petits verres, coup sur coup.’

Dans ce dernier énoncé, le circonstant répartit les actions faites par le sujet en des actions conscientes et des actions non conscientes. Ce qu’il fait consciemment c’est de s’exalter. Mais il buvait des petits verres inconsciemment et de façon non délibérée.

Notes
1.

Ibid., p. 97.

2.

Nous pouvons dire qu’avec une légère pause après le verbe dans cet exemple, à l’oral, le circonstant aurait pu avoir le même sens qu’en (675).

3.

Guimier, 1996, p. 100.