3.4. Le circonstant de sujet-phrase et l’adverbe de phrase

Il faut noter qu’il y a des points communs entre le circonstant de sujet-phrase et l’adverbe de phrase appréciatif (du type de heureusement par exemple) comme la portée sur la phrase tout entière et la compatibilité avec le test de la négation. Cette concordance est généralement perçue au niveau syntaxique mais il n’en est rien, pourtant, au niveau sémantique.

‘690. Prudemment, Marie n’a pas répondu à la question de Pierre.’ ‘691. Heureusement, Marie n’a pas répondu à la question de Pierre.’

Dans les deux cas, le circonstant exprime une appréciation émanant du locuteur au moment de la production de son énoncé. Ce qui explique le temps de la paraphrase correspondante au présent, quel que soit le temps dans l’énoncé de départ.

‘692. Prudemment, Marie répondra. [Marie répondra, ce qui est (* ? sera) prudent de sa part].’ ‘693. Heureusement, Marie a répondu. [Il est heureux que Marie ait répondu].’ ‘694. Heureusement, Marie répondra. [Il est heureux que Marie réponde].’

Néanmoins, la seule différence au niveau syntaxique est évoquée par Nøjgaard (1995). Il s’agit de l’impossibilité du circonstant de sujet-phrase de figurer à la tête d’une phrase clivée. Ce qui n’est pas le cas avec un adverbe de phrase :

‘695. *Prudemment, c’est Marie qui a refusé.’ ‘696. Évidemment / Malheureusement, c’est Marie qui a refusé.’

Pour Guimier, il y a quand même quelques points de différence au niveau du sens. Le circonstant dans (692) est endophrastique car il peut avoir comme paraphrase possible : Marie a été prudente. Il y a aussi deux raisons qui peuvent expliquer que le circonstant fait partie du contenu référentiel de la phrase :

(1) Le temps utilisé dans l’énoncé de départ peut être le même que celui de la paraphrase correspondante, ce qui montre que le circonstant appartient à la situation référentielle de la phrase :

‘697. Prudemment, Marie répondra. [Marie sera prudente].’

(2) Le circonstant a une valeur causale qui commente l’engagement du sujet dans son énoncé, ce qui en fait un élément indispensable à la phrase. C’est parce que « sans la prudence de Marie, la situation <Marie / répondre> n’accéderait pas à la réalité, ne serait pas une donnée du monde référentiel » 1 .

(3) La dernière différence au niveau du sens est évoquée par Guimier 2 . Elle peut être perçue à l’aide des différentes paraphrases évoquées pour les deux exemples suivants :

‘698. Malheureusement, Marie a répondu.’ ‘699. Prudemment, Marie a répondu.’

Le premier exemple est paraphrasé par :

(1) Marie a répondu, ce qui est malheureux.

(2) C’est malheureux que Marie ait répondu.

(3) Le fait que Marie ait répondu est malheureux.

(4) *Que Marie ait répondu a été malheureux de sa part.

(5) *L’action (le comportement) de Marie est malheureuse.

(6) *Répondre a été malheureux (de la part de Marie).

Mais le deuxième exemple a pour paraphrases :

(1) Marie a répondu, ce qui est prudent.

(2) *C’est prudent que Marie a / ait répondu.

(3) *Le fait que Marie ait répondu est prudent.

(4) Que Marie ait répondu a été prudent de sa part.

(5) L’action (le comportement) de Marie a été prudente.

(6) Répondre a été prudent (de la part de Marie)

Ces différentes paraphrases montrent bien que l’adverbe de phrase évaluatif du type heureusement ou malheureusement, porte le regard du locuteur sur son énoncé sans rien caractériser du contenu référentiel de la phrase et sans même qu’il soit lui-même un élément de ce contenu. Mais le circonstant de sujet-phrase, bien qu’il porte lui aussi le regard du locuteur, fait partie de ce contenu référentiel dans la mesure où il caractérise le sujet, le procès ainsi que les conditions de la mise en œuvre de celui-ci. D’où l’appellation d’endophrastique souvent connu pour ce type de circonstant.

Notes
1.

Guimier, 1996, p. 87.

2.

Ibid., p. 86.