2.2. Les circonstants qui expriment un espace mouvant ou un mouvement dans l’espace

Nous constatons que dans l’Éducation sentimentale, les personnages se déplacent constamment d’un lieu à un autre. Ces déplacements peuvent être au cours des promenades, des voyages, des sorties ou des rencontres. À chaque déplacement, l’espace nous est décrit en détail. Malgré ce souci de transmettre tous les détails qui concernent un lieu, il arrive parfois que l’espace nous soit décrit comme étant en mouvement :

‘« Un jeune homme de dix‑huit ans, à longs cheveux et qui tenait un album sous son bras, restait auprès du gouver­nail, immobile. À travers le brouillard, il contemplait des clochers, des édifices dont il ne savait pas les noms ; puis il embrassa, dans un dernier coup d'oeil, l'île Saint‑Louis, la Cité, Notre‑Dame ; et bientôt, Paris disparaissant, il poussa un grand soupir ». (ES, p. 49.)’ ‘« La rivière était bordée par des grèves de sable. On ren­contrait des trains de bois qui se mettaient à onduler sous le remous des vagues, ou bien, dans un bateau sans voiles, un homme assis pêchait ; puis les brumes errantes se fondirent, le soleil parut, la colline qui suivait à droite le cours de la Seine peu à peu s'abaissa, et il en surgit une autre, plus proche, sur la rive opposée ». (ES, p. 50.)’

Notons qu’à chaque fois que l’espace nous est décrit en mouvement, il y a un autre mouvement des personnages dans l’espace. Dans le premier exemple, les clocher, les édifices, Notre-Dame, la Cité, Paris ne sont en mouvement que parce que celui qui les décrit est lui-même en mouvement. Dans le deuxième exemple et en dépit du fait que l’homme qui  pêchait  est assis, le bateau sans voile est vu en mouvement par des actants qui sont en mouvement. L’emploi du verbe ren­contrait est ici très significatif.

Mais il faut distinguer le cas où les circonstants expriment un mouvement dans l’espace. Il y a les circonstants qui expriment le lieu où l’on va :

‘« Elle baissa ses beaux yeux d'une façon discrète et rési­gnée. Frédéric avait un plan. Il espérait que, grâce à la pluie ou au soleil, il pourrait la faire s'arrêter sous une porte, et qu'une fois sous la porte, elle entrerait dans la maison. Le difficile était d'en découvrir une convenable. Il se mit donc en recherche, et, vers le milieu de la rue Tronchet, il lut de loin, sur une enseigne : Appartements meublés ». (ES, p. 375.)’ ‘« Quelquefois, l'espoir d'une distraction l'attirait vers les boulevards. Après de sombres ruelles exhalant des fraîcheurs humides, il arrivait sur de grandes places désertes, éblouis­santes de lumière, et où les monuments dessinaient au bord du pavé des dentelures d'ombre noire ». (ES, p. 128.)’ ‘« Il arriva dès deux heures au bureau du journal. Au lieu de l'attendre pour le mener dans sa voiture, Arnoux était parti la veille, ne résistant plus à son besoin de grand air. Chaque année, aux premières feuilles, durant plusieurs jours de suite, il décampait le matin, faisait de longues courses à travers champs, buvait du lait dans les fermes, batifolait avec les villageoises, s'informait des récoltes, et rapportait des pieds de salade dans son mouchoir. Enfin, réalisant un vieux rêve, il s'était acheté une maison de campagne ». (ES, pp. 144-145.)’

Les longues courses appellent donc un mouvement dans l’espace. Il y a aussi les circonstants qui expriment le lieu où l’on est :

‘« Les cordons étaient tenus par quatre personnages : un questeur de la Chambre des dépu­tés, un membre du conseil général de l'Aube, un délégué des houilles, ‑ et Furnichon, comme ami. La calèche du défunt et douze voitures de deuil suivaient. Les conviés, par derrière, emplissaient le milieu du boulevard ». (ES, p. 490.)’

Mais dans cet exemple, l’espace décrit : le milieu du boulevard est mis en perspective par rapport aux personnages qui devancent le cortège, qui, à son tour, est en plein mouvement. Le circonstant de lieu par derrière se rapporte donc aux gens de cortège. Il faut distinguer aussi le cas où les circonstants expriment un mouvement du regard :

‘« Le bateau pouvait s'arrêter, ils n'avaient qu'à descendre ; et cette chose bien simple n'était pas plus facile, cependant, que de remuer le soleil ! Un peu plus loin, on découvrit un château, à toit pointu, avec des tourelles carrées. Un parterre de fleurs s'étalait devant sa façade ; et des avenues s'enfonçaient, comme des voûtes noires, sous les hauts tilleuls ». (ES, p. 56.)’ ‘« Frédéric, n’y tenant plus, partit. Mais la barrière du passage était close. Il fallut attendre que deux convois eussent défilé.
Enfin il se précipita dans la campagne. La verdure monotone la faisait ressembler à un immense tapis de billard. Des scories de fer étaient rangées, sur les deux bords de la route, comme des mètres de cailloux. Un peu plus loin, des cheminées d'usine fumaient les unes près des autres ». (ES, p. 279.)’

Nous croyons qu’il y a trois procédés stylistiques essentiels qui sont à l’origine de cette expression du mouvement dans l’espace chez Flaubert.