2.2.1. L’aspect et le sémantisme du verbe

L’aspect verbal et le sémantisme des verbes employés dans la phrase où figure le circonstant peuvent créer une impression de mouvement et de dynamisme dans l’espace. Ainsi dans l’exemple suivant, on est à bord du bateau dans sa route de Paris vers Nogent-Sur-Seine. Le mouvement du bateau est mis en relief par le verbe dynamique (rencontrer) ainsi que par l’aspect inchoatif du verbe (se mettre) au passé simple : les trains de bois qui se mettaient à onduler sous le remous des vagues.

L’espace désigné par le circonstant de lieu (le bateau sans voiles) sera donc lui aussi influencé par ce mouvement. Les personnes qui ont vu le bateau sont en mouvement et le bateau lui-même est en mouvement aussi.

‘« La rivière était bordée par des grèves de sable. On ren­contrait des trains de bois qui se mettaient à onduler sous le remous des vagues, ou bien, dans un bateau sans voiles, un homme assis pêchait ; puis les brumes errantes se fondirent, le soleil parut, la colline qui suivait à droite le cours de la Seine peu à peu s'abaissa, et il en surgit une autre, plus proche, sur la rive opposée ». (ES, p. 50.)’

Dans l’exemple suivant, la phrase suppose d’abord que Frédéric est en train de chercher une maison. Il cherche dans les rues espérant trouver quelque chose (Il se mit donc en recherche). L’espace localisé est la rue Tronchet. Le circonstant de lieu qui exprime le lieu où on va est conforme à ce mouvement (vers le milieu de la rue Tronchet). On peut comprendre donc que Frédéric marchait dans la rue jusqu’à ce qu’il arrive à son milieu. Le sémantisme du verbe et l’aspect inchoatif (il se mit en recherche) créent donc ce dynamisme dans l’espace.

‘« Elle baissa ses beaux yeux d'une façon discrète et rési­gnée. Frédéric avait un plan. Il espérait que, grâce à la pluie ou au soleil, il pourrait la faire s'arrêter sous une porte, et qu'une fois sous la porte, elle entrerait dans la maison. Le difficile était d'en découvrir une convenable. Il se mit donc en recherche, et, vers le milieu de la rue Tronchet, il lut de loin, sur une enseigne : Appartements meublés ». (ES, p. 375.)’

Dans l’exemple suivant, le sémantisme du verbe (surgir) exprime un certain rebondissement ou une apparition inattendue dans l’ombre lors de la promenade de Frédéric dans les rues. Or l’ombre de Frédéric, qui vagabonde dans les rues, est en mouvement lui aussi. Le circonstant de lieu (dans l’ombre) et le sémantisme du verbe (surgissait) donnent une impression de mouvement dans l’espace.

‘« Le conseil de Deslauriers vint à sa mémoire ; il en eut horreur. Alors, il vagabonda dans les rues. Quand un piéton s'avançait, il tâchait de distinguer son visage. De temps à autre, un rayon de lumière lui passait entre les jambes, décrivait au ras du pavé un immense quart de cercle ; et un homme surgissait, dans l'ombre, avec sa hotte et sa lanterne ». (ES, p. 141.)’

L’emploi de la conjonction temporelle quand suivi de deux circonstants de lieu et d’un temps au passé simple qui exprime la précarité de l’action produit une certaine implication entre le temps et l’espace. Cette implication entre temps et espace introduit un subit changement de repères dans la scène. Alors que la parole était celle de Frédéric qui regagnait sa place, le circonstant introduit un changement d’épisode ou un changement d’espace : quand, au balcon, dans la première loge d'avant‑scène, entrèrent une dame et un monsieur.

‘« Il regagnait sa place, quand, au balcon, dans la première loge d'avant‑scène, entrèrent une dame et un monsieur. Le mari avait un visage pâle, bordé d'un filet de barbe grise, la rosette d'officier, et cet aspect glacial qu'on attribue aux diplomates ». (ES, p. 154.)’

Le sémantisme des verbes employés avec les circonstants de lieu dans les trois exemples suivants marque nettement qu’il y a un certain mouvement dans la scène : suivaient, continua, continuèrent. Le circonstant vient donc pour exprimer un mouvement dans l’espace qui semble bouger avec les personnages.

‘« Les cordons étaient tenus par quatre personnages : un questeur de la Chambre des dépu­tés, un membre du conseil général de l'Aube, un délégué des houilles, ‑ et Furnichon, comme ami. La calèche du défunt et douze voitures de deuil suivaient. Les conviés, par derrière, emplissaient le milieu du boulevard ». (ES, p. 490.)’ ‘« Deslauriers, les paupières entre‑closes, regardait au loin, vaguement. Sa poitrine se gonflait […]. Et, tambourinant la charge sur les vitres, il déclama ces vers de Barthélemy […].
‑ « Je ne sais plus le reste ! Mais il est tard, si nous partions ? »
Et il continua, dans la rue, à exposer ses théories ». (ES, p. 185.)’ ‘« Et ils continuèrent à se promener d'un bout à l'autre des deux ponts qui s'appuient sur l'île étroite, formée par le canal et la rivière. Quand ils allaient du côté de Nogent, ils avaient, en face, un pâté de maisons s'inclinant quelque peu ; à droite, l'église apparaissait derrière les moulins de bois dont les vannes étaient fermées ; et, à gauche, les haies d'arbustes, le long de la rive, terminaient des jardins, que l'on distin­guait à peine ». (ES, pp. 66-67.)’

Quant au deuxième procédé qui est à l’origine de ce dynamisme dans l’espace, il s’agit de l’emploi d’indices qui expriment la coordination et le dynamisme temporels. Il s’agit de l’emploi de et dit de mouvement et de puis dans la phrase où figure le circonstant de lieu. C’est ce que nous allons voir maintenant.