3.1. Les circonstants chronologiques

Ce sont des circonstants qui expriment un moment temporel déterminé sur l’axe du temps comme un an (en 1840), un mois (le 15 septembre), un jour (le dimanche), une heure (à huit heures), une minute (après quelques minutes), ….etc.), avant midi, après 15 heures, etc.

Comme nous l’avons déjà vu dans leur représentation de l’espace, les circonstants peuvent être vus selon deux visions différentes. D’abord une vision subjective intimement liée au thème de l’apparition. Nous avons déjà étudié la façon dont s’organise l’espace dans le roman selon une subjectivité romanesque et nous avons montré que Frédéric, tout au long de l’histoire, est conquis par l’espace et les images qui défilent devant lui sur son passage dans la nature.

La conquête de l’espace se fait à travers les différentes apparitions que subit Frédéric tiraillé dans sa vie entre différents sentiments d’attente et d’espoir. Tout ce qui lui arrive est donc de l’ordre de la découverte et de l’aventure. Les circonstants chronologiques ont donc la fonction d’ancrer ces moments dans un temps subjectif lié aux moments de l’apparition des figures qui se présentent, au moins, comme une sorte de récompense psychologique. C’est aussi grâce au regard qui introduit cette dimension subjective dans le roman : le moment daté par les circonstants (les apparitions) est bien un moment de regard :

‘« Frédéric fut blessé dans ses prédilections ; il avait envie de rompre. Pourquoi ne pas hasarder, tout de suite, le mot d'où son bonheur dépendait ? Il demanda au garçon de lettres s'il pouvait le présenter chez Arnoux. La chose était facile, et ils convinrent du jour suivant. Hussonnet manqua le rendez‑vous ; il en manqua trois autres. Un samedi, vers quatre heures, il apparut ». (ES, p. 89.)’ ‘« Et les mêmes discours se répétant jusqu’au soir. Frédéric s'ennuya mortellement.
Sa surprise fut grande, quand, à onze heures, il vit paraître Arnoux, lequel, tout de suite, dit qu'il accourait pour le libérer, son affaire étant finie ». (ES, p. 423.)’ ‘« Ils [Frédéric et Deslauriers] causèrent de leur passé, de l'avenir ; et, de temps à autre, ils se prenaient les mains par‑dessus la table, en se regardant une minute avec attendrissement. […]
Puis le tailleur, lui‑même, vint remettre l'habit auquel il avait donné un coup de fer.
‑ « On croirait que tu vas te marier », dit Deslauriers.
Une heure après, un troisième individu survint et retira d'un grand sac noir une paire de bottes vernies, splen­dides ». (ES, p. 103.)’

Notons donc la part de la subjectivité qui s’exprime plus nettement dans le dernier exemple ci-dessus grâce à l’emploi de l’adjectif qualificatif apposé « splendides ». Mais splendides aux yeux de qui ? Cela peut dépendre soit du point de vue du narrateur soit de celui de ses personnages, en l’occurrence Frédéric et Deslauriers.

Les circonstants chronologiques peuvent aussi exprimer une vision objective qui marque les moments du déroulement des scènes et des actions dans le temps en les inscrivant objectivement sur l’axe du temps. Mais ces moments peuvent exprimer soit une période temporelle bien délimitée soit une période temporelle élargie. Dans le premier cas, on constate que la période est toujours fixée par des bornes définies (le cadre d’une heure, d’un jour ou de quelques minutes).

Mais ce moment peut être un moment objectif ou universel :

‘« Le 15 septembre 1840, vers six heures du matin, la Ville‑de‑Montereau, prèsde partir, fumait à gros tour­billons devant le quai Saint‑Bernard ». (ES, p. 49.)’ ‘« La foule témoignait à son président une grande défé­rence. Il était de ceux qui, le 25 février, avaient voulu l'organisation immédiate du travail ; le lendemain, au Prado il s'était prononcé pour qu'on attaquât l'Hôtel de Ville ; et, comme chaque personnage se réglait alors sur un modèle, l'un copiant Saint‑Just, l'autre Danton, l'autre Marat, lui, il tâchait de ressembler à Blanqui, lequel imitait Robes­pierre ». (ES, p. 408.)’

Il peut être aussi un moment relatif :

‘« Quelquefois, au moment des adieux, Arnoux était pris de fringale. Il « avait besoin » de manger une omelette ou des pommes cuites ; et, les comestibles ne se trouvant jamais dans l'établissement, il les envoyait chercher ». (ES, p. 256.)’ ‘« De temps à autre, elle se penchait un peu, en tournant la tête pour adresser quelques mots à sa petite fille ; et, comme elle souriait alors, une fossette se creusait dans sa joue, ce qui donnait à son visage un air de bonté plus déli­cate.
Au moment des liqueurs, elle disparut ». (ES, p. 107.)’ ‘« À huit heures, le tambour de la garde nationale vint pré­venir M. Arnoux que ses camarades l'attendaient. Il s'habilla vivement et s'en alla, en promettant de passer tout de suite chez leur médecin, M. Colot. À dix heures, M. Colot n'étant pas venu, Mme Arnoux expédia sa femme de chambre. Le docteur était en voyage, à la campagne, et le jeune homme qui le remplaçait faisait des courses ». (ES, p. 380.)’

Il peut être aussi un moment déictique :

‘« Elle emmena Frédéric à l'écart, et lui apprit comment Dussardier avait reçu sa blessure.
Le samedi, au haut d'une barricade, dans la rue Lafayette, un gamin enveloppé d'un drapeau tricolore criait aux gardes nationaux : « Allez‑vous tirer contre vos frères ! » ». (ES, p. 447.)’ ‘« Elle aurait écouté derrière les portes ; elle devait mentir à son confesseur. Par esprit de domination, elle voulut que Frédéric l'accompagnât le dimanche à l'église. Il obéit, et porta le livre ». (ES, p. 509.)’

Mais dans l’autre cas, on ne peut pas déterminer exactement à quel moment sur l’axe du temps l’action s’est déroulée. Les circonstants qui expriment cette valeur approximative sont du type : avant, après, vers + un moment temporel précis :

‘« Les fleurs n’étaient pas flétries. La guipure s'étalait sur le lit. Il tira de l'armoire les petites pantoufles. Rosanette trouva ces prévenances fort délicates.
Vers une heure, elle fut réveillée par des roulements lointains ; et elle le vit qui sanglotait, la tête enfoncée dans l'oreiller ». (ES, p. 384.)’ ‘« Devant la loge du concierge, ils rencontrèrent Martinon, rouge, ému, avec un sourire dans les yeux et l'auréole du triomphe sur le front. Il venait de subir sans encombre son dernier examen. Restait seulement la thèse. Avant quinze jours, il serait licencié. Sa famille connaissait un ministre, « une belle carrière » s'ouvrait devant lui ». (ES, p. 124.)’