3.4. Les circonstants qui expriment l’imminence de l’action

Ce sont des circonstants de temps qui signifient que l’action est imminente et qu’elle va durer très peu de temps. Les circonstants qui expriment cette imminence dans le roman sont du type tout à coup. Il peut figurer en début de phrase suivi ou non d’une virgule :

‘« […] et, comme elle gesticulait beaucoup, sa chaîne de montre se prit dans son paquet de breloques, à un petit mouton d'or suspendu. Tout à coup, Rosanette pâlit extraordinairement ». (ES, p. 418.) ’ ‘« La foule les remplissait. Arnoux, devant lui, descendait l'esca­lier, marche à marche, donnant le bras aux deux femmes. Tout à coup, un bec de gaz l’éclaira. Il avait un crêpe à son chapeau. Elle était morte, peut‑être ? Cette idée tour­menta Frédéric si fortement, qu'il courut le lendemain à L'Art industriel, et, payant vite une des gravures étalées devant la montre, il demanda au garçon de boutique com­ment se portait M. Arnoux. ». (ES, p. 79.)’ ‘« Et la Sphinx buvait de l'eau‑de‑vie, criait à plein gosier, se démenait comme un démon. Tout à coup ses joues s'enflèrent, et, ne résistant plus au sang qui l'étouffait, elle porta sa serviette contre ses lèvres, puis la jeta sous la table ». (ES, p. 199.)’ ‘« Le quai de la gare se trouvant inondé, sans doute, on continua tout droit, et la campagne recommença. Au loin, de hautes cheminées d'usines fumaient. Puis on tourna dans Ivry. On monta une rue ‑, tout à coup il aperçut le dôme du Panthéon ». (ES, p. 172.)’

Rarement, l’imminence exprimée par ce circonstant se trouve modalisée par la présence de quelques adverbes ou de conjonction de coordination du type : puis, mais qui le précèdent en tête de phrase :

‘« Des horizons de volupté tranquille, au bord d'un lac, dans un chalet, se déroulaient sous les pas de la Suissesse, qui valsait le torse droit et les paupières baissées. Puis, tout à coup, la Bacchante, pen­chant en arrière sa tête brune, le faisait rêver à des caresses dévoratrices, dans des bois de lauriers‑roses, par un temps d'orage, au bruit confus des tambourins ». (ES, p. 194.)’ ‘« Elle courut après un fiacre ; Deslauriers la rattrapa. Il marchait près d’elle, en lui parlant avec des gestes expressifs. Enfin elle accepta son bras, et ils continuèrent le long des quais. Puis, à la hauteur du Châtelet, pendant vingt minutes au moins, ils se promenèrent sur le trottoir, comme deux marins faisant leur quart. Mais, tout à coup, ils traversèrent le pont au Change, le marché aux fleurs, le quai Napoléon ». (ES, p. 140.)’

Il arrive parfois que cette imminence de l’action soit rehaussée encore plus par la présence de la conjonction de subordination quand avant le circonstant tout à coup :

‘« On en voulait aux députés comme au Pouvoir. La foule augmentait de plus en plus, quand tout à coup vibra dans les airs le refrain de La Marseillaise ». (ES, pp. 376-377.)’ ‘« Frédéric les suivit. On avait arraché les grilles de l'Assomption. Plus loin, il remarqua trois pavés au milieu de la voie, le commencement d'une barricade, sans doute, puis des tessons de bouteilles, et des paquets de fil de fer pour embarrasser la cavalerie ; quand tout à coup s'élança d'une ruelle un grand jeune homme pâle, dont les cheveux noirs flottaient sur les épaules, prises dans une espèce de maillot à pois de couleur » (ES, p. 387.)’ ‘« Par sa protection cependant, Frédéric obtint un mauvais cabriolet qui, pour la somme de soixante francs, sans compter le pourboire, consentit à le mener jusqu'à la bar­rière d'Italie. Mais, à cent pas de la barrière, son conduc­teur le fit descendre et s'en retourna. Frédéric marchait sur la route, quand tout à coup une sentinelle croisa la baïon­nette ». (ES, p. 444.)’ ‘« Le désespoir de Louise fut immense, l'indignation de Mme Moreau non moins forte. Elle voyait son fils tour­billonnant vers le fond d'un gouffre vague, était blessée dans sa religion des convenances et en éprouvait comme un déshonneur personnel, quand tout à coup sa physio­nomie changea ». (ES, p. 520.)’

Notons que ce même circonstant n’aura pas le même sens dans les positions postverbales. Il a la valeur d’exprimer la rupture avec l’action précédente et d’annoncer l’imminence de l’action qui va suivre. Il exprimera plutôt la survenance du seul procès exprimé dans le verbe qu’il détermine.

‘« Le charme des choses ambiantes se retira tout à coup. Ce qu'il y sentait confusément épandu venait de s'éva­nouir, ou plutôt n'y avait jamais été. Il éprouvait une sur­prise infinie et comme la douleur d'une trahison ». (ES, p. 99.)’ ‘« Elle aurait voulu le battre. Il dit qu'il reviendrait dans la soirée. Bientôt les horribles quintes recommencèrent. Quelque­fois, l'enfant se dressait tout à coup. Des mouvements convulsifs lui secouaient les muscles de la poitrine, et, dans ses aspirations, son ventre se creusait comme s'il eût suffoqué d'avoir couru ». (ES, p. 380.) ’ ‘« Cela commençait sur un rythme grave, tel qu'un chant d'église, puis, s'animant crescendo, multipliait les éclats sonores, s'apaisait tout à coup ; et la mélodie revenait amoureusement, avec une oscillation large et paresseuse ». (ES, p. 108.)’ ‘« Il y avait de longues notes qui semblaient se tenir suspendues ; d'autres tombaient précipitées, comme les gouttelettes d'une cas­cade ; et sa voix, passant par la jalousie coupait le grand silence, et montait vers le ciel bleu. Elle cessa tout à coup, quand M. et Mme Oudry, deux voisins, se présentèrent ». (ES, p. 145.)’ ‘« Dans les premiers embarras de son veuvage, un homme astucieux, M. Roque, lui avait fait des prêts d'argent, renouvelés, prolongés malgré elle. Il était venu les réclamer tout à coup ; et elle avait passé par ses conditions, en lui cédant à un prix dérisoire la ferme de Presles ». (ES, p. 155.)’

L’adverbe bientôt exprime cette valeur de l’imminence de l’action. Il peut figurer lui aussi en tête de phrase suivi ou non par un signe de ponctuation. Mais à la différence de tout à coup qui exprime une rupture avec ce qui précède, bientôt exprime en quelque sorte une imminence déjà prévue pour l’action. Dans la plupart des cas, cet adverbe est un signe du point de vue du narrateur qui intervient dans le récit :

‘« L'expression bouleversée de sa figure l'arrêta. Puis il fit un pas. Mais elle [Mme Arnoux] se reculait, en joignant les deux mains.
‑ « Laissez‑moi ! au nom du ciel ! de grâce ! »
Et Frédéric l'aimait tellement, qu'il sortit. Bientôt, il fut pris de colère contre lui‑même, se déclara un imbécile, et, vingt‑quatre heures après, il revint ». (ES, p. 368.)’ ‘« C'était une béatitude indéfinie, un tel enivrement, qu'il en oubliait jusqu'à la possibilité d'un bonheur absolu. Loin d'elle, des convoitises furieuses le dévoraient.
Bientôt il [Frédéric] y eut dans leurs dialogues de grands intervalles de silence ». (ES, p. 372.)’ ‘« Frédéric se mit à parcourir la rue Tronchet, en regardant devant lui et derrière lui. […].
Et, par désoeuvrement, il examinait les rares boutiques : un libraire, un sellier, un magasin de deuil. Bientôt il connut tous les noms des ouvrages, tous les harnais, toutes les étoffes ». (ES, pp. 377-378.)’ ‘« Elle aurait voulu le battre. Il dit qu'il reviendrait dans la soirée.
Bientôt les horribles quintes recommencèrent. Quelque­fois, l'enfant se dressait tout à coup ». (ES, p. 380.)’ ‘« Ce n'était pas son inconduite qui l'indignait. Mais elle paraissait souffrir dans son orgueil, et laissait voir sa répu­gnance pour cet homme sans délicatesse, sans dignité, sans honneur.
‑ « Ou plutôt il est fou ! » disait‑elle.
Frédéric sollicitait adroitement ses confidences. Bien­tôt, il connut toute sa vie ». (ES, p. 253.)’

Il peut être précédé par un et de mouvement pour augmenter la valeur temporelle de l’imminence :

‘« À partir de ce jour‑là, Arnoux fut encore plus cordial qu'auparavant ; il l'invitait à dîner chez sa maîtresse, et bientôt Frédéric hanta tout à la fois les deux maisons ». (ES, p. 224.)’ ‘« Le banquier était un brave homme, décidément. Frédéric ne put s'empêcher de réfléchir à son conseil, et bientôt, une sorte de vertige l'éblouit ». (ES, p. 403.)’ ‘« Elle lui envoyait des fleurs ; elle lui fit une chaise en tapisserie ; elle lui donna un porte‑cigares, une écritoire, mille petites choses d'un usage quotidien, pour qu'il n'eût pas une action indépendante de son souvenir. Ces prévenances le charmèrent d'abord, et bientôt lui parurent toutes simples ». (ES, p. 490.)’