Selon le Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage, les déictiques sont définis ainsi :
‘« […] tout élément linguistique qui, dans un énoncé, fait référence à la situation dans laquelle cet énoncé est produit ; au moment de l’énoncé (temps et aspect du verbe) ; au sujet parlant (modalisation) et aux participants à la communication. Ainsi, les démonstratifs, les adverbes de lieu et de temps, les pronoms personnels, les articles […] sont des déictiques ; ils constituent les aspects indiciels du langage » 1 .’Les circonstants déictiques sont donc un type particulier des déictiques qui ne sont interprétés que par la référence à la situation de communication ou à l’ici-moi-maintenant du sujet parlant. Ils sont donc interprétés par référence à leur contexte d’énonciation. Ils expriment toujours une certaine concomitance avec le moment de leur énonciation. Les circonstants qui assument cette fonction dans l’Éducation sentimentale sont du type maintenant notamment dans le discours direct des personnages.
‘« Mais Arnoux s'était rassis et gourmandait un vieillard d'aspect sordide, en lunettes bleues.Le syntagme prépositionnel à présent peut exprimer lui aussi une valeur déictique du fait qu’il renvoie à la situation de communication :
‘« D'après Mlle Vatnaz, la femme devait avoir sa place dans l'État. Autrefois, les Gauloises légiféraient, les Anglo-saxonnes aussi, les épouses des Hurons faisaient partie du conseil. […].Or le temps privilégié pour Flaubert est l’imparfait. C’est-à-dire le temps passé par rapport à nous, lecteurs, mais le présent par rapport aux personnages. Maintenant et à présent sont donc utilisés très souvent avec l’imparfait. Défini en grammaire comme « le site temporel du moi 2 », maintenant chez Flaubert, employé avec l’imparfait, exprime une certaine subjectivité.
On peut dire que la valeur de concomitance au présent est transférée dans une métaphore temporelle au passé pour rendre la vie à ces événements déjà écoulés et raccourcir la distance qui les sépare avec le moment de leur énonciation. Noël Dazord, dans son article sur la valeur d’emploi de maintenant avec le passé chez Claude Simon, parle de l’existence d’un « accord des deux aspects sécants 3 » l’un qui concerne « maintenant » qui est la forme dérivée du verbe maintenir et l’autre qui concerne l’imparfait. Ce transfert de subjectivité crée donc une certaine « connivence de l’auteur (et donc du lecteur) avec le récit 4 ».
Dans l’Éducation sentimentale, maintenant peut avoir différentes valeurs stylistiques. D’abord, il peut figurer avec l’imparfait, qui est le présent du passé, dans le discours indirect libre. Dans ce discours indirect libre, on entend la voix du narrateur qui prend la parole des personnages :
‘« Un jour en feuilletant un de ses cartons, il trouva dans le portrait d'une bohémienne quelque chose de Mlle Vatnaz, et, comme cette personne l'intéressait, il voulut savoir sa position.Dans cet exemple, le commentaire n’est plus de Pellerin mais de Flaubert lui-même.
‘« La foule oscilla, et, se pressant contre la porte de la cour qui était fermée, elleempêchait le professeur d'aller plus loin. Il s'arrêta devant l'escalier. On l'aperçut bientôt sur la dernière des trois marches. Il parla ; un bourdonnement couvrit sa voix. Bien qu'on l'aimât tout à l'heure, on le haïssait maintenant, car il représentait l'Autorité ». (ES, p. 84.)’Ici la voix du narrateur est occultée dans le pronom indéfini on.
‘« Pellerin n'estimait plus ces travaux de sa jeunesse ; maintenant, il était pour le grand style ; il dogmatisa sur Phidias et Winckelmann, éloquemment ». (ES, p. 95.)’Dans cet exemple, maintenant est l’indice d’une certaine subjectivité car il permet l’intervention du narrateur dans son discours.
‘« Cependant, il restait les yeux collés sur la façade, ‑ comme s'il avait cru, par cette contemplation, pouvoir fendre les murs. Maintenant, sans doute, elle reposait, tranquille comme une fleur endormie, avec ses beaux cheveux noirs parmi les dentelles de l'oreiller, les lèvres entre‑closes, la tête sur un bras ». (ES, p. 141.)’La subjectivité de l’énoncé à l’indirect libre est formellement représentée par le circonstant d’énonciationsans doute. Dans l’exemple suivant, elle est apparente grâce au point d’exclamation. Le narrateur reprend la parole de son personnage qui se transforme en un monologue intérieur.
‘« Deslauriers lui apprenait qu'il avait recueilli Sénécal , et depuis quinze jours, ils vivaient ensemble. Donc, Sénécal s'étalait, maintenant, au milieu des choses qui provenaient de chez Arnoux! Il pouvait les vendre, faire des remarques dessus, des plaisanteries. Frédéric se sentit blessé, jusqu'au fond de l'âme ». (ES, p. 159.)’Même constat aussi pour l’exemple suivant où le narrateur prend le relais de son personnage pour souligner l’intensité des moments affectueux qu’il vient de passer. La répétition de l’adjectif seuls fait croire à cette affectivité :
‘« Elle [Mme Arnoux] était venue plusieurs fois chez Frédéric, mais toujours avec Arnoux. Ils se trouvaient seuls, maintenant, ‑ seuls, dans sa propre maison ; ‑ c'était un événement extraordinaire, presque une bonne fortune ». (ES, p. 273.)’Le deuxième effet qu’on peut déduire de l’emploi de maintenant dans la phrase flaubertienne, c’est qu’il est toujours l’indice d’une certaine affectivité ou d’une certaine émotion. Dans l’exemple suivant, maintenant renvoie aux moments poétiques que vit Frédéric qui se souvient de tous les détails de son voyage avec Madame Arnoux :
‘« Deux lignes d'arbres bordaient la route, les tas de cailloux se succédaient; et peu à peu, Villeneuve‑Saint-Georges, Ablon, Châtillon, Corbeil et les autres pays, tout son voyage lui revint à la mémoire, d'une façon si nette qu'il distinguait maintenant des détails nouveaux, des particularités plus intimes ; sous le dernier volant de sa robe, son pied passait dans une mince bottine en soie, de couleur marron ; […] ». (ES, p. 56.)’Dans l’exemple suivant, maintenant exprime un moment dans lequel culminent les émotions amoureuses entre Frédéric et Rosanette :
‘« Frédéric l'attendait toujours quand ils devaient sortir ; elle [Rosanette] était fort longue à disposer autour de son menton les deux rubans de sa capote ; et elle se souriait à elle‑même, devant son armoire à glace. Puis passait son bras sur le sien et le forçant à se mirer près d'elle :Mais dans l’exemple suivant, c’est le moment de panique éprouvé par Frédéric qui voit son fils sur le point de quitter la vie :
‘« Mais dans la soirée, il [Frédéric] fut effrayé par l'aspect débile de l'enfant et le progrès de ces taches blanchâtres, pareilles à de la moisissure, comme si la vie, abandonnant déjà ce pauvre petit corps, n'eût laissé qu'une matière où la végétation poussait. Ses mains étaient froides ; il ne pouvait plus boire, maintenant ; […] ». (ES, p. 521.)’Maintenant laisse penser aussi à un sentiment de déception dans l’exemple suivant :
‘« Catherine n'avait point trouvé Frédéric. Il était absent depuis plusieurs jours, et son ami intime, M. Deslauriers, habitait maintenant la province ». (ES, p. 450.)’J. Dubois (Sous la direction de), Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage, Paris, Larousse, 1994, p. 132.
Cf. Gérard Moignet, Systématique de la langue française, Paris, Klincksieck, § 345.
Cf. Noël Dazord, « Maintenant dans les ténèbres froides, maintenant dans La Route des Flandres », Le gré des langues, n° 16, 2001, p. 120.
Ibid.