3.6.1. Les circonstants qui expriment une simultanéité

Les circonstants de cette catégorie peuvent se diviser en deux grandes parties dans l’Éducation sentimentale : les circonstants du type : en même temps que, en même temps, pendant que et les circonstants en ant (le gérondif et le participe présent).

D’abord, le circonstant en même temps que suppose l’existence de deux procès qui se déroulent en même temps. Cette simultanéité correspond souvent à une coïncidence de deux moments importants chez les personnages. Dans l’exemple suivant, le passage de Frédéric coïncide avec le mouvement de la tête de Mme Arnoux et quand il se fut mis plus loin, du même côté, il la regarda, ce qui constitue un premier pas dans la relation amoureuse avec cette femme :

‘« En même temps qu’il [Frédéric] passait, elle [Mme Arnoux] leva la tête ; il fléchit involontairement les épaules ; et quand il se fut mis plus loin, du même côté, il la regarda ». (ES, p. 53.)’

Notons que le temps verbal dans la deuxième proposition est très significatif dans la mesure où il fait comprendre, par sa momentanéité, que Mme Arnoux était si prête à échanger les regards avec Frédéric qu’elle lève la tête presque involontairement une fois qu’il passe devant elle. Cependant, le temps qui sépare les deux actions est presque inexistant grâce au circonstant en même temps que qui exprime leur simultanéité.

Même effet aussi dans l’exemple suivant où les deux actions se passent presque en même temps mais la valeur des temps verbaux fait penser à une action qui commence et se termine pendant qu’une autre action est en train de se dérouler :

‘« Fré­déric, en face d'elle [Mme Moreau], l'observait ; et ils se taisaient tous les deux, comme il y avait cinq ans, au retour de Montereau. Cette coïncidence, s’offrant même à sa pensée, lui rappela Mme Arnoux.
À ce moment, des coups de fouet retentirent sous la fenêtre, en même temps qu'une voix l'appelait.
C’était le père Roque, seul dans sa tapissière ». (ES, p. 163.)’

On peut comprendre ici que la voix de M. Roque a été entendue par Frédéric presque avant les coups de fouet qui retentaient. Mais dans les deux exemples suivants, la coïncidence est totale entre les deux actions liées par le circonstant :

‘« Le père Roque était devenu très brave, presque témé­raire. Arrivé le 26 à Paris avec les Nogentais, au lieu de s'en retourner en même temps qu’eux, il avait été s'adjoindre à la garde nationale qui campait aux Tuileries ; et il fut très content d'être placé en sentinelle devant la ter­rasse du bord de l'eau ». (ES, p. 449.)’ ‘« Il [Frédéric] était maintenant sa chose, sa propriété. Elle [Rosanette] en avait sur le visage un rayonnement continu, en même temps qu'elle paraissait plus langoureuse de manières, plus ronde dans ses formes ; et, sans pouvoir dire de quelle façon, il la trouvait changée, cependant ». (ES, p. 468.)’

Le circonstant « en même temps » exprime la même idée de simultanéité. Il joue à ce moment-là le rôle d’un connecteur qui relie les deux propositions en indiquant que la deuxième action se fait en même temps que la première :

‘« Frédéric se leva ; en même temps Marthe parut ». (ES, p. 287.)’ ‘« Ces lamentations se répétèrent vingt fois par jour, durant trois mois ; et, en même temps, les délicatesses du foyer le corrompaient ; il jouissait d'avoir un lit plus mou, des serviettes sans déchirures ; si bien que, lassé, énervé, vaincu enfin par la terrible force de la douceur, Frédéric se laissa conduire chez M. Prouharam ». (ES, p. 158.)’

Mais quand le sujet de l’action est au pluriel, le circonstant en même temps exprime que les actants font la même action en même temps :

‘« Un matin, comme il sortait de l'antichambre, il aperçut au troisième étage, dans l'escalier, le shako d'un garde national qui montait. Où allait‑il donc ? Frédéric attendit. L'homme montait toujours, la tête un peu baissée : il leva les yeux. C'était le sieur Arnoux. La situation était claire. Ils rougirent en même temps, saisis par le même embarras ». (ES, p. 420.)’ ‘« À quoi donc ce chapeau ? Montrant impudemment sa coiffe décousue, il semblait dire :
« Je m’en moque après tout ! Je suis le maître ».
La Maréchale survint. Elle le prit, ouvrit la serre, l'y jeta, referma la porte (d'autres portes, en même temps, s’ouvraient et se refermaient), et, ayant fait passer Frédéric par la cuisine, elle l'introduisit dans son cabinet de toilette ». (ES, p. 207.)’

Le circonstant introduit par pendant que exprime la simultanéité aussi. Il peut signifier que les deux actions se déroulent en même temps :

‘« Une heure après, un troisième individu survint et retira d'un grand sac noir une paire de bottes vernies, splen­dides. Pendant que Frédéric les essayait, le bottier obser­vait narquoisement la chaussure du provincial ». (ES, p. 103.)’ ‘« Le sérieux de la forêt les gagnait ; et ils avaient des heures de silence où, se laissant aller au bercement des ressorts, ils demeuraient comme engourdis dans une ivresse tranquille. Le bras sous la taille, il l'écoutait parler pendant que les oiseaux gazouillaient, […] ». (ES, p. 436.)’

Mais il peut avoir aussi la valeur d’un en même temps que en exprimant la coïncidence de deux actions l’une est longue et se déroule en arrière plan, l’autre est courte et se déroule en premier plan :

‘« Frédéric rentra dans le vestibule. Pendant que l'huissier le dépouillait de sa robe, pour la repasser à un autre immédiatement, ses amis l'entourèrent, en achevant de l'ahurir avec leurs opinions contradictoires sur le résultat de l'examen ». (ES, p. 124.)’ ‘« Pendant que Frédéric parlait au commis, Mlle Vatnaz survint, et fut désappointée de ne pas voir Arnoux. Il res­terait là‑bas encore deux jours, peut‑être ». (ES, p. 145.)’

Quant aux circonstants en ant, il faut noter qu’ils peuvent exprimer d’autres relations circonstancielles avec l’expression de la simultanéité selon leur position dans la phrase. Le gérondif, en position initiale (exemples 4 et 5 ci-dessous), peut exprimer par exemple le temps et la cause comme deuxième sens. Mais dans la position interphrastique (exemples 1, 2 et 3), il peut exprimer soit la manière soit le temps.

‘1. « Une énergie impi­toyable reposait dans ses yeux glauques, plus froids que des yeux de verre. Il avait les pommettes saillantes, et des mains à articulations noueuses. Enfin, s'étant levé, il adressa au jeune homme quelques questions sur des personnes de leur connaissance, sur Nogent, sur ses études ; puis il le congédia en s'inclinant ». (ES, p. 72.)’ ‘2. « Les cochers baissaient le menton dans leurs cravates, les roues se mettaient à tourner plus vite, le macadam grinçait ; et tous les équipages descendaient au grand trot la longue avenue, en se frôlant, se dépassant, s'écartant les uns des autres, puis, sur la place de la Concorde, se dispersaient. Der­rière les Tuileries, le ciel prenait la teinte des ardoises ». (ES, p. 76.)’ ‘3. « Puis il remontait lentement les rues. Les réverbères se balançaient, en faisant trembler sur la boue de longs reflets jaunâtres. Des ombres glissaient au bord des trottoirs, avec des parapluies ». (ES, p. 77.)’ ‘4. « Et le jeune homme n'osa lui refuser ce service. Le lendemain, en entrant avec Hussonnet dans son bureau, Frédéric vit par la porte (celle qui s'ouvrait sur l'escalier) le bas d'une robe disparaître ». (ES, p. 99.)’ ‘5. « Un matin du mois de décembre, en se rendant au cours de procédure, il crut remarquer dans la rue Saint­-Jacques plus d'animation qu'à l'ordinaire ». (ES, p. 81.)’

Le gérondif et le participe présent dans les exemples suivants expriment la simultanéité :

‘6. « Tout en séparant le beefsteak, Hussonnet apprît à son compagnon qu'il travaillait dans des journaux de modes et fabriquait des réclames pour L'Art industriel ». (ES, p. 88.)’ ‘7. « Et le jeune homme n'osa lui refuser ce service. Le lendemain, en entrant avec Hussonnet dans son bureau, Frédéric vit par la porte (celle qui s'ouvrait sur l'escalier) le bas d'une robe disparaître ». (ES, p. 99.)’ ‘8. « Il éprouvait une sur­prise infinie et comme la douleur d'une trahison. Arnoux, en fouillant dans son tiroir, souriait. Se moquait‑il de lui ? Le commis déposa sur la table une liasse de papiers humides ». (ES, p. 99.)’ ‘9. « Au coin de la rue Montmartre, il se retourna ; il regarda les fenêtres du premier étage ; et il rit intérieurement de pitié sur lui‑même, en se rappelant avec quel amour il les avait si souvent contemplées ! ». (ES, p. 100.)’ ‘10. « L'écran de taffetas vert, tiré au bord de la loge, masquait son visage. Enfin la toile se leva ; l'écran s'abattit. C'était une longue personne, de trente ans environ, fanée, et dont les grosses lèvres découvraient, en riant, des dents splendides ». (ES, p. 79.)’

Dans son ouvrage sur les valeurs logiques et stylistiques des phrases complexes, P. Guberina souligne que :

‘« Les temporelles subordonnées expriment, tout comme les consécutives et les causales un rapport de cause à conséquence réalisées, ou considérées comme telles par le sujet. Mais à la différence de ces dernières, les temporelles subordonnées précisent la cause au point de vue de sa réalisation dans l’espace temporel, ainsi que son rapport temporel avec la conséquence » 1 .’

À propos des valeurs stylistiques de ces temporelles, il précise que :

‘« La précision du temps peut être très vague et alors la valeur stylistique sera à son degré minimum. Elle peut aussi indiquer que la conséquence doit suivre dès que la cause se réalise. Les valeurs acoustiques joueront dans le deuxième cas un rôle important et cette manière de construire une temporelle subordonnée trahira le plus haut degré d’affectivité » 2 . ’

On peut dire que selon cet auteur, au-delà de leur rôle logique dans la disposition des événements, les subordonnées en général et les temporelles en particulier ont une valeur stylistique indéniable selon la manière dont elles présentent les événements dans la phrase : mise en relief, mise en anticipation ou mise en attente. Les valeurs stylistiques liées aux valeurs acoustiques se font sentir par le jeu de l’antéposition, de l’interposition ou de la postposition de ces constituants selon le fait que le sujet parlant veut donner de l’importance à ce qu’il va énoncer.

Les circonstants en quand peuvent exprimer aussi la simultanéité de deux événements surtout quand le temps verbal dans les deux propositions reliées par le circonstant est le même. Nous avons donc le cas où le temps dans les deux propositions est le passé simple :

‘« Ses triomphes au collège de Sens légitimaient cet orgueil ; il avait remporté le prix d'honneur. Quand il entra dans le salon, tous se levèrent à grand bruit. On l'embrassa ; et avec les fauteuils et les chais s on fit un large demi‑cercle autour de la cheminée ». (ES, p. 60.)’ ‘« Quand il fut sur le quai, Frédéric se retourna. Elle était près du gouvernail, debout. Il lui envoya un regard où il avait tâché de mettre toute son âme ; comme s'il n'eût rien fait, elle demeura immobile ». (ES, p. 57.)’ ‘« Les étudiants sortaient précipitamment des cafés, ou, par les fenêtres ouvertes, ils s'appelaient d'une maison à l'autre ; les bou­tiquiers, au milieu du trottoir, regardaient d'un air inquiet ; les volets se fermaient ; et, quand il arriva dans la rue Soufflot, il aperçut un grand rassemblement autour du Panthéon ». (ES, p. 81.)’ ‘« Le premier jour, quand on lui offrit des gâteaux, il leva les épaules dédaigneusement, en disant que cela convenait aux femmes ; et il ne parut guère plus gracieux les fois sui­vantes ». (ES, p. 120.)’

Quand le temps est l’imparfait dans les deux propositions, le circonstant introduit par quand exprime aussi la simultanéité des deux actions :

‘« Quand il arrivait de bonne heure, il le surprenait dans son mauvais lit de sangle, que cachait un lambeau de tapisserie ; car Pellerin se couchait tard, fréquentant les théâtres avec assiduité ». (ES, p. 95.)’ ‘« Quand un piéton s'avançait, il tâchait de distinguer son visage ». (ES, p. 141.)’ ‘« Quand il revenait de chez Mme Arnoux, il le réveillait comme par mégarde, afin de pouvoir causer d'elle ». (ES, p. 117.)’ ‘« Quand il allait au Jardin des plantes, la vue d'un pal­mier l'entraînait vers des pays lointains ». (ES, p. 131.)’ ‘« D'ailleurs Frédéric, plein de l'idée de Mme Arnoux, parlait de son mari souvent ; et Deslauriers commença une intolérable scie, consistant à répéter son nom cent fois par jour, àla fin de chaque phrase, comme un tic d'idiot. Quand on frappait à sa porte, il répondait : « Entrez, Arnoux ! » ». (ES, p. 121.)’

Il est à noter que la valeur d’emploi du passé simple dans la subordonnée en quand dans le dernier exemple est là pour montrer que le changement d’avis de Frédéric est rapide et qu’il coïncide donc avec son mouvement en arrière : il tournait les talons.

Le circonstant introduit par quand peut avoir dans l’Éducation sentimentale d’autres valeurs que l’expression temporelle de la simultanéité. Il exprime par exemple une relation logique qui exprime une vérité générale ou une action qui se répète régulièrement :

‘« Quand il ne pleuvait pas, le dimanche, ils sortaient ensemble ; et, bras dessus bras dessous, ils s'en allaient par les rues ». (ES, p. 114)’ ‘« À onze heures, comme les derniers s'en allaient, Arnoux sortit avec Pellerin, sous prétexte de le reconduire. Il était de ces gens qui se disent malades quand ils n'ont pas fait leur tour après dîner ». (ES, p. 108.)’ ‘« Il [Frédéric] connaissait la forme de chacun de ses ongles, il se délectait à écouter le sifflement de sa robe de soie quand elle [Mme Arnoux] passait auprès des portes, il humait en cachette la senteur de son mouchoir ; […] ». (ES, p. 116.)’ ‘« Comme plusieurs examens se passaient simultanément, il y avait beaucoup de monde dans la cour, entre autres Hus­sonnet et Cisy ; on ne manquait pas de venir à ces épreuves quand il s'agissait des camarades ». (ES, p. 122.)’

Dans la subordination inverse, ce type de circonstant peut aussi avoir la valeur d’introduire une scène descriptive qui accompagne l’action principale. C’est un des procédés essentiels qui sont utilisés par Flaubert notamment dans la description 3 .

‘« Frédéric et Deslauriers marchaient au milieu de la foule pas à pas, quand un spectacle les arrêta : Martinon se faisait rendre de la monnaie au dépôt des parapluies ; et il accompagnait une femme d'une cinquantaine d'années, laide, magnifiquement vêtue, et d'un rang social problématique ». (ES, p. 138.)’ ‘« Ils étaient au milieu du jardin quand l'employé d'Arnoux, retenant son haleine, contourna son visage dans une gri­mace abominable et se mit à faire le coq ». (ES, p. 88.)’ ‘« On causa d'abord de cette vue que l'on avait, puis du paysage en général ; et les discussions commençaient quand Arnoux donna l'ordre à son domestique d'atteler l'américaine vers les neuf heures et demie ». (ES, p. 146.)’ ‘« Il ne partit pas avec les autres, Hussonnet non plus. Ils devaient s'en retourner dans la voiture‑, et l'américaine attendait au bas du perron, quand Arnoux descendit dans le jardin, pour cueillir des roses ». (ES, p. 149.)’

Notes
1.

Peter Guberina, Valeur logique et valeur stylistique des propositions complexes, théorie générale et son application au français, deuxième édition, éd. Zagreb, EPOHA, 1954, p. 105.

2.

Ibid.

3.

Marcel Proust note à propos de « tandis que » par exemple que c’est « un de ces artifices assez naïfs qu’emploient tous les grands descripteurs dont la phrase serait trop longue et qui ne veulent pas cependant séparer les parties du tableau ». M. Proust, « À propos du style de Gustave Flaubert », La Nouvelle Revue Française, XIV, 1920, pp. 79-80.