3.2 Etat de l’art : fondements théoriques en analyse de la situation de travail

Avant de commencer cet état de l’art, il importe de souligner qu’il existe des méthodes non ergonomiques visant à l’analyse de la situation de travail. L’une des limites de ces méthodes est qu’elles ne prévoient pas le traitement des erreurs humaines, elles sont essentiellement conçues selon les critères de performance. Elles ne portent donc pas sur les caractéristiques des utilisateurs, elles décrivent le travail prescrit sans prendre en compte le travail réel. Le travail prescrit correspond à ce que l’opérateur doit faire et le travail réel à ce qu’il fait effectivement.

Pourtant, pour effectuer une tâche, l’utilisateur effectue une activité qui est déterminée par ses caractéristiques psychologiques (expérience de la tâche, motivation à utiliser l’outil, caractère occasionnel ou permanent d’utilisation), physiologique (âge, sexe, état de fatigue, …) et psychosociologique (motivations, statut, …). Les interfaces de logiciels reposent sur les opinions et jugements des utilisateurs, d’où la nécessité d’une étude ergonomique et le choix d’une analyse basée sur l’ergonomie des logiciels.

Dans le domaine de l’ergonomie des logiciels, il existe un grand nombre de techniques susceptibles d’être utilisées en analyse de la situation de travail. Il n’existe cependant pas de techniques qui soient plus valables que les autres dans l’absolu. En effet, ces techniques peuvent se compléter et ne sont pas exclusives. Selon [ISO/TR 16982, 2002], il peut s’agir de l’observation des utilisateurs, de mesures relatives aux performances, d’incidents critiques, de questionnaires, de la pensée à haute voix, de la conception et de l’évaluation collaborative, de la méthode de créativité, des méthodes basées sur des documents, des approches basées sur des modèles, de l’évaluation par expertise et de l’évaluation automatisée. Il est donc nécessaire de procéder à une analyse de la situation en fouille visuelle de données afin de définir une méthode beaucoup plus spécifique à ce domaine.

Les progrès en informatique ont permis de contribuer significativement à l’aisance de l’activité humaine. Il ressort de différents travaux [Bastien et Scapin, 1993], [ISO, 1998] que pour favoriser l’activité, il est nécessaire de guider, conseiller et favoriser l’acquisition de connaissances par l’utilisateur en vue d’une certaine expertise relative à l’accomplissement des tâches qui lui sont soumises. La FVD, réservée dans un premier temps aux experts des méthodes d’analyse de données est désormais accessible à d’autres types d’utilisateurs. Pour aboutir à des modèles de données sur un environnement de ce type, il existe plusieurs types d’actions possibles et plusieurs types d’opérations relatives à ces actions. La pertinence des modèles de données ainsi obtenus dépend des compétences des utilisateurs. Cependant, rien n’a été fait afin que sur un tel environnement on puisse calculer et proposer des connaissances pertinentes aux utilisateurs suivant leurs profils, adaptant le processus de fouille à leurs compétences. Pourtant, des travaux [Hatcheut et al., 2005] montrent que les performances des utilisateurs varient selon le dispositif d’aide à leurs activités. Par exemple, une interface appropriée à un expert du domaine de la découverte de connaissances dans les données conviendrait très peu à un novice, à un utilisateur occasionnel ou à un spécialiste du domaine de données. Ceci dit, durant l’inspection et le diagnostic des outils de FVD, nous allons nous intéresser aux utilisateurs des environnements de FVD, à leurs compétences et aux dispositifs de FVD de façon à promouvoir le développement cognitif relatif aux interactions des utilisateurs.

Du point de vue ergonomique, la modélisation de l’interaction homme machine (en FVD) consiste à modéliser l’utilisateur, la tâche et l’application. La modélisation de l’utilisateur concerne la caractérisation de son niveau d’expertise qui peut être débutant, confirmé ou expert. Il peut aussi s’agir de la modélisation de ses processus cognitifs : facilité d’apprentissage, connaissance, croyances ou des processus psychologiques.

En ce qui concerne la représentation cognitive des utilisateurs, elle peut se faire à travers le modèle du processeur humain, la théorie de l’activité et de l’action. Il s’agit plus précisément du dispositif nécessaire aux utilisateurs dans l’accomplissement de leurs tâches. La théorie de l’activité en général et plus particulièrement la théorie de l’action [Norman, 1986] qui en découle constituent le cadre théorique de cette modélisation de l’utilisateur.

En effet, la théorie de l’activité [Kaptelinin, 1995], [Leont'ev, 1978] développée par des théoriciens soviétiques est un ensemble de principes de base qui constituent un système conceptuel général. L’activité est dirigée par un objet (sa motivation). Divers courants de pensées régissent la théorie de l’activité. Nous pouvons citer par exemple le courant qui stipule qu’un individu face à son activité se crée des représentations et les modifie, ce qui peut se traduire dans notre contexte par le fait qu’un individu pourrait après une séquence de fouille visuelle de données acquérir des heuristiques lui permettant de manipuler d’autres systèmes de fouille visuelle. Un autre courant de pensée, la théorie de l’action [Norman, 1986], issue de la théorie de l’activité décompose en hiérarchies l’activité. On a l’activité proprement dite qui est en relation avec des buts, des motivations et les actions qui peuvent servir à plusieurs activités et qui s’effectuent par des opérations, les opérations étant des actions élémentaires. En nous basant sur ces différentes théories, l’idée est de tenir aussi compte du caractère improvisé du comportement humain [Suchman, 1987] dans les différentes actions qu’il peut accomplir.

Notre objectif est donc de définir une méthode qui permette de relever les besoins des utilisateurs en FVD durant un diagnostic ou une inspection des outils de ce type. Nous allons aussi proposer une modélisation de l’utilisateur qui permette de prendre en compte l’évolution de ses connaissances, de ses compétences et du contexte de l’action. Le modèle de l’utilisateur permet de l’aider dans le cadre de ses activités et reflète les caractéristiques cognitives de celui-ci. Les recherches du domaine des tuteurs intelligents dans les années 1980 ont permis l’essor du modèle utilisateur qui est aussi très utilisé en IHM et fait généralement référence à trois différents concepts, il peut s’agir :

  • de la représentation faite par l’utilisateur d’un logiciel informatique,
  • des connaissances dont dispose le logiciel informatique de son utilisateur,
  • de l’ensemble de connaissances que devrait avoir un utilisateur pour pouvoir utiliser le logiciel de façon optimale.

Dans l’état actuel des recherches en ECD en général, les modèles de données ne dépendent pas du profil des utilisateurs. Tous les utilisateurs (experts ou non) qui désirent retrouver des pépites de connaissances dans un ensemble de données utilisant le même algorithme et les paramètres identiques obtiennent les mêmes résultats. Pourtant, non seulement dans une organisation nécessitant un système d’ECD pour l’exploitation de ses données il existe des utilisateurs de type différent mais aussi, les modèles de données issus de la fouille dans de grands ensembles de données s’avèrent différents et se distinguent en compréhensibilité, pouvoir prédictif, lisibilité et coût de calcul. La prise en compte des caractéristiques et compétences des utilisateurs s’impose.

En guise d’exemple, si on se situe dans le cadre beaucoup plus restrictif des méthodes de visualisation pour l’exploration des données, un utilisateur peut préférer par exemple les matrices 2D et un autre utilisateur les coordonnées parallèles. Un système auquel est couplé un modèle utilisateur pourra décider implicitement de la méthode de visualisation adéquate à un type d’utilisateur en se basant sur son modèle. Ainsi, la familiarité de l’utilisateur avec l’outil et le système cognitif de raisonnement en rapport avec les propriétés sémantiques des méthodes graphiques seront aisément pris en compte.

Dans cette étude, l’analyse de la situation de travail en FVD a pour but de définir des critères ergonomiques spécifiques au domaine de la FVD pour l’évaluation des systèmes de ce type. La section suivante présente une classification de méthodes basées sur des directives pour l’évaluation des logiciels. L’objectif ici est de pouvoir situer l’évaluation à base de critères dans le champ de recherche lié à l’évaluation des logiciels.