Il est primordial de nous intéresser à ce personnage clé du consulat qui rédige les registres consulaires, car c’est par son intermédiaire que se forme notre vision des conseillers de Lyon. Son titre exact est « procureur-secrétaire » et il semble que sa fonction ait existé dès la naissance du consulat en 1320, mais de façon temporaire 71 . Elle est devenue permanente au moins à partir de 1381 72 .Le secrétaire doit connaître parfaitement les droits et privilèges de la ville. C’est lui qui met en forme le « syndical » pour l’élection des nouveaux conseillers chaque année et qui le lit au peuple, le jour de la saint Thomas. Plus qu’un secrétaire, il est le gardien de la constitution communale et il veille au respect des libertés urbaines. Les consuls passent, lui demeure. Son rôle de procureur lui confère une autorité encore plus grande : il représente la ville en justice, devant les tribunaux ; il se rend parfois à Grenoble ou à Paris ; il effectue des démarches officielles auprès des officiers du roi ou de l’archevêque ; il lui arrive aussi de partir seul pour des ambassades lointaines.
Le secrétaire constitue un prisme à travers lequel nous percevons le consulat lyonnais, son identité n’est donc pas indifférente. De prime abord, les secrétaires qui se succèdent au cours du siècle composent un groupe homogène : le choix des conseillers paraît motivé par une donnée essentielle, la formation de ces hommes. En effet tous sont des notaires de la ville 73 , choisis pour leurs connaissances techniques. Leur niveau de vie est décent mais n’a rien à voir avec le train des grands juristes de la cité, dans la hiérarchie sociale de l’époque ils n’appartiennent pas à la même classe que les conseillers. Leur recrutement part du principe qu’ils resteront en place de nombreuses années : il s’agit d’une charge quasiment à vie, ce qui explique que nous n’ayons que six secrétaires différents entre 1416 et 1520 74 . Leur formation identique, leur nombre restreint, leur dévouement au consulat laissent à penser qu’ils contribuent à donner une image stable du consulat et un aspect très normé aux registres de la ville.
Cependant, le secrétaire est aussi un individu avec une personnalité propre. Pour aborder les registres consulaires, il faut d’abord se demander quel filtre il représente. Comment cet officier est-il choisi, quel rôle entendent lui confier les conseillers, et comment est-il perçu par ces derniers ? Quelle est sa part d’intervention dans la construction des registres ? Quelle place entend-il tenir, comment marque-t-il sa présence en tant qu’individu dans ce qui constitue la mémoire de la ville et du consulat ? Notre étude porte sur un siècle, il convient donc aussi de prendre en compte l’évolution de cette charge. Nous avons ainsi repéré trois phases de mandats, correspondant aux années 1416-1446, 1447-1496 et 1497-1520 : il se trouve que deux secrétaires se succèdent lors de chacune de ces périodes 75 .
Il convient de faire une petite mise au point sur le terme complexe de « procureur ». Il désigne au début du XIVe siècle à Lyon comme dans nombre de villes, tous ceux qui sont destinés à agir au nom de la communauté pour régler l’ensemble de ses problèmes : les premiers syndicats de Lyon conservés dans le Cartulaire de Villeneuve, datant de 1298 et 1301 évoquent l’élection de « procureurs » de la ville. Ce n’est que dans les syndicats de 1353 et 1359 que sont élus non plus des procureurs mais des conseillers. On a donc une spécialisation des fonctions et une nette différenciation du secrétaire et des consuls qui se produit au cours du XIVe siècle. Il faut ajouter que le procureur-secrétaire de Lyon au XVe siècle n’est pas le seul à bénéficier du titre de « procureur », qui désigne aussi tous les agents employés par le consulat pour le représenter dans les diverses cours du justice à Lyon (celle de l’archevêque, celle du roi) mais aussi à Paris. Sur ces définitions de statuts voir R. Fédou, Les hommes de loi …, op. cit., p.236-237 ; et surtout A. Rigaudière, « Les procureurs urbains en Auvergne, Velay et Lyonnais aux XIVe et XVe siècle », La représentation dans la tradition du jus civile en Occident, Mélanges EFRMA, 2002, t.114, n°1, p.121-159.
E. Vial, « Les procureurs généraux et les secrétaires de la ville de Lyon », Revue d’histoire de Lyon, t. VII, 1908, p.309.
Le développement du notariat à Lyon est dû à une forte immigration notariale de la campagne vers la ville à partir du XIIIe siècle. A. Rigaudière explique que les registres des matricules de l’officialité sur lesquels sont inscrits tous les nouveaux notaires, indiquent leur domicile d’origine : dans leur immense majorité, ils viennent de contrées proches, Lyonnais, Forez, vallée de la Saône et Dombes. « Venus de la petite ou moyenne noblesse régionale, mais plus souvent de la bourgeoisie rurale, ils sont déjà rompus au droit et très au fait de la pratique judiciaire ou notariale. Ces données contribuent largement à favoriser leur intégration dans le monde des juristes et plus généralement dans une société où le recours à l’ars notariae est devenu chaque jour indispensable ». L’intégration se fait aussi par le mariage, dont beaucoup sont conclus à l’intérieur même du monde des juristes ; dans nombre de cas la dot de la mariée constitue une part importante de leur patrimoine. Des dynasties se créent, notamment après 1350, lorsque la pratique de la transmission héréditaire des charges s’impose. A partir de 1384, les notaires s’organisent en métier à Lyon : c’est une façon « tout en affirmant leur personnalité, de se donner des chances supplémentaires de peser de tout leur poids dans la vie urbaine ». A. Rigaudière, « Le notaire et la ville médiévale », Gouverner la ville au Moyen âge, Paris, 1993, p.259 et suivantes.
La liste est fournie pour le XVe siècle par C. Rotoloni dans son mémoire de maîtrise, Pratiques culturelles et mémoire municipale…, op. cit.
La liste des secrétaires est donnée en annexe 1.