Le changement de contexte économique et social, dû au dynamisme des foires qui relance le commerce et qui rend attractive la ville de Lyon, alourdit la charge de secrétaire : les réunions sont plus nombreuses, il y a de plus en plus d’affaires à traiter. Les conseillers prennent en compte ces modifications et les récriminations du secrétaire leur semblent justifiées puisque sa charge connaît une réévaluation de ses gages, tous les dix ans pendant cette période 194 , sans que cela ne suscite de débats parmi les élus. Se dessine alors progressivement une autre vision de la charge de secrétaire.
Les plaintes du secrétaire évoluent au cours des années. Dans sa première requête, Jacques Mathieu demande « augmentacion et croissance de ses gaiges » parce que « ne peut et ne luy est possible d’avoir ne occuper bonnement avec ledit office de procuracion autre charge dont il peut avoir aucun gain ne prouffit, considérans aussi que [il] est chargé de femme et de plusieurs petits enfans, lesqueulx bonnement ne pourroit norrir ne alimenter sans salaires et gaiges compétans et aussi qu’il s’est bien compourtéz audit office de procuracion jusques à présens » 195 . Pour la première fois, nous apprenons que la charge de secrétaire-procureur n’était pas incompatible avec l’exercice libéral du notariat en ville : le secrétaire de la ville occupait donc son temps comme les conseillers entre sa charge au consulat et son métier. Or en 1456, Mathieu affirme que cela n’est plus possible, sous-entendant donc que l’office consulaire est trop prenant pour exercer en plus une activité professionnelle. Est-ce exact à cette date ? C’est possible, mais peut-être faut-il voir aussi dans cette requête la volonté de changer le statut du secrétaire du consulat. En affirmant que cette charge constitue un travail à temps plein, elle est valorisée et le secrétaire apparaît officiellement comme le pilier de l’organisation consulaire, seule personne immuable et travaillant uniquement pour le bien de la ville. On ne sait si les conseillers et le secrétaire sont tous conscients de ce qu’implique ce changement, mais l’augmentation de gages de Jacques Mathieu est acceptée sans discussion.
Dix ans plus tard, en 1466 Mathieu fait une nouvelle requête « obstant ce que les charges et afferes communes de ladite ville estoient et sont depuis peu de temps en çà croyssues grandement et augmentéez et de jour en jour augmentent et fort agravoient la charge et entremise de sondit office de procuracion », ajoutant qu’avec ses « gaiges et salaires ne povoient, comme disoit bonnement, vivre ne soubstenter luy et son ménage actendu mesmement qu’il n’avoit aussi ne pouvoit exercer autre charge ou practique pour lui aider à gaigier sa vie » 196 . Il réutilise l’argument de l’impossible métier à côté de sa charge, mais il développe plus sérieusement cette fois la lourdeur de ses fonctions et il menace de démissionner s’il n’est pas entendu 197 . Ce chantage s’avère efficace puisqu’il est augmenté. Pendant cette période, le secrétaire est assisté dans sa tâche par des clercs, comme lors des années antérieures : on trouve de nombreuses allusions à eux, désignés de façon anonyme 198 ou nominale 199 dans les registres. Mais ces aides restent à la charge du secrétaire, le consulat ne débourse toujours rien pour eux.
Un changement capital se produit en 1476, Mathieu vient faire une nouvelle requête au consulat :
‘« comme honnorable homme maistre Jaques Mathieu, tabellion royal et procureur du consulat de la ville et communaulté de Lyon, en complaignant avoit remonstré par plusieurs foys à mes seigneurs les conseillers de ladite ville et communaulté qu’il ne luy estoit bonnement possible que luy seul peust supporter les grans charges et affaires que de jour en jour survenoient à l’exercice de son office, obstant les débilitacion et affoyblissement de sa personne malade et jadis indisposée par et au moyen de grans travaulx, peines et labeurs qu’il avoit prins et eu audit excercie dudit office l’espace de XXX ans, finiz au moys de may derrier passé que aussi pour la multitude desdites affaires qui, comme dit est, de jour en jour survenoient, priant mesdits seigneurs les conseillers qu’il leur pleust sur ce adviser, délibérer et pourveoir en façon et manière que ladite ville et la chose publicque n’eussent le temps advenir aucun dommaige ou inconvénient. Lesquelles remonstrances et complainctes par mesdits seigneurs les conseillers oyes, ilz voulans de tous leurs cueurs et pouvoirs obvier aux inconvéniens et dommages de ladite ville et de la chose publicque d’icelle eussent prins charge chacun en droit soy de chercher et quérir quelque homme de l’estat et vocacion dudit procureur qui soit bon, proudomme, loyal et de bonne et honneste vie, souffisant, ydoine et diligent, natifz du pays et résident en ladite ville, pour soulager ledit procureur esdites affaires, et en le soulageant veoir et apprendre pour estre le temps advenir fait et instruit audit exercice dudit office, et en l’absence et deffaulcé dudit procureur icelluy office excercer ainsi et par la forme et manière que ledit procureur a fait le temps passé et encores fait et fera depuis mesdits seigneurs chacun endroit, soy diligement et soigneusement aient charge et commis en cestedite ville pour trouver ce que doit est » 200 . ’Une nouvelle charge est donc créée : les conseillers acceptent de donner aux frais du consulat un « coadjuteur » au secrétaire, pour le soulager dans ses tâches et compte tenu de son grand âge. On peut cependant se demander s’ils reconnaissent que la charge devient trop lourde pour un seul homme ou s’ils tiennent uniquement compte de l’état physique de Mathieu. Or c’est un vrai changement de perception de la fonction du secrétaire que traduit cette mesure. Il importe de traiter ce dernier avec considération parce qu’il n’est pas un simple scribe, nombre de conseillers le comprennent bien, notamment les juristes : sa fonction de procureur fait qu’il veille sur les intérêts présents de la ville dans les cours de justice, son rôle de secrétaire en fait la personne clé du consulat, à la fois mémoire vivante de l’institution dont il connaît tous les secrets, mais aussi créateur de la mémoire officielle par la reconstruction qu’il donne des débats. Il faut soigner le secrétaire, c’est pourquoi, lorsque Antoine Dupont succède à Jacques Mathieu dans cette fonction, dès qu’il émet le souhait d’avoir lui aussi un coadjuteur, il est tout de suite entendu, sans discussion 201 .
Cette fonction de « coadjuteur » ou de « substitut du procureur » 202 souligne combien la charge de secrétaire devient difficile à gérer : ce second, donné au secrétaire, joue le rôle de remplaçant lorsqu’il est absent 203 et de suppléant en sa présence, puisqu’il a reçu « auctorité, puissance, faculté et mandement espécial de entrer audit hostel commun et en la chambre de leur conseil et là assister avecques ledit procureur pour luy aider et soulager » 204 . Cependant il existe toujours des clercs travaillant pour le procureur 205 ou des extras pour des travaux exceptionnels 206 . La désignation d’un coadjuteur officiel permet surtout d’anticiper le changement de secrétaire, puisque cet aide est envisagé comme le successeur naturel de son maître après le départ de celui-ci. Certes il s’agit d’organiser de façon plus rationnelle cette charge, afin que la prise de fonction du nouveau secrétaire se fasse dans la continuité, sans période d’adaptation, afin que le nouvel élu soit immédiatement efficace puisque déjà au courant de toutes les affaires de la ville. Cela prouve surtout combien la place du secrétaire apparaît comme capitale, puisqu’on prend soin de former son successeur pour éviter toute vacance. Sa charge en fait un secrétaire en herbe, cette situation est soulignée par la similitude des contrats de secrétaire et de coadjuteur : mêmes serments sur les évangiles, mêmes promesses d’être bon et loyal et de garder secret ce qui est dit dans le consulat 207 . Son accession potentielle à la charge de secrétaire explique que les critères qui président à son choix correspondent aussi à ceux qui existent pour son aîné. En 1476, le choix d’Antoine Dupont comme coadjuteur de Jacques Mathieu est justifié par plusieurs éléments :
‘[les conseillers], « bien informéz à plain comme ilz disent des sciences, loyaulté et bonne diligence dudit Anthoine du Pont, tant part les rapportz dudit procureur que de plusieurs autres gens notables de cestedite ville, et autrement deuement considérans l’estat et condition dudit Anthoine du Pont, qui est natifz du pays de Lyonnais, marié et résident en cestedite ville et a vécu tout son aaige bien honnestement et sans reproche, pour ces causes et autres justes et raisonnables à ce eulx mouvans, icelluy Anthoine du Pont présent et acceptant ont retenu et retiennent par ces présentes en et pour coadjuteur dudit procureur pour soulager le procureur esdites affaires touchans les exercices de sondit office » 208 .’Dupont est choisi certes parce qu’il est « clerc notaire publicque », comme le dit le texte précédemment, mais ses compétences professionnelles sont à peine évoquées en comparaison de sa réputation. On tient à ce qu’il soit Lyonnais de souche : c’est intéressant puisque dans la première moitié du siècle, les secrétaires du consulat n’étaient pas tous originaires de la ville 209 . Son honneur est garanti par sa situation familiale, on le présente comme étant le « gendre de maistre Anthoine Bailly, tabellion publicque, citoyen dudit Lyon » ; sa réputation est celle d’un honnête homme comme il sied à ce type d’office.
A la mort de Mathieu, Dupont reprend la charge de secrétaire. Il est évident pour tous les conseillers que la fonction de coadjuteur est donc bien l’indispensable marchepied pour accéder à la fonction de secrétaire :le consulat a pleinement conscience de la nécessité de préparer la succession de son rédacteur pour le bon fonctionnement de l’institution.
Ses gages sont réévalués en 1453, 1466 et 1478.
Il touche alors 50 livres, 1456, BB7 f29v. Il avait déjà demandé une augmentation de ses gages en février 1449, car il s’était plaint que ses « charges sont plus grans que piéçà et obstans lesquelles charges il n’a plus voulu servir, ne exercer ledit office sans augmentation des gaiges qui lui furent donnez le temps passé » : les conseillers lui promettent alors de le rétribuer à « XLV escus d’or qui lui seront paiez par le receveur des taillies et deniers communs de ladite ville et par le mandement desdits consulz, de quart en quart d’an », 1449, RCL2 p.602.
1466, BB10 f215.
Il veut clairement obtenir une « croissance et augmentacion de sesdits gaiges ou estre deschargé du tout dudit office de procuration et secrétairie », 1466, BB10 f215.
« Pour certaines copies, mémoyres, instructions et autres escriptures extraordinnaires faictes par Jacques Mathieu procureur de ladite ville et ses clercs es plédoyrie et autres afferes d’icelle ville », 1455, BB5 f254 ; « pour certaines mémoyres, copies et aultres escriptures faictes par Jacques Mathieu procureur de ladite ville et ses clercs es afferes de ladite ville », 1463, BB7 f358 ; « le clerc du procureur de ladite ville », 1467, BB10 f296 ; « pour certaines escriptures, copies et mémoyres par luy [le secrétaire] et ses clercs faictes pour ladite ville, escriptez et déclarez en ung feuliet de papier », 1467, BB10 f247v ; « pour certaines copies, mémoyres et autres escriptures faictes par Jehan Mathieu, procureur de ladite ville et ses clercs », 1468, BB15 f8v.
« Registrant François Massoud en l’absence du procureur estant à Paris », 1451, BB5 f144, f145, f146v, 147v.
1476, BB13 f56-57v.
Lorsqu’Antoine Dupont succède à Jacques Mathieu, il s’empresse de faire remarquer que ce dernier avait obtenu du consulat un « coadjurateur audit office affin de le soulaiger, aux gaiges pour chascun an de L livres tournois, sans diminuer ne appétisser lesdits gaiges dudit feu Mathieu là où il faut maintenant que ledit suppliant porte la charge tout seul, tellement qu’il luy fault nécessairement tenir clerc et ne peut occuper ne faire autre charge où il puisse gaigner ung denier, aussi qu’il a grant charge de femme et enfans sans aucune revenue autre que sesdits gaiges ». Les conseillers lui accordent alors 20 livres tournois de plus, soit 100 livres tournois de gage par an. 1478, BB350, cahier 1, f24.
« Claude Bessonat, notaire royal et substitut dudit procureur et secrétaire », 1477, BB14 f16 ; « cy après s’ensuyt ce que maistre Claude Bessonat, clerc notaire royal, substitut du procureur et secrétaire de ladite ville, a escript et enregistré au papier des actes du consulat d’icelle ville par le commandement et ordonnance de mesdis seigneurs les conseillers de ladite ville », 1477, BB14 f45.
« C’est ce que je, Claude Bessonat, ay receu au consulat de la ville de Lyon soubz mes seigneurs les conseillers de ladite ville en l’absence de maistre Anthoine du Pont, procureur et secrétaire dudit consulat, envoyé de vers le Roy notre sire à Paris pour les affaires communes de ladite ville », BB351, cahier 2, avant le 28 mars 1479.
1476, BB13 f56-57v.
« Ont veu certain petit quayer de papier contenant certaines escriptures et autres peines et travaulx extraordinnaires par Anthoine du Pont, procureur de ladite ville et secrétaire du consulat d’icelle, faictes, prinses et eues, tant par luy que par clercs », BB350, cahier 2, 10 juin 1478.
En 1487 pour donner un coup de main exceptionnel, on s’adresse ainsi à François Massoud : il est possible qu’il soit de la famille de Mathieu Massoud, le secrétaire des années 1440. 1487, BB19 f53v.
« Ledit Anthoine du Pont a promis et juré sur les sainctes Evangiles de Dieu qu’il servira bien et loyaulement mesdits seigneurs les conseillers, ladite ville et la chose publicque d’icelle en tout ce que dit est et autres choses touchans ladite charge sans prandre charge contraire, tiendra aussi secrètes les choses faictes audit conseil qui ne seront de révéler », 1476, BB13 f56-57v.
1476, BB13 f56-57v.
Jean Belmont était de Grenoble, Rolin de Mascon, de Mâcon.