b) Le secrétaire et les juristes du consulat.

Le changement d’attitude des conseillers, qui mesurent l’importance du secrétaire, rouage indispensable pour le bon fonctionnement du consulat, apparaît à travers quelques remarques ou décisions : on le voit lors de la création du poste de coadjuteur à la fin des années 1470, mais cette conscience est bien là dès les années 1460. En 1463, pendant l’absence du secrétaire parti pour régler certains problèmes en cours à la capitale, le consulat tourne au ralenti et toutes les décisions semblent suspendues comme l’avouent à demi-mot les conseillers : « pour cause qu’il leur viennent beaucoup de requestes tous les jours, que l’on les remectre à jusques à la venue du procureur de ladite ville de Lion, lequel est pour ladite ville à Paris et que toutes les supplications se missent à part » 210 . Sans le travail préparatoire du secrétaire, les conseillers s’avèrent incapables de gérer les affaires quotidiennes de la ville, tout est donc reporté à son retour. Les registres ne contiennent pas d’autres exemples aussi parlants de l’importance du secrétaire, mais d’autres signes soulignent son indispensable travail et surtout ce contrôle voilé de tout ce qui se passe dans le consulat : pour preuve, on apprend incidemment qu’il détient toujours de nombreux documents chez lui 211 , alors que les archives commencent doucement à s’organiser ; il garde aussi le plot 212 réalisé pour les offrandes à l’hôpital du pont du Rhône, un symbole de la présence et de l’action consulaire en ville 213 .

Il y a une vraie prise de conscience : la vie politique a besoin de spécialistes. D’ailleurs le changement d’attitude envers le secrétaire correspond à l’entrée au consulat de grands juristes, qui se lancent dans de longues carrières consulaires et ne souhaitent plus une simple distinction temporaire. Ils sont à même de mesurer la difficulté de la double charge du secrétaire-procureur : on fait toujours régulièrement appel à leur compétence pour rédiger des documents importants et on choisit des hommes de confiance, comme par exemple François Buclet en 1487 qui a été consul l’année précédente 214 . Ces demandes sont parfois adressées à des juristes conseillers, qui occupent donc une double fonction, en étant aussi employés exceptionnellement pour rédiger des documents, comme ce fut le cas de Pierre Fournier, licencié en droit et conseiller en 1475 215 .

Lors des absences du secrétaire, il arrive que ce soit un juriste conseiller qui le remplace 216 . Comme le nombre des juristes grandit au sein du consulat, le rôle de consul se trouve de fait modifié grâce à ces nouvelles compétences. Cet état de choses contribue un peu plus à la normalisation des productions écrites du consulat, en conférant à l’ensemble de la documentation une certaine unité de ton. Mais, il ne faut pas penser pour autant que tous les marchands se sentent disqualifiés pour remplir ce rôle : en 1477, Guillaume Baronnat tient pour une journée le registre de délibérations, en l’absence du procureur 217 , or il n’est ni juriste, ni notaire mais mercier. Considère-t-on que les conseillers se valent en tant que scripteurs au sein du consulat ? Peut-être pas, mais la prééminence des juristes n’empêche pas qu’on reconnaisse les aptitudes des autres. Cependant Guillaume Baronnat, plusieurs fois conseiller, est aussi issu d’une longue lignée de consuls, ce qui le qualifie peut-être doublement pour cette tâche exceptionnelle en garantissant qu’il est un homme de confiance. Ce cas reste néanmoins à part, et lorsque des conseillers sont chargés de faire un document, comme pour la période précédente, ils sont automatiquement autorisés à faire appel à des clercs pour rédiger ces papiers 218 .

Un nombre fort restreint d’individus, outre le secrétaire, son coadjuteur et leurs clercs, est donc autorisé à écrire pour et au nom du consulat : pratiquement tous sont des juristes et ont exercé ou exercent la charge consulaire. Les écrits de la ville sont donc aux mains d’un tout petit groupe, aux compétences similaires, ce qui confère à l’ensemble des productions une unité de ton. Le consulat ne veut avoir qu’une voix, afin de donner l’image d’un pouvoir crédible et compétent à tous ceux avec qui il est amené à avoir des relations. C’est aussi une façon très sûre de surveiller la teneur et le ton des écrits, qui parlent de lui ou pour lui. On comprend dans ces conditions la réaction des conseillers lors d’un épisode en 1479. L’archevêque de la ville et le consulat sont en conflit : devant le bailli de Mâcon, représentant du roi, une confrontation est organisée entre un représentant du pouvoir ecclésiastique, Barthélemy Bellièvre et les conseillers, notamment pour tirer au clair les rumeurs d’injures que certains ecclésiastiques auraient prononcées à l’encontre des consuls. Mais la rencontre tourne court :

‘«ledit Bellièvre n’a esté content, ains a demandé charte audit bailli. A quoy lesdits conseillers ont respondu qu’ilz ont leur secrétaire pour registrer et expédier les actes, requestes, responses et autres escriptures et matières qui se traitent au consulat de ladite ville et, pour ce, ne vouldroient que ledit bailly receust ne expédiast aucune charte oudit consulat pour ce qu’il n’estoit pas acoustumé de le faire ains le luy deffendroient tant qu’ilz pouvoient » 219 . ’

Tous ces éléments soulignent que les consuls ne voient plus le secrétaire de la même manière, qu’ils le considèrent presque comme un égal. L’hommage rendu par le consulat à son secrétaire Jacques Mathieu en 1478,lors de ses obsèques en est une preuve supplémentaire :

‘« ont faicte une commémoracion pour l’ame feu maistre Jaques Mathieu, jadis procureur de ladite ville, et ont fait chanter XXIIII messes, comprise une messe à diacre et subdiacre, et ont prins deux cierges, chacun pesant une livre de cire et mises les armes de la dite ville » 220 . ’

C’est la première fois que le secrétaire est l’objet de ces attentions réservées aux anciens conseillers et que le pouvoir considère, de surcroît, qu’il est important que cela figure dans les registres des délibérations et pas uniquement dans les pièces de la comptabilité. Le secrétaire serait-il en passe de devenir l’égal des conseillers ?

Notes
210.

1463, BB7 f347.

211.

Jean Grant est de retour de Paris avec les « appoinctements et ordonnances faictes par le conseil du roy, (…) lesquelles sont demourées es mains du procureur de ladite ville », 1460, BB7 f202v.

212.

Plot = tronc.

213.

« Ont ordonné que le plot, qui autreffoys a esté fait pour mectre à l’hospital du pont du Rosne, estant chieux les hoirs feu Jaques Mathieu jadis procureur de la dite ville, soit meis oudit hospital pour y mectre et tenir l’argent qui y sera errogué des bonnes gens », 1479, BB351, cahier 1, f4v.

214.

« Baillé les articles par escript que ledit messire Buclet ou autre les gecte et après qu’ilz soient veuz par monseigneur le lieutenant », 1487, BB19 f35.

215.

« Maistre Pierre Fornier, l’un desdits conseillers, soit paié, tant pour certaines escriptures reppliqués et duppliqués par luy faictes pour ladite ville en la cause du cas de nouveleté exécuté par ladite ville à l’encontre des fermiers du cartelage et copponage de la Grenete de cestedite ville sus le fait des seignaulx et bulletins que lesdits fermiers fesoient et bailleoient es bonnes gens paisans qui amènent blés à vendre en ladite ville autrement qu’il estoit acoustumé, contenant icelles escriptures environ XXVI feullets de papier, comme pour autres paines et travaulx dudit maistre Fornier, tant en vision et corrections d’autres escriptures et mémoyres touchant les affaires de ladite ville », 1475, BB13 f21v.

216.

Par exemple Gilet de Chaveyrie, notaire et plusieurs fois conseiller (en 1443, 1447-1448, 1450-1451) se trouve être le scribe de plusieurs réunions entre 1450 et 1451. « En l’ostel du change François Garin, ledit de Chaveyrie registrant en l’absence dudit procureur », 1451, BB5 f147v ; mais aussi 1450, RCL2 p.641 ; 1451, BB5 f136v, f147v, f148, f150v. On constate la même chose pour Pierre Fournier, licencié en droit, conseiller en 1466-1467 et qui tient parfois le registre ces années là comme il prend soin de l’indiquer : « registrant ledit P. Fornier », 1466, BB10 f178v, f179, f180, f180v, f182, f182v, f184v. Cas exceptionnel, Chaveyrie est appellé deux fois pour tenir le compte rendu d’une réunion alors qu’il n’est pas conseiller : « Gilet de Chaveyrie registrant en l’absence du procureur », 1454, BB5 f222 ; « audit hostel de feu Jaques Cuer, registrant ledit de Chaveyrie », 1460, BB7 f192.

217.

« Ont admodéré, quicté et remis et autrement, fait comme il est contenu en ung feulhet de papier escript de la main dudit Baronnat, en l’absence du procureur, pour lors occupé à autres choses pour la communaulté de ladite ville », 1477, BB350, cahier 1, f19.

218.

Pour mener à bien la réfection des papiers des estimes, les conseillers autorisent ceux d’entre eux désignés pour cette tâche à prendre « tels clercs que bon leur semblera au cas que le procureur de la ville n’y pourroit vacquer », 1460, BB7 f181-182.

219.

1479, BB350, cahier 2, f25.

220.

1478, BB16 f64v.