2. Les ambiguïtés de la charge de secrétaire.

a) Une charge qui devient un enjeu politique.

Conséquence de cette prise de conscience de l’importance du secrétaire, son choix devient un véritable enjeu politique comme le montre l’élection de janvier 1477.Cet épisode souligne plusieurs éléments : premièrement, ce n’est pas l’adjoint du secrétaire qui assure l’intérim de la charge en attendant une nouvelle nomination. Antoine Dupont est à Paris lorsque cette mort survient : privé du coadjuteur officiel du secrétaire, les conseillers désignent Claude Bessonat, un notaire travaillant souvent pour le consulat pour assurer cette charge 221 . Bien que Dupont soit, potentiellement, le futur secrétaire de la ville, comme les statuts de sa charge le laissent supposer, il semble que la perspective d’avoir un nouveau secrétaire provoque l’effervescence au sein du consulat et des élites urbaines. En effet, la nouvelle élection qui ne devait être qu’une formalité se transforme en une vraie campagne politique : quatre candidats se retrouvent soudain en lice, soutenus par différents notables de la ville. Quelques jours avant la désignation du nouveau secrétaire, les conseillers reçoivent la visite de plusieurs notables, soutenant la candidature d’un autre notaire pour ce poste : Jean Garbot, Pierre Peyron, notaires royaux et Jean Varinier, marchand proposent au consulat Jean de Rostaing, notaire royal de la Fouillousse 222  ; Jean de la Fay, épicier et conseiller, propose François de Raffole ; Pierre de Villars, marchand, soutient Antoine Catherin 223 . Tous ces notaires sont, semble-t-il, des amis de ces marchands et juristes qui s’empressent autour du consulat, ou font partie de leurs clientèles : c’est la preuve que non seulement les conseillers, mais aussi l’élite de la ville a parfaitement conscience du rôle de premier plan que tient le secrétaire ; le compter parmi ses relations, c’est peut-être pouvoir connaître certains secrets. Le terme de « délit d’initiés » est anachronique, mais pas les pratiques qu’il recouvre : le secrétaire sait tout dans le consulat, il est donc très intéressant de pouvoir le compter parmi ses connaissances voire même ses amis ou parents.

Les conseillers refusent de tenir compte de ces propositions et choisissent à la quasi unanimité Antoine Dupont comme successeur de Jacques Mathieu, respectant ainsi la légitimité de Dupont, en soulignant combien il s’avérait « souffisant et ydoyne pour excercer icellui office de secrétaire et procureur et qui ayme le bien et utilité de la chose publicque ». Le discours des conseillers reste sur ces points très formaliste 224 , les raisons présidant au choix final de Dupont nous sont cependant bien connues grâce à l’intervention d’Humbert de Varey, notable de la ville, qui était venu la veille soutenir la candidature de Dupont :

‘« [requérant] instamment mesdits seigneurs les conseillers qu’il leur pleust préférer à tous autres en l’office de secrétaire et procureur de la ville de Lyon, à présens vacquant par le trespas de feu maistre Jaques Mathieu, en son vivant secrétaire et procureur, maistre Anthoine du Pont, notaire et tabellion royal et que ainsi le devoient faire pour trois raisons principalles. La première pour ce qu’il est jeune homme ayant belle représentacion de personne, bon notaire et souffisant pour excercer ledit office et plus grand. La seconde raison, pour ce que en le prenant tel que dessus, l’avoient mesdits seigneurs les conseillers baillé adjoint audit feu maistre Jaques Mathieu et comme tel avoit desja servy certain long temps aux gaiges de cinquante livres tournois. Et la tierce raison estoit pour ce que pour les affaires et besoignes de ladite ville, l’avoient envoyé mesdits seigneurs les conseillers devers le Roy et à Paris, où il s’estoit bien et honnestemment porté et pour ce requéroit comme dessus » 225 .’

Le choix de ce nouveau secrétaire prouve que cette nomination n’est pas anodine : il faut être introduit dans ce milieu pour espérer y faire carrière, c’est-à-dire qu’il faut faire partie de la clientèle d’un personnage important, comme le soulignent les pressions amicales que divers notables tentent de faire peser sur le choix des conseillers. Pour la première fois, être adjoint du secrétaire est un élément capital, car il établit que la personne a déjà des qualités pour exercer cet office : elle connaît les rouages du consulat, les conseillers, les dossiers du moment. Dupont répond parfaitement à ces critères : il est soutenu par un personnage éminent, Humbert de Varey, membre d’une des plus anciennes et des plus prestigieuses familles lyonnaises, ancien conseiller, ancien Elu du Lyonnais et à l’époque général des finances en Languedoc, ce qui ne peut manquer d’influencer une partie des conseillers et des notables qui tiennent à être en bons termes avec lui ; il a été adjoint du secrétaire précédent ; il a brillé dans des missions à Paris, c’est donc un bon diplomate et pas seulement un bon notaire. Enfin, cela peut paraître surprenant, en plus de qualités morales indispensables comme à tout membre du consulat et d’une bonne réputation, Humbert de Varey considère avant tout qu’il est un « jeune homme ayant belle représentacion de personne » : cela traduit en partie un préjugé, la difformité physique ne peut que trahir une âme noire. L’attachement à la prestance est peut-être aussi à rapprocher de la volonté de prestige du consulat : son secrétaire ne saurait être un homme dont le physique pourrait provoquer défiance ou ironie. Toutes ces considérations rejailliraient sur l’image du consulat lui-même.

Notes
221.

« Ont passé mandement à maistre Claude Bessonat, procureur es causes de ladite ville, de la somme de XVI livres tournois à luy tauxée et ordonnée pour les peines et travaulx qu’il a euz à l’exercice de la procuration et secréterie depuis la mort de feu maistre Jaques Mathieu, jadis procureur de ladite ville jusques à la venue du dessus nommé Anthoine du Pont, nouvellement esleu et constitué procureur oudit office, et en l’absence d’icellui du Pont, pour lors estant à Paris pour les affaires de ladite ville, de laquelle somme ledit Bessonat a mercié lesdits conseillers et leur a rendu et baillé les actes et escriptures par luy, durant le temps dessusdit, au prouffit et comunaulté de ladite ville receues », 1477, BB14 f38v.

222.

1477, BB14 f1.

223.

1477, BB14 f2.

224.

« Messire François Buclet, président au consulat, […] demanda et requist à tous les autres conseillers, ses compaignons, qu’ilz et chacun d’eulx voulsissent dire et oppiner duquel desdits requérans, lesquelx lors furent nomméz, seroit le mieulx pourveu. Et premièrement demanda et requist l’oppinion du dessus nommé maistre Hugonin Bellièvre, lequel, ensemble tous les autres, l’un après l’autre, furent d’oppinion et donnèrent leurs voix à maistre Anthoine du Pont, notaire, citoyen de Lyon, et leur raison estoit, ainsi qu’ilz disoient, pour ce qu’il estoit souffisant et ydoine et avoit esté baillé pour coadjurateur comme tel à icellui feu maistre Jaques Mathieu […]. Veues et ouyes lesquelles oppinions par ledit messire François Buclet, présidant, en adhérant à icelle, considéré qu’elles estoient et sont raisonnables et qui seroit bien pourveu dudit du Pont dudit office secrétaire et procureur, pour les causes et raisons que dessus, semblablement lui donna sa voix et par ainsi tous mesdits seigneurs les conseillers, excepté ledit de Bruyère, de leur bon gréz, certaines sciences et pures volentéz, par devant le notaire et tabellion royal et les tesmoings cy dessoubz nomméz, firent, constituèrent, establirent et ordonnèrent secrétaire et procureur de ladite ville de Lyon et du consulat d’icelle ledit maistre Anthoine du Pont », 1477, BB14 f3v.

225.

1477, BB14 f1v.