1. La diminution des pouvoirs du secrétaire.

a) La scission de la charge du secrétaire.

En 1496, le secrétaire se plaint qu’il a trop de charges et peu de gages, il insiste pour dire qu’il s’est tu pendant longtemps, car il n’est pas « criart ou importun ». Il est vrai que depuis son accession au poste de secrétaire en 1476, Dupont n’a fait aucune réclamation, contrairement à son prédécesseur Jacques Mathieu qui avait fait réviser le montant de ses gages tous les dix ans. Pour souligner sa bonne foi, il ne manque pas d’expliquer son silence pendant toutes ces années par son empressement à toujours considérer le bien commun plutôt que son intérêt personnel : « quant je voyes les grans affaires et messires les conseillers se perplex et passionnez à trouver argent, je n’osoye demander car je suis de telle condicion que j’endureroyz plustost beaucop, avent que crier ne importuner » 273 . Pour justifier sa requête, il se lance ensuite dans l’énumération de ses devoirs, en insistant particulièrement sur les changements que cette fonction a connus depuis le début du siècle :

‘« Item fault considéré que ceulx qui ont eu l’office et charge de procureur le temps passé ont facillement pourté lesdits charges pour ce que les affaires estoient petiz et n’estoient lesdits conseillers contraincts ne mandez eulx assemblées que deux foyz la sepmaine. Et le plus souvent ilz n’avoient besoing.
Item que maintenant à l’occasion de ce que la ville est peuplée et le peuple d’icelle creu et augmenté de la moytié plus qu’elle n’a esté au temps passé, tant à cause des foires que autrement, les affaires communes sont aussi creuz et augmentez non pas de la moytié mais des deux tiers. Car là où les conseillers ne s’assemblent quasi tous les jours et bien souvent deux fois le jour pour vuider les affaires qui journellement surviennent.
Item et à ce convient que je assiste et soye présent et escripre les délibéracions, ordonnances et appointements ensemble autres actes qui se font audit consulat. Et pour ce faire je soye le premier actendant et le dernier partant de l’assemblée.
Item et de autre part les habitans de ladite ville ont leur premier accès à moy de toutes les plaintes, douléances, troubles, empeschement et nouvelles suspectez et meneus en ladite ville touchant les affaires communes d’icelle, à quoy fault que je donne le remède et provision que je puis, et ce que je ne puis, je le face faire qui est merveilleuse peine » 274 .’

Tous les arguments du secrétaire sont crédibles, ce qui ne signifie pas pour autant qu’ils sont totalement véridiques. Il est vrai que le travail du secrétaire a changé du fait de la conjoncture, mais il convient de se demander dans quelle mesure Dupont n’exagère pas un peu.

Evolution du nombre de réunions lors des années test.
Evolution du nombre de réunions lors des années test.

Les conseillers se réunissent en moyenne un peu plus à partir des années 1470, cette augmentation est de l’ordre de 27% par rapport à la situation des années 1410-1430, ce qui n’a donc rien de négligeable. Cependant le secrétaire dramatise sa situation en laissant penser qu’au début du siècle les conseillers se réunissaient uniquement deux fois par semaine : il vrai que dans les syndicats deux jours de réunions hebdomadaires sont fixés, mais les conseillers sont amenés à se réunir plus souvent suivant la conjoncture. Si l’on considère un rythme bi-hebdomadaire de réunions, il devrait y avoir en moyenne 104 réunions par an, or ces chiffres ne sont dépassés que pour 1477 et 1497, sans pour autant atteindre le nombre de trois réunions par semaine. Par contre, il est vrai que les conseillers ont tendance à se réunir souvent deux fois le même jour à l’époque où Dupont est secrétaire.

Evolution du nombre de décisions enregistrées par le secrétaire.
Evolution du nombre de décisions enregistrées par le secrétaire.

Ce graphique confirme que Dupont a plus de travail que son prédécesseur, Mathieu qui exerçait de 1447 à 1476 : Dupont a été, rappelons-le, l’adjoint de Mathieu pendant quelques années, il est donc à même de se rendre compte de cette évolution. Le changement démographique et la croissance économique que connaît Lyon sont des données bien réelles, qui contribuent à alourdir le nombre d’affaires traitées par le consulat. Ses longues journées de travail, son astreinte à être en permanence au consulat, sont aussi des éléments objectifs qui font que sa charge est loin d’être une sinécure. Cependant, il est étonnant qu’il vienne seulement se plaindre de cette surcharge après 20 ans d’activité : la lassitude ou bien son âge ne seraient-ils pas en réalité à l’origine de sa plainte ? On notera aussi que le graphique remet ses propos en perspective : en 1417, Rolin de Mascon avait déjà autant de travail que lui.

Il est probable que Dupont ne s’attend pas à la réforme radicale que les conseillers décident alors : la tâche du secrétaire est redéfinie, on scinde sa charge en deux, en créant un office de secrétaire de la ville et un office de procureur, officiellement parce que ces deux fonctions sont devenues trop difficiles à mener de front. Le secrétaire « aura charge venir et assister à toutes les assemblées qui se feront par lesdits conseillers audit hostel commun ou ailleurs en ladite ville pour escripre et enregistrer les ordonnances et appoinctement desdits conseillers, ensemble toutes les autres actes du consulat et sur ce faire propices et actes en forme approbatoire, signez de son seing et les expédier au prouffit de ladite ville » 275 . Cette définition de ses tâches le ravale au rang de simple scribe, d’ailleurs l’énumération de ses devoirs rappelle singulièrement le premier contrat de Rolin de Mascon en 1417.

Notes
273.

1496, BB24 f1.

274.

1496, BB24 f2-v.

275.

1496, BB24 f4.