b) Procureur et secrétaire : deux charges de même valeur ?

Le poids du secrétaire diminue après cette réforme, ce qui n’est pas sans incidence sur le profil de ceux qui se succèdent à partir de ce moment là :

Les procureurs généraux et les secrétaires du consulat, après la réforme de 1496.
Epoque de la charge Procureur général Epoque de la charge Secrétaire
1496-1501 Antoine Dupont, tabellion royal 1496-1506 Georges de la Noyerie, clerc notaire royal
1501-1504 Antoine Berjon, notaire    
1504-1511 Denis Garbot, licencié en droit 276 1506-1549 Claude Granier, notaire royal 277
1511-1521 Benoit Berjon, notaire 278    

Comme Antoine Dupont est le premier secrétaire concerné par cette réforme, il semble qu’on lui ait laissé le choix de son avenir : il est peu étonnant qu’il ait préféré la charge de procureur à celle de secrétaire. Cet homme n’est pas prêt à abandonner son pouvoir au sein du consulat et il est évident, vu la façon dont est redéfinie la charge de secrétaire, que celle de procureur confère plus de pouvoirs et de reconnaissance 279 . Il reste d’ailleurs en fonction jusqu’à sa mort en 1501 280 .

Son successeur en 1496 à la charge de secrétaire est son adjoint depuis 1493, Georges de la Noyerie 281 . A sa mort en 1506, Claude Granier hérite de la charge 282 qu’il conserve jusqu’en 1549 283 . En 1507 les conseillers éprouvent cependant le besoin de lui refaire un contrat :

‘« mesdits sires les conseillers considérans que maistre Glaude Granier, secrétaire de ladite ville et communaulté, ne pourroit bonnement vivre ne entretenir soy et son mesnaige aux gaiges de quatre vingtz livres tournois pour chascune année que luy furent accourdez à sa retenue dudit office de secrétaire, mesmement car ledit office requiert quasi toute sa personne tant à cause des afferes survenans de jour en jour en ladite ville, que autrement pour ces causes et autres à eulx les mouvans et mesmement pour donner couraige audit Granier, secrétaire, de tousjours servir et vacquer audit office de bien en mieulx, lesdits gaiges dudit Granier secrétaire desdits quatre vingtz livres tournois pour an ont estez creuz et augmentez de six vingtz livres » 284 .’

Pourquoi une telle augmentation de ses gages ? On peut remarquer qu’à aucun moment le contrat ne stipule l’existence d’un adjoint du secrétaire. Il est peu probable que cette fonction ait disparu depuis la redéfinition des missions du secrétaire, en revanche, il est possible qu’elle soit à nouveau à la charge du secrétaire. Puisque celui-ci a moins de travail, étant donné qu’il n’est plus procureur, le consulat considère peut-être superflu l’entretien de son adjoint. D’un autre côté, si l’on veut que la charge de secrétaire reste attractive et que celui-ci soit « enclin à bien servir en la charge dudit office » 285 , il convient de le ménager en lui offrant des moyens suffisants. Au secrétaire d’employer comme il l’entend cette augmentation ; l’utilisation d’un clerc reste cependant une nécessité puisqu’il est fait allusion plusieurs fois à lui dans les années 1510 286 .

Les fonctions du secrétaire et du procureur sont conçues comme complémentaires : les conseillers soulignent qu’ils doivent travailler ensemble et « touchant la vuydance des afferes communes, [ils] auront conférance ensemble toutes les sepmaines et feront registre desdites afferes pour les lire à chacun consulat » 287 . On se rend compte rapidement que ces charges n’ont absolument pas la même valeur : le procureur général de la ville est un personnage beaucoup plus important que le secrétaire, il assiste à toutes les réunions 288 , mais alors que le secrétaire est muet, lui est amené à prendre la parole dès qu’on évoque les affaires de justice où la ville est engagée. D’ailleurs, le choix du procureur devient l’objet de luttes d’intérêts entre les grandes familles 289  : on peut le voir lorsque Denis Garbot annonce dès 1508 qu’il entend abandonner sa charge pour entrer dans l’église 290 . Avant même sa démission officielle, Claude Le Charon, docteur en droit, propose pour le remplacer « maistre François Fournier l’un des greffiers du Roy Nostre Sire auquel en tant qu’il a bon zelle et amour à la chose publicque » 291  : ce notaire fait probablement partie de la clientèle de ce grand juriste. D’autres notables font des propositions et la pression semble importante puisque les conseillers sont obligés de rappeler que, tant qu’un nouveau procureur n’est pas choisi « y sera commis le secrétaire comme autreffois a esté fait de toute ancienneté et lequel ilz ont commis à exercier ladite charge de procureur en l’absence de luy et de sondit office de procureur. Et quant ledit procureur se vouldra destituer dudit office de procureur, alors avec bonne assemblée y sera pourveu tous portz et faveurs cessans » 292 .

Après cette réforme, le secrétaire ne se trouve plus jamais soupçonné d’être le 13ème conseiller : avec la perte de sa charge de procureur, son influence diminue singulièrement dans le consulat, alors qu’en tant que scripteur, il joue toujours un grand rôle dans la construction de l’image du consulat. Dans les années 1490-1520, le seul officier municipal qui défraye régulièrement la chronique est le trésorier-receveur de la ville, Jean de Bailleux : il est mêlé à de nombreux affrontements avec les conseillers 293 . Pourtant il semble qu’on ne puisse se séparer de lui puisqu’il occupe cette fonction pendant de nombreuses années. Il apparaît non pas comme un 13ème conseiller, mais comme une sorte de contre-pouvoir au sein du consulat, rôle que n’a jamais pu ni voulu jouer le secrétaire.

Notes
276.

Il démissionne pour entrer « en l’ordre de prestrise », 1511, BB28 f270.

277.

Granier ou Gravier.

278.

Il a été aussi le suppléant de Garbot avant de prendre sa place.

279.

On traite le procureur avec une certaine déférence. Denis Garbot demande que ses gages soient bien calculés, d’autant « qu’il est gradué et homme de robe longue, priant mesdits sires qu’il ne le feissent pas de moindre qualité que sesdits prédecesseurs », ce qu’acceptent les conseillers car il « est homme de robe longue qui a très noblement et dilligent servy », 1508, BB25 f253.

280.

« Mis en délibération combien l’on doit donner de torches à l’enterrement de maistre Anthoine Dupont, en son vivant procureur général de ceste ville, qui est allé de vie à trespas aujourduy matin entre VI et VII heurez, et mardy derrier passé en la maison de céans estant au conseil entre VI et VII heures de soir, sain et en bon point, cheut en appoplexie dont comme dit est, a finy sa vie, Dieu ait son âme », 1501, BB24 f311.

281.

« Ont commis présentement ledit George de la Noyerie notaire royal et substitue dudit procureur général à recevoir et enregistrer les actes, faire et exercer les autres afferes communes de ladite ville et pour assister au conseil luy ont fait faire le serement acoustumé en tel cas », 1493, BB21 f3v. On trouve aussi en tête des registres de la ville : « le quarnet des actes du consulat, receues par George de la Noyerie, notaire royal en l’absence et comme substitue de maistre Anthoine Dupont, secrétaire et procureur général de la ville et communaulté de Lyon », 1493, BB21 f1.

282.

1506, BB25 f1-v.

283.

On notera cependant qu’à partir de 1533, il se fait aider par son fils Jean, notaire royal, qui devient secrétaire à son tour de 1549 à 1564. On peut s’interroger sur l’aspect l’héréditaire de cette charge : ce ne serait pas une première au sein du consulat puisque les Archimbaud occupent la charge de mandeur du consulat de père en fils à partir des années 1430. Voir au sujet des procureurs pour la période suivante l’article de E. Vial, « Les procureurs généraux et les secrétaires de la ville de Lyon », Revue d’Histoire de Lyon, t.7, 1908, p.309-316.

284.

1507, BB25 f188.

285.

C’est une expression que l’on retrouve fréquemment dans la bouche des conseillers lorsqu’ils veulent justifier une augmentation qu’ils concèdent à l’un de leurs employés ou un cadeau à un personnage important. 1497, BB24 f69.

286.

« A esté ordonné que le clerc du secrétaire de ladite ville solicitera les procès de ladite ville jusques à ce que ledit secrétaire ou procureur de ladite ville soient venuz », 1512, BB30 f35v ; « sur la requeste de Guillaume Pengois clerc de maistre Glaude Gravier secrétaire du consulat de la ville n’a esté délibéré. Le sera au premier jour », 1513, BB30 f285v. Le procureur a lui aussi le droit d’employer à ses frais un clerc : « a esté ordonné que le procureur de ladite ville, lequel ne peut estre par tout lesdites affaires et procès qui sont comme dit est grans, preigne ung clerc qui fera les dilligences nécessaires soulz ledit procureur », 1517, BB37 f73.

287.

1498, BB24 f139v.

288.

Le secrétaire indique sa présence à la suite de celle des conseillers en tête des paragraphes.

289.

C’est aussi parce que le secrétaire change beaucoup moins souvent : le procureur n’est pas en effet désigné « à vie » comme le secrétaire.

290.

Denis Garbot procureur de la ville a l’intention de « soy mectre d’esglise à quoy il a totallement couraige, zéle et vouloir », 1508, BB28 f3.

291.

1508, BB28 f3.

292.

1509, BB28 f86v.

293.

En 1495, il échange des insultes avec un conseiller pour un problème de remboursement de frais (BB22 f81) ; il fait traîner volontairement le moment de la « rédition » de ses comptes en 1508, 1513, 1514 et 1515. Certains le soupçonnent de mauvaise volonté, d’autres l’accusent de vouloir déstabiliser le consulat : en 1513 Pierre Renoard fait en plein consulat un réquisitoire contre Bailleux, l’accusant de multiples exactions, notamment de détournement d’argent, d’obstruction au fonctionnement de l’institution et de vol de documents (BB30 f158-159). Nous reviendrons ultérieurement sur ce personnage à l’occasion du rôle qu’il a joué lors de la crise entre les conseillers et les « artisans » dans les années 1515-1520.