2. Le retour dans l’ombre.

a) Une présence qui s’efface.

Cette diminution de pouvoir est concomitante de la disparition totale de la présence du secrétaire dans les registres : quasiment plus aucun signe ne trahit sa présence, il devient invisible.

Présence du secrétaire dans les registres.
Présence du secrétaire dans les registres.

Seulement une apparition en 1507, deux en 1517 : cet effacement traduit peut-être l’idée que le consulat et ses écrits s’institutionnalisent, qu’il n’y a plus de place pour une certaine spontanéité. Les interventions directes du secrétaire dans les registres sont perçues comme le signe d’une trop grande intimité entre le scribe et son écrit, il s’agit d’instaurer un rapport plus neutre, pour donner à ces documents leur statut de mémoire de la ville et en déposséder symboliquement le secrétaire.

Les pratiques identitaires du secrétaire se font aussi plus discrètes : après les années 1497-1498 294 , il est très rare de rencontrer des pense-bêtes dans les registres 295 . La présence de ses prédécesseurs se manifestait par celle du latin : qu’en est-il pour lui ?

Types d’apparition du latin entre 1497 et 1520.
Types d’apparition du latin entre 1497 et 1520.

Les paragraphes indépendants sont très rares et ne sont pas le fait du libre choix du secrétaire : il s’agit toujours d’un document juridique qui est recopié et inséré dans les registres, que ce soit un acte de vente ou d’appensionnement 296 , une donation 297 ou une décision de justice 298 . Une seule exception, un compromis passé entre la veuve d’Henri Calendrier et le consulat est mentionné en latin 299  : le texte du compromis a certainement été passé en latin, ce qui explique que le secrétaire fasse cette indication dans cette langue.

On trouve aussi le cas d’une formule volontairement employée en latin par les conseillers : en 1506, le sénéchal veut inciter les conseillers à faire réparer le pont du Rhône et promet de contraindre ceux qui refusent de payer, « mesdits sires luy ont remercier son bon advertissement et offre, mais en tant qu’il les vouldroit sommer et fere aucun commandement luy ont respondu que ilz y font et ont fait au mieulx qu’ilz peuvent selon les deniers et povoir qu’ilz ont, quia nemo ad impossibile tenetur » 300 . Le latin ne trouve sa place dans les discussions du consulat que lorsqu’il s’agit de briller et d’impressionner un adversaire : l’expression proverbiale prononcée en latin prend soudainement plus de poids et passe pour un argument d’autorité qui clôt la conversation, tout en respectant une certaine diplomatie.

L’essentiel des mots ou expressions en latin qu’utilise le secrétaire sont tirés du vocabulaire juridique : leur usage peut être unique 301 ou rare comme « comodo vel incommodo » 302  ; il s’agit majoritairement d’expressions reprenant les clauses finales d’actes juridiques ou indiquant que le document est à considérer avec les clauses habituelles 303 , ou plus lapidairement soulignant que l’acte est réalisé « in forma » c’est-à-dire en respectant les normes classiques de rédaction 304 . Formation du notaire ou influence des juristes du consulat, difficile de trancher pour déterminer les raisons qui poussent le secrétaire à rédiger en latin, si bien qu’on ne peut pas vraiment attribuer une valeur identitaire à ces apparitions. En fait, on se trouve en position délicate pour déterminer de façon stricte ce qui se rapporte à des pratiques propres au scribe, ou à des normes qui peuvent être imposées par les conseillers en place.

On ne peut isoler avec certitude qu’un petit nombre de situations qui relèvent de l’arbitraire du secrétaire. Deux cas se retrouvent pour cette période 1497-1520. Le secrétaire décide de mettre en lumière un aspect de ces comptes rendus et précise en latin ce qu’il a fait ou comment il l’a fait. Par exemple, lors d’une assemblée en 1503, il indique après la liste des personnes mandées : « ce présent rolle servira pour le mardy XXe jour dudit mois de juing que lesdits notables et maistres des mestiers furent remandez tousjours pour semblable matière qu’est de l’hospital Saint Eloy. Prima die fuerunt quotati in margine et die altera in retro margine » 305 . Il utilise aussi le latin à plusieurs reprises pour souligner l’absence volontaire de compte rendu, puisque « nichil fuit actum » 306 . De façon exceptionnelle en 1502, il indique entièrement en latin que les conseillers ne vinrent pas au consulat à cause de leurs affaires personnelles 307  : la mise en valeur de cet épisode est peut-être une condamnation implicite de cette attitude, peu en accord avec la recherche du bien commun primant sur l’intérêt personnel. Mis à part ces deux cas assez nets d’utilisation du latin, il semble que les mots isolés qui apparaissent sont plutôt des glissements inconscients 308 ou des habitudes de notation 309 pour mettre en valeur certains aspects 310 , ou des marques de déférence comme lorsqu’il évoque la curia romana 311 .

Notes
294.

Exemples : « Mémoyre de fere oster le banc de boucherie.

Item de fere adouber la porte de la Roche.

Item la porte de la Rantorie », 1497, BB24 f87 ; mais aussi BB24 f94v, f108, f115, f129v; 1498, BB24 f141, f170v, f180v.

295.

« Mémoire de faire abatre l’ormez sec qui est en la place commune soubz la croix », 1501, BB24 f336v ; 1512, BB30 f27v.

296.

Acte de vente d’une maison rue de la Croisette, achetée pas Antoine Barthélemy, 1500, BB24 f256v ; acte d’appensionnement pour Pierre Boisson, boucher de Lyon, 1506, BB25 f11v–15 ; acte de revente d’une pension, 1510, BB28 f160 ; lettre d’appensionnement d’un passage entre les conseillers et le chanoine François Bourdain, 1516, BB34 f244-247.

297.

Lettre de donation d’un jardin et vigne à l’hôpital de saint Laurent par maître Pierre Fournier, 1507, BB25 f202v-204 ; donation pour l’hôpital d’une partie des biens d’André Gaillardin, 1508, BB28 f50v-54v.

298.

Sentence donnée par le juge des ressorts sur le mystère de La Conception notre Dame joué sans permission, 1517, BB37 f190v.

299.

« Honorabilis mulier relicta Henrici Calendrier ratifficat compromissum factum parte consiliariorum et parte Henrici Boante et promectit habere gratum, presentibus Johanne Chappuys, Johanne de Arbeuro notaris et Claude Cruis », 1499, BB24 f199v.

300.

1506, BB24 f539.

301.

« Information sera faicte pro contrarium parte », 1497, BB24 f125 ; « le double des lectres qu’a envoyé derrière maistre Amyot faisant mencion de l’article que dit vadat ad regem, 1498, BB24 f149 ; « a esté ordonné dupplicquer la procuracion que fut passée à Laurent Bernollet in restrictionem forma ad ordinationem dicti de Bourg », 1501, BB24 f328v ; « le procès qui pend en la court ordinaire super menciacione non operis », 1519, BB39 f42.

302.

« A esté délibéré qu’on doit avoir les enquestes faictes de comodo vel incommodo des foyres », 1498, BB24 f134v ; procès à Paris des métiers jurés : « a esté plaidoyé et a esté dit que les choses demeureront en l’estat où elles sont de présent et néantmoingz l’informacion super comodo vel incomodo sera récollée se bon semble à mesdits sires les conseillers et pourront faire examiner autres tesmoings pareillement partie adverse », 1515, BB34 f24v.

303.

« Cum promissione juramenti prestacionem bonorum obligacionem et clausules opportunes testes Clément Trie et Guillaume de la Balme », 1507, BB25 f199v ; autres exemples : 1499, BB24 f203v ; 1504, BB24 f457v ; 1510, BB28 f211 ; 1511, BB28 f317 ; 1514, BB33 f90v, f99v, f105v ; 1515, BB33 f199 ; 1516, BB34 f224v, BB37 f7v ; 1517, BB37 f115, f130 ; 1518 BB37 f143v, f233.

304.

« Sont venuz maistre Jehan Desme et messire Anthoine Le Maistre pour demander et avec expédicion in forma de la response et acceptation qui leur fut faite », 1500, BB24 f246v ; « hic instratur et fit registro in forma », 1502, BB24 f353v ; « messire Glaude Le Charon, procureur du Roy et chef du consulat a protesté in forma », 1504, BB24 f446. Autres exemples : 1502, BB24 f343, f366, f370v, f386 ; 1504, BB24 f444v ; 1505, BB24 f526 ; 1506, BB24 f544v ; 1507, BB25 f95v, f97v, f104, f188v, f191 ; 1509 BB28 f68v, f96, f121 ; 1510, BB28 f196v ; 1511, BB28 f261 ; 1513, BB30 f155 ; 1514, BB33 f165.

305.

1503, BB24 f408. Autres exemples : Jean Buatier « a esté modéré à XVI cens livres tournois. Registratum est in folio papiri exordinem », 1499, BB24 f226 ; mandement pour du vin : « depuys paié de la despense commune. Ideo fiat hic mencio registrando », 1500, BB24 f285 ; « comparverunt ut in rotulo », 1501, BB24 f315v ; « videantur lictera per registrando », 1502, BB24 f382v ; « videatur mandatum », 1503, BB24 f436.

306.

1510, BB28 f191. Autres exemples : « nichil fuit actum », 1513, BB30 f246v ; « nichil alud fuit actum », 1513, BB30 f250 ; « nichil », 1513, BB30 f250.

307.

« Nota ibi ponere et registrare que martis et jovis ultime non fuerunt dominum consules congregate licet fuerunt mandati quia occupatuerunt suis negocium propter mundinas », 1502, BB24 f355v.

308.

« Ung quidem a donné audit hostel Dieu », 1510, BB28 f227.

309.

En marge « vade supermo », 1501, BB24 f293v. « A esté remys en termes la ferme des bestes vives et chevaulx que tenoit Maurice Blanchard pour mil IIc livres tournois, lequel s’en est allé hospite in salutato et n’a payé que le premier quartier », 1515, BB33 f255v, f296v.

310.

Ainsi en 1500, le secrétaire met en marge la mention : « Credita thesaurario », en face du paragraphe narrant l’examen des comptes du trésorier de la ville (1500, BB24 f283).

311.

1502, BB24 f361v.