c) Difficulté à saisir l’oralité.

L’oralité, en tant que telle, apparaît peu dans les registres consulaires. On ne trouve jamais de paroles rapportées au style direct ; peu de propos ont l’air d’être réellement le décalque de paroles échangées au cours d’une réunion. Il y a une reconstruction des échanges. L’écrit masque l’oralité, mais cela n’empêche pas qu’elle affleure dans les comptes rendus, parfois en creux.

On peut aussi se demander quel reflet l’écrit donne de l’oral. Ce qu’on écrit retranscrit-il fidèlement ce qui est dit ? S’exprime-t-on dans une assemblée comme dans la rue ? Et parle-t-on d’ailleurs la même langue dans les deux cas ? Les échos des paroles tenues dans les tavernes ou les étuves, lieux de rencontre de toutes les classes de la société, les rumeurs et les cris 396 ou bien, pour reprendre les termes de M. Bakhtine, « le vocabulaire de la place publique » 397 , qui sont communs à tous les membres de la société, n’apparaissent que rarement à l’écrit, sous forme de scories 398 . Cette censure et surtout cet oubli sont à l’origine d’un travail intéressant sur les niveaux de langue. Le multilinguisme des élites est aussi une preuve qu’écrit et oral entretiennent des relations complexes : l’identité culturelle d’un individu ne réside pas uniquement dans la langue écrite qu’on lui prête, il s’agit de traquer tous les signes d’une utilisation courante d’autres langages pour mieux cerner qui il est. Il faut cependant garder à l’esprit qu’on ne retrouve jamais complètement la parole derrière l’écrit. Retrouver les paroles, l’oralité stricto sensu dans les registres des délibérations reste une illusion, il ne s’agit pas de courir après des chimères, il y a bien une reconstruction des paroles.

Notre méthode d’analyse des registres étant définie, et les principaux écueils de cette étude identifiés, intéressons-nous aux caractéristiques de ces documents et à ce qu’elles peuvent nous apprendre sur les conseillers lyonnais.

Notes
396.

Haro ! Noël ! Oyé ! Pratiques du cri au Moyen-âge, sous la direction de D. Lett et N. Offenstadt, Paris, 2003.

397.

M. Bakhtine, L’œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen-âge et sous la Renaissance, Gallimard, 1970, p.148.

398.

« L’on rend ses sentiments quand on parle, et ses idées quand on écrit », J.-J. Rousseau, Essai sur l’origine des langues, chap. V, p.67.