Chapitre 3. Archives et documents consulaires

Dans son article « La mémoire des élites urbaines dans l’Empire à la fin du moyen-âge entre écriture de soi et histoire de la cité » 597 , P. Monnet se demande s’il existe une mémoire spécifique de la ville au moyen-âge. Les chroniques publiques ou privées des diverses villes de l’Empire aux XIVe et XVe siècles, sont différentes des registres consulaires lyonnais car elles mêlent « intimement récit personnel, récit familial et chronique de la cité et [génèrent] ainsi une forme complexe et composite de culture du souvenir » 598 . Notre documentation est plus normative, centrée sur l’action du consulat, sans place pour l’intime, mais elle soulève le même type d’interrogation : quelle mémoire les conseillers souhaitent-ils pour leur ville ? Les chapitres précédents ont montré qu’en dépit du filtre que représente le secrétaire, la mémoire contenue dans les registres est d’abord celle des conseillers et de l’institution consulaire. S’interroger sur ce que contient cette mémoire, c’est se demander ce qui est jugé digne de conservation.

Un marchand florentin, Paolo da Certaldo conseillait à son fils : « chaque fois que tu fais dresser un acte chez le notaire, prends ton livre et reportes-y le jour, le notaire et les témoins, la raison et les gens impliqués, de sorte que, si toi-même ou tes fils en ont besoin, tout cela puisse être retrouvé. Pour échapper aux accidents et aux dangers que font courir les méchants, il faudrait toujours faire une copie. Garde la tienne dans ton coffre » 599 . Les registres de la ville témoignent de cette obsession de l’écrit, et peuvent être perçus comme un inventaire des écrits consulaires : ils sont le document qui parle de tous les autres. C’est aussi dans leurs pages que sont sans cesse définis ce que doivent être les écrits du consulat, pour être formellement aptes à garantir toutes les informations dignes de mémoire.

Cette réflexion sur la mémoire consulaire ne peut prendre tout son sens qu’en replaçant les registres de la ville dans le contexte plus général des archives consulaires : comment l’écrit est-il conservé, que représente la notion d’archive pour les conseillers, et comment évolue-t-elle ? Chaque écrit est aussi le produit du consulat : quelles normes président à sa réalisation formelle, que révèlent-elles des idées des conseillers ? Enfin à qui est destinée cette mémoire ?

Notes
597.

P. Monnet, « La mémoire des élites urbaines dans l’Empire à la fin du moyen-âge entre écriture de soi et histoire de la cité », Memoria, communitas, civitas . Mémoire et conscience urbaines en occident à la fin du Moyen-âge, sous la direction de H. Brand, P. Monnet et M. Staus, Thorbeckle Verlag, 2003, p.49-70.

598.

P. Monnet, op.cit., p.51. La question de P. Monnet fait écho à la réflexion de P. Ricœur : « la phénoménologie de la mémoire (…) se structure autour de deux questions : de quoi y a-t-il souvenir, de qui est la mémoire ? ». P. Ricœur, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, 2000, p.3.

599.

Ch. Klapisch-Zuber, « Comptes et mémoire : l’écriture des livres de famille florentins », L’écrit dans la société médiévale, CNRS, Paris, 1991, p.251-258. Y. Grava note aussi l’importance de l’écrit face à la mémoire, la crainte de la déformation des faits qui donne tout son pouvoir à l’écrit et que l’on retrouve dans les préambules des chartes provençales des XIIe et XIIIe siècles : « memoria omnium valde labilis… », « Scribatur carta, ne aliquis facto traditione obviet ne oblivione datum a memoria decidat ». Cependant si les notaires ont un pouvoir dans une société d’illettrés, « l’écrit seul reste infirme » : dans la société médiévale, le geste et la parole ont autant de pouvoir. Pour qu’il y ait mémoire il faut qu’il y ait témoins : comme on va le voir pour la société lyonnaise, l’écrit et la mémoire orale ne s’excluent pas nécessairement. Y. Grava, « La mémoire, une base de l’organisation politique », Temps, mémoire et tradition au Moyen-âge, Actes du XIIIème congrès de la SHMES, Aix 1982, Paris, 1983, p.69-94.