II. Un consulat à l’image de ses productions écrites.

1. La normalisation des documents : le reflet d’une perfection consulaire.

La justification par une preuve écrite est une nécessité au consulat, la tenue d’une comptabilité rigoureuse demande des pièces justificatives pour tous les paiements 783 . Aucun gage n’est donné sans déclaration écrite des travaux effectués, une façon pour les conseillers de se protéger contre toute accusation de dilapidation des fonds. L’écrit est au fondement du pouvoir, il est la voix du consulat qui ne se perd pas dans les airs 784 . Un ordre écrit a une existence indéniable et implique une réalisation effective sous peine d’attaques en justice 785 . Mais les conseillers accordent surtout beaucoup de soin à l’écrit parce qu’il leur donne une connaissance mathématique de leur monde, c’est-à-dire de la ville. Ils comptent et font compter sans cesse pour savoir quelles sont les marchandises qui entrent et sortent de la ville ou qui sont vendues et achetées 786 , pour surveiller qui sont les habitants qui ne payent pas leurs impôts et pour quelles raisons 787 , et pour vérifier les comptes de leur trésorier, donc les ressources de la ville 788 . Cette attitude correspond à l’idée que la ville et un ouvroir se gèrent de la même façon, ces conseillers sont surtout des marchands : comme dans leur boutique ils doivent connaître leurs stocks de marchandises, leurs acheteurs et débiteurs et il convient qu’ils tiennent une bonne comptabilité. Le conseiller est celui qui connaît la ville comme sa propre boutique : sa connaissance est numérique et non pas politique. Dans ces conditions, il est impensable que le consulat ne surveille pas la production des documents consulaires.

Notes
783.

Lorsque des commis demandent des gages pour leurs travaux il leur est répondu « qu’ilz baillent ce qu’ilz auront fait par déclaration en escript et lors l’en leur fera toute rayson », 1424, RCL2 p.88.

784.

Quand il est demandé à des commis « que ilz alent araser [= démolir] la tourt devers Pierre en Cise », le secrétaire stipule que « s’il ne le vuelent faire, [qu’il] les en requière pour charte », 1425, RCL2 p.152.

785.

Cependant l’oralité n’est pas bannie du consulat. En 1485, Guillaume Bullioud, juge ordinaire et Louis Blandet, procureur général du cardinal de Bourbon sont reçus au consulat à cause de certains articles baillés par les conseillers au cardinal, qui « estoient couchez telz lengaiges sauf à dire plus à plain par escript ou de bouche et affin de sommer lesdits conseillers s’ilz veulent ne entendent autre chose dire de bouche ne par escript », (1485, BB15 f347v). Que les modifications puissent être faites indifféremment par écrit ou par oral, prouve que l’oralité reste valable dans certains cas, le poids de la parole donnée est encore une réalité. A contrario, les conseillers ont toujours tendance à se méfier des paroles : l’écrit fixe les mots, et à moins de douter de son authenticité, il est le vecteur le plus sûr pour toute communication ; il n’empêche, cet écrit a toujours un porteur, qui peut par ses paroles atténuer ou amplifier certains aspects du message. Les conseillers en sont conscients et c’est l’une de leurs craintes lorsqu’ils désignent un envoyé : il doit toujours faire serment de ne pas outrepasser sa fonction en formulant des idées non comprises dans les mémoires qui lui sont remis. Ainsi lorsque Pierre Giraud, clerc notaire, est envoyé auprès du roi pour rétablir les foires, il doit jurer « de non prendre aucun pièce ne escriptures, ne de fere besoigner, ne parler de bouche, ne par escript pour lui ne pour autre devers lesdits sires [le roi et le général du Languedoc], tant seulement tout ainsi que les mémoyres, lesquelles lui seront baillées, signéez de la main du procureur de ladite ville contiendroient, et promectroit et ce sur paine de privacion de sesdits gaiges », 1464, BB7 f409. Autre exemple : « ont requis iceulx ambaxadeurs qu’ilz n’aient à parler ne prenent autre charge devers ledit sire, sinon tant seulement de la matière et teneur esdits mémoyres et des afferes de la ville », 1466, BB10 f178v.

786.

« Il a enregistré toutes les marchandises qui sont parties desdites foyres et trespassées en l’Empire et fait leurs passeports [= autorisation de circuler] », 1421, RCL1 p.281. Les conseillers accordent licence aux marchands de Bourgogne pour vendre du blé aux boulangers de la ville à condition « qu’ilz baillent par escript les noms et la quantité que sera vendue ausdits boulengiers », 1502, BB24 f349.

787.

Ils ordonnent de refaire les papiers de la taille : ainsi ils « sauront les noms de tous les habitans de Lion, afin de faire faire tous fais communs de ville à pluseurs qui ne le font mie et que l’en ne cognoit point », 1421, RCL1 p.298. Les commis à lever l’impôt « seront tenus de escripre tous ceulx de qui ilz recevront monnoye de roy et quantité », 1434, RCL2 p.374.

788.

« Que l’en die à Bererd Jacot qu’il face l’original de ses comptes des tailles qu’il a levées aux despens de la ville, afin que toujours l’en puisse veoir clèrement la recepte et dispense qu’il a fait d’icelles », 1422, RCL1 p.361.