a) L’indépendance du choix.

L’élection des conseillers par les maîtres des métiers est-elle libre ou subit-elle des pressions ? Dans la première moitié du XVe siècle, le contexte de la guerre de Cent Ans influence le consulat, et il existe bel et bien une pression royale qui pèse sur les élections. Elle est tangible lors de l’élection de 1417 :

‘« Monseigneur Messire Philippe de Bonnay, chivallier et bailli de Mascon, fist faire le serement ausdessus dits conseillers d’estres bons et vrays subgiés et obéissants au Roy nostre sire, et ce selon la teneur de la composicion faite entre le Roy Philippe et l’arcevesque de Lion, pour lors l’an mil CCC et vint. Lesqueulx conseilliers et pluseurs de plus notables borgois de la ville firent le serement dessudit » 922 . ’

C’est la seule et unique référence au XVe siècle de la création de la commune en 1320 par le roi de France Philippe le Bel, après un accord avec l’archevêque de Lyon, Pierre de Savoie. Cette allusion à l’année fondatrice du consulat et de ses privilèges, ainsi qu’au rôle joué par le roi de France pour l’émancipation des Lyonnais, est rappelée dans un contexte difficile pour la royauté : les nouveaux conseillers sont sommés de se souvenir de ce qu’ils doivent à la royauté. Le bailli de Mâcon leur fait prêter serment, ce qui est inédit car ce sont normalement les anciens conseillers qui exigent des nouveaux élus ces serments. En accomplissant ce rituel devant cet officier royal, les Lyonnais affirment et affichent ainsi leur loyauté envers le roi de Bourges, et promettent de faire leurs devoirs envers la couronne. Cet épisode est intéressant, car dans leurs serments on trouve plus généralement des éléments se rapportant à leurs devoirs envers la communauté de Lyon, « c’est assavoir de bien et leyaulment régir et gouverner la police, soy assambler quant mandez seront et leur sera possible pour les affaires de ladite ville, tenir secret ce que sera fait et appoincté en conseil et faire toutes autres choses que ont acoustumé de faire leurs prédécesseurs consulz et sindiques de ladite ville » 923 .

Bien que les Lyonnais soient fidèles pendant toute la guerre au futur Charles VII, la proximité de la Bourgogne met la ville en situation délicate. En 1418, le roi se défie de la ville et par crainte de conseillers pro-bourguignons au sein du consulat, il casse l’élection :

‘« les maistres des mestiers de la ville et notables ont esté d’accors que pour révérence des lettres du Roy, nostre sire, et de monseigneur le Daulphin, à eulx envoyées, les consulzs de l’année présente demorront pour l’année avenir comme lesdis seigneurs le commandent par leurs lettres. Et pour ce lesdis maistres se sont départis de la première élection de conseillers nouveaux et ont eslit pour l’année advenir les conseillers de l’année présente, porveu que l’on fera le sindical de la première élection, à cause de la coustume, qui demorra clos sans publier. Item le sindical de la seconde élection qui sera publié, auquel seront enserrés les lettres du Roy et de monseigneur le Daulphin pour l’année advenir » 924 .’

Le roi a donc le pouvoir d’annuler ou de changer une élection. Ce cas reste cependant unique : des mesures d’exception sont prises parce que les Lyonnais sont accusés par un habitant de se préparer à trahir le roi au profit de la Bourgogne 925 . Les nouveaux conseillers choisis sont soupçonnés de ne pas être fidèles à la royauté, d’où cette cassation. La ville qui est en porte à faux avec le pouvoir royal ne peut refuser cet ordre de maintenir l’ancien conseil de ville. Si le déroulement de l’élection est donc bouleversé, cette annulation doit cependant tenir compte des règles habituelles, c’est pourquoi on attache tant d’importance à la non publication du premier syndicat.

L’indépendance reste difficile face au pouvoir royal, d’autant que le bailli de Mâcon vient s’installer à Lyon ; bien qu’unique, cette intervention directe du souverain marque les esprits et il est possible qu’elle explique en partie certains comportements. L’élection des conseillers est menée par les maîtres des métiers. On insiste particulièrement sur la concordance de leurs avis dans les registres, l’aspect des choix individuels est totalement escamoté par des formules telles que : « ont eslit, nommé et constitué, comme la plus grant et saine partie d’iceulx maistres de mestiers et par ces présentes eslisent, nomment et constituent conseillers et sindiques nouveaulx… » 926 . Il est évident que l’on cherche à donner une impression d’unité en des temps troublés : cette image est certes destinée à la population, afin de la rassurer, pour que le consulat et les assemblées lui apparaissent être des pôles de stabilité. Mais peut-être que cette image est aussi destinée au roi : ces gages de bonne conduite seraient affirmés afin qu’il ne se mêle plus des élections.

Notes
922.

1417, RCL1 p.26.

923.

1447, RCL2 p.530 ; idem : 1417, RCL1 p.37.

924.

1418, RCL1 p.92.

925.

Ce complot est en réalité une invention de Jean Le Viste, très riche docteur en droit lyonnais, « chef » de la bourgeoisie, mêlé de près aux activités municipales. Il se rend à Paris en août 1417 et feint de craindre l’élection à la fin de l’année d’un consulat pro-bourguignon. Le roi ordonne la surveillance des élections par ses officiers, puis pour plus de tranquillité casse le nouveau consulat de 1418. Les Lyonnais s’inclinent, mais apprennent rapidement le rôle que Le Viste a joué grâce à quelques lettres compromettantes tombées en leurs mains. Aussitôt des excuses publiques sont demandées et un procès est même engagé devant le Parlement. L’affaire s’achève sur un compromis, mais Le Viste perd tout crédit au sein de l’élite et n’est jamais réélu. A. Kleinclausz, Histoire de Lyon. Des origines à 1595, Lyon, 1939, réédition Marseille, 1978, tome 1, p.246-248.

926.

1446, RCL2 p.521 ; idem : 1425, RCL2 p.159 ; 1433, RCL2 p.360.