Un autre aspect symbolique qu’il convient de souligner concerne le temps des réunions : son évolution constitue, elle aussi, un révélateur des pensées des conseillers.
Le consulat doit se réunir 2 fois par semaine. Il n’est pas toujours spécifié quels jours sont retenus ; cela change d’ailleurs au cours du siècle : il s’agit du mercredi et du vendredi en 1424 1082 , du mercredi et du dimanche en 1448 1083 . En réalité, comme la période est troublée, les réunions ont lieu quand il est nécessaire, tous les jours de la semaine sont propices si l’on observe les années repères.
La décision de définir deux jours de réunion hebdomadaires a été prise sans doute plus pour limiter les contraintes des conseillers qui mènent en même temps leurs affaires, que pour lutter contre l’absentéisme. En 1448 les deux jours choisis sont particuliers : le mercredi, soit le milieu de semaine pour faire le point sur les problèmes, car on peut raisonnablement penser que les conseillers peuvent laisser leurs commerces, et le dimanche, ce qui est plus surprenant. L’exemple de 1448 n’est pas anecdotique si l’on observe le graphique. Le dimanche est fréquemment un jour de réunion, cela signifie donc que les réunions ne sont pas assimilées à un travail : être conseiller n’est pas une charge lorsque cela arrange… Le dimanche est visiblement choisi pour des raisons pratiques : pas de travail ce jour là, donc pas de contraintes, et la messe dominicale est le moment idéal pour se retrouver tous 1084 et poursuivre par une réunion politique, à moins qu’on ne mette ces deux types d’assemblée sur des plans voisins. Par ce biais là, les réunions consulaires ont un caractère quasi religieux : se réunir le dimanche ne constituerait pas une offense à Dieu, car servir la cité équivaudrait d’une certaine façon à servir Dieu.
Outre l’acquisition d’un hôtel de ville appartenant en propre au consulat, l’affirmation du pouvoir consulaire passe aussi par l’établissement de règles plus strictes pour déterminer les jours et les heures de réunion à partir des années 1460. Le temps des assemblées, comme le siège du pouvoir, s’institutionnalise. Fixer ces moments donne une image de stabilité et de sérieux au consulat : l’image du pouvoir se construit dans tous les aspects. Contrairement à la première moitié du XVe siècle où les jours de réunion fluctuaient, deux jours sont fixés définitivement comme étant ceux des réunions hebdomadaires : le mardi et le jeudi. Mais dans tous les syndicats il est bien spécifié qu’il s’agit d’un minimum et qu’il faudra se réunir « plus souvent se mestier est » 1085 : le graphique prouve que tous les jours de la semaine peuvent être propices. Cependant force est de constater que les lundi, mercredi et samedi sont rarement des moments de réunion ; en revanche comme pour la période précédente, le dimanche est toujours un jour d’assemblée, quasiment institutionnalisé puisqu’il y a pratiquement autant de réunions ce jour là que les mardi et jeudi. Pourtant, en 1450 les conseillers avaient décidé de se réunir « non plus les dimenches, si non qu’il leur feust nécessaire, attendu que ung chacun, ledit jour de dimenche, se doit occuper au service divin » 1086 .
La mention de l’horaire des réunions et du calendrier religieux constitue enfin un dernier aspect, lui aussi révélateur de la volonté d’émancipation des conseillers. Le graphique qui suit, indique l’évolution du pourcentage des réunions où le secrétaire spécifie l’horaire et / ou la date religieuse correspondante.
Les conseillers et le secrétaire ne tiennent pas particulièrement à calquer leur calendrier sur celui des dates religieuses ; peu d’entre elles sont indiquées dans les registres, suivant les années, entre 7% et 13,5% des dates comportent une telle mention jusque dans les années 1460 1087 . Sans grande surprise, certaines dates religieuses sont cependant plus importantes que d’autres : Pâques et les jours de la semaine sainte, parce qu’au delà de l’importance chrétienne de ces dates, elles sont aussi le moment de la « mutation d’année ». Lyon appartient aux villes qui ont adopté le « style de Pâques », et qui considèrent donc que l’année débute à ce moment 1088 . Parmi les autres indications récurrentes, se trouvent outre la saint Thomas jour de la publication du syndicat, Noël, et le Carême. Suivant les années, sans qu’il y ait semble-t-il de raison particulière, certains jours sont indiqués avec leur saint 1089 .
Les indications d’horaire sont peu courantes jusque dans les années 1460 : entre 11 et 23% des jours de réunion en présentent. La plupart de ces horaires restent vagues, comme « devers matin », « après disner », ou font référence au temps de l’église : « heure de tierce », « heure de vespres », « heure de complie » 1090 . Il est plus rare de trouver indiquée une heure exacte comme « devers huit heures » 1091 ou « pour ce demain, à sept heure… » 1092 . D’une manière générale, les conseillers ont une conception assez floue du temps de la réunion, ceci n’apparaît pas comme une indication très importante, peut-être parce que le déroulement des séances du consulat n’est pas encore entièrement codifié 1093 .
A partir des années 1460, se produit un changement dans la façon d’écrire les dates, concomitant avec l’affirmation du pouvoir consulaire qui acquiert enfin un hôtel de ville. Un double mouvement se dessine : d’un côté on constate la multiplication des références à des horaires précis, de l’autre la disparition des dates religieuses. Les conseillers s’émancipent du pouvoir religieux et s’affirment comme le vrai pouvoir dans la cité : on l’a vu précédemment pour les lieux de réunion, le changement dans la notification des jours et heures de réunion va dans le même sens. Les seules dates religieuses qui perdurent réellement sont celles de la saint Thomas apôtre, jour de l’élection du nouveau consulat et de Pâques, étant donné qu’elle marque toujours le début de l’année à Lyon. Toutes les autres dates apparaissent fortuitement 1094 . Les horaires des réunions sont aussi très instructifs.
Les horaires sont indiqués de plus en plus fréquemment. On garde cependant la division monacale du temps : « tierce », « none », « vespres ». Les conseillers indiquent plus fréquemment s’assembler à « tierce » 1096 qu’à « heure de neuf heures » 1097 au milieu du XVe siècle. Cependant à partir de la fin des années 1480, ces horaires monastiques cèdent définitivement la place, soit à des indications plus générales, comme « de matin » ou « après disner » 1098 , soit, mais c’est encore rare, à des indications chiffrées.
Les réunions n’ont pas lieu n’importe quand dans la journée : le tableau montre explicitement que les réunions se déroulent souvent le matin ou en début d’après-midi, après le repas. Les horaires, lorsqu’ils sont donnés, peuvent paraître de prime abord un peu surprenants : les conseillers se donnent rendez-vous « demain matin à huit heures » 1099 , ou à « six heures de matin » 1100 voire à « cinq heure de matin » 1101 . Ces horaires sont fort matinaux, certainement pour permettre aux conseillers à la fois de servir la ville, puis de s’occuper de leurs affaires. Il faut aussi prendre en compte le fait que les conseillers ont un rythme calqué sur celui du soleil : les différents horaires relevés dans les textes sont liés à la durée du jour suivant la période de l’année. La journée débute au lever du jour : le rendez-vous à 5 heures du matin en 1477 se trouve être un 22 juin, soit l’un des jours les plus longs de l’année… Les conseillers ne se réunissent pas en pleine nuit comme des conspirateurs, ils essayent simplement de trouver des horaires leur permettant de mener conjointement leurs affaires privées et celles de la ville. C’est ce qui explique aussi que les réunions aient souvent lieu en début d’après-midi : chacun a ainsi sa matinée pour vaquer à ses occupations 1102 .
Au début du XVIe siècle, le pouvoir urbain se perçoit et entend donc être perçu comme indépendant, notamment vis à vis de l’église. Quelques nuances cependant sont à apporter à ces affirmations, l’institution consulaire renferme tout de même, comme dans bien des villes, des éléments religieux : le chiffre symbolique des 12 conseillers, l’élection le jour de la saint Thomas apôtre, l’intervention de l’Esprit Saint dans les désignations des conseillers 1103 , les modes d’élection et de vote issus de pratiques religieuses, le serment sur les Evangiles 1104 …
« Ilz ont ordonné que durant leur année, ilz seront chascune sepmaine deux fois à Saint-Jaquème, c’est assavoir les mercredi et vendredi à VII heures », 1424, RCL2 p.94.
« Ont arresté et conclu de soy assembler et convenir en ladite chapelle Saint-Jaquème ou aillieurs tous les dimanches et tous les mercredi de ladite année, pour conférer et adviser sur lesdites affaires », 1448, RCL2 p.559.
Qu’il s’agisse des seuls conseillers ou d’assemblées générales avec la population ou ses élites.
1465, BB10 f43.
1450, RCL2 p.666.
F. Autrand, qui a étudié les archives du Parlement de Paris entre 1350-1450, fait remarquer que d’une manière générale les hommes du moyen-âge sont plus sensibles à la durée qu’aux dates. La volonté de noter de façon exacte les dates est une habitude notariale, ce qui n’implique pas pour autant de donner des précisions sur le calendrier religieux ni sur les horaires. F. Autrand, « Les dates, la mémoire et les juges », Le métier d’historien au Moyen-âge. Etudes sur l’historiographie médiévale, sous la direction de B. Guenée, Paris, 1977, p.157-182.
Il règne un certain désordre dans les dates de commencement de l’année : outre le style de Pâques employé à Lyon et très utilisé en France, parce qu’il est le style officiel de la chancellerie, il existe d’autres pratiques. Le style de la Nativité (25 décembre) est fréquent dans les pays germaniques et en Dauphiné, c’est aussi celui de Soissons ; celui de l’Annonciation (25 mars) se rencontre surtout dans les Iles britanniques ou en Toscane, mais on le trouve en France à Reims et à Beauvais. Il existe aussi des coutumes propres à certaines villes françaises : ainsi à Meaux le début de l’année est le 22 juillet (sainte Marie-Madeleine). J.M.Sallmann, « Du calendrier julien au calendrier grégorien : usages et réformes », Histoire du calendrier. Images du temps, Milan, Skira, 2000, p.23-32. M. Pastoureau, « Le temps vécu au Moyen-âge », Histoire du calendrier. Images du temps, op.cit., p.43-49. L’usage de débuter l’année à Pâques est employé dans la chancellerie royale jusqu’à l’édit de Paris en 1564 et en Lyonnais, jusqu’en 1566. A. Giry, Manuel de diplomatique, Paris, 1925, tome 1, p.121.
Sainte Catherine en 1417, Sainte Magdeleine en 1427 ; Saint Laurent en 1434 ; Sainte Croix, Saint André en 1447…
Prime = 6h ; tierce = 9h ; sexte = midi ; none = 15h ; vêpres = 18h ; complies = 21h. M. Pastoureau, « Le temps vécu au Moyen-âge », op.cit., p.43-49. Les heures données ci-dessus ne sont qu’indicatives : les heures canoniales, correspondant à des offices sont « longues ». Les termes ne s’appliquent donc pas réellement à des points du temps mais plutôt à des bandes de temps. Tierce = lever du soleil–mi matinée ; sexte = mi matinée-midi ; none = midi–milieu de l’après midi ; vêpres = milieu de l’après midi à la tombée de la nuit. D.S. Landes, L’heure qu’il est, Gallimard, Paris, 1987, p.517.
1417, RCL1, p.27.
1417, RCL1, p.50.
Il ne faut pas non plus oublier que les instruments de mesure du temps sont restés extrêmement rares jusqu’au XIIIe-XIVe siècles. Pour la population, les repères de la journée étaient donnés par les cloches de l’église. Le temps se mesurait en année, mois, jour mais pas en heures et minutes. Les hommes du Moyen-âge sont assez indifférents à la mesure exacte du temps ; ce n’est qu’avec l’installation de l’horloge en ville que change le rapport au temps : il devient une unité de mesure du travail pour le marchand et l’artisan. A.J. Gourevitch, Les catégories de la culture médiévale, NRF, Gallimard, Paris, 1972, p.150
Ainsi en 1467, le secrétaire indique la Saint Cler, la Saint Antoine, la Saint Simon.
Nous avons essayé de classer les heures en suivant le déroulement de la journée et en terminant par l’indication laconique « heure accoustumée ».
« Ont arrestez de soy assembler demain heure de tierce en l’ouvreur dudit Denis Loupt » 1457, BB7 f59.
« … soy assembler demain heure de IX heures en ladite butique », 1456, BB7 f50v.
« L’horaire des repas médiévaux d’abord très différent des notres s’en est rapproché insensiblement. Au XIVe siècle Charles V dîne à dix heures ; un siècle plus tard, Louis XI dînera à onze heures. La régularité des repas était considérée comme une promesse de longévité. Un proverbe de la fin du moyen-âge nous dit en effet que : Lever à six, disner à neuf, Souper à six, coucher à neuf, Font vivre d’ans nonante neuf ». J. Matoré, Le vocabulaire de la société médiévale, PUF, Pairs, 1985, p.219.
1487, BB19 f34,
« Ont arresté qu’ilz se transporteront vendredi à VI heures de matin sur le lieu des peyssières de la rivière du Rosne, et illec avec aucuns expers en telles choses », 1477, BB14 f43v ; 1497, BB24 f91.
« Ont délibéré d’aller demain à V heure de matin, visiter ladite Tour de Serpollet », 1477, BB16 f26v.
Cette conception du temps reflète des habitudes bourgeoises : à la fin du Moyen–âge se développent des ouvrages qui dressent l’emploi du temps idéal du bon chrétien humaniste bourgeois. Par exemple, un manuscrit de l’Elucidarium (étudié par Y. Lefèvre, L’Elucidarium et les Lucidaires, 1954, p.279) remanié au début du XVe siècle, ne retient que la matinée pour le temps du travail : le bourgeois homme d’affaires ne travaille, à la différence du laborator, qu’une demi journée. Après « mengier », c’est le temps du repos, du divertissement, des visites.J. Le Goff, Pour un autre Moyen-âge, Tel, Gallimard, Paris, 1977, p.78.
« Les maistres des mestiers, incontinent après la célébracion de la messe illecque célébrée du saint Esprit pour iceulx enluminer de sa grâce à procéder et faire ladite élection » se sont réunis pour désigner les nouveaux conseillers, 1493, BB21 f21. On souligne la parenté entre leurs décisions, et celles dans des assemblées religieuses où l’esprit saint guide les participants, comme cela s’est produit selon le Nouveau Testament, quand l’Esprit Saint est descendu sur les apôtres pour la Pentecôte.
« Ont fait et donné aux Sains Evangiles leursdits serements acoustuméz es mains de moy, notaire dessoubz nommé », 1473, BB12 f65v.