b) Les mises en scène de l’honneur.

Les injures à l’encontre des conseillers, proférées par de simples habitants comme par des notables de la ville sont rares, et si le secrétaire censure systématiquement ces propos diffamatoires, c’est parce qu’ils sont indignes de figurer dans la mémoire collective 1158 . La parole des habitants n’a aucune légitimité, mais elle porterait atteinte à l’honneur des conseillers 1159 . Il s’agit de démentir au plus tôt toute accusation, quitte parfois à blâmer des habitants, comme Pierre Chevrot et son fils qui démentent avoir « aucunement dictes ne proférées, ne voudroient avoir dictes ne pancéez en aucune manière » 1160 les injures qui leur sont reprochées. Le secrétaire prend cependant soin de noter qui a osé dire de « grosses paroles » 1161 ou des « parolles injurieuses » 1162 et à l’encontre de quel conseiller, car si la teneur des injures est censurée dans les registres, il n’en va pas de même de la punition des mécontents.

Pour combattre les paroles proférées par ces habitants, il faut infliger à ces derniers une punition exemplaire : tous ceux coupables de tels actes doivent donc venir devant les conseillers « fere emende honnorable en ladite chapelle de Saint-Jaquème ou en l’ostel de la ville » 1163 , « et leur crié mercy le genoulx a terre et la teste nue, les suppliant qu’il leur pleust luy pardonner et qu’il estoit mal content et se repentoit de bon cueur d’avoir dictes lesdites parolles » 1164 . Ce rituel du pardon est très intéressant : genoux en terre et tête nue en signe de soumission et de contrition avec reconnaissance des fautes 1165 . La demande de pardon prononcée par le coupable est généralement bien retranscrite : il importe de restaurer l’honneur du consulat, la mémoire de la ville peut garder trace de ces paroles, où l’accusé reconnaît la fausseté de ses dires. L’explication donnée, la perte de sang froid est une excuse classique 1166  ; on note la construction du discours où « mal content » s’oppose à « bon cueur » à présent. C’est l’idée semi-consciente que les actes de violence sont toujours provoqués par le malin qui insuffle les mauvaises pensées ; à cet état second, sous l’emprise du diable 1167 , s’oppose la véritable nature du plaignant, le « bon cueur » : c’est un autre homme qui vient demander le pardon des conseillers. Cet aspect religieux est fortement renforcé par de nombreux détails : le rituel est identique à celui du pardon des fautes, il fait penser à la confession ; les mots prononcés par le coupable qui soulignent l’opposition entre le mal et le bien, la dualité humaine, mais aussi les verbes « se repentir », « pardonner » renforcent l’idée du pécheur qui reçoit l’absolution de ses fautes 1168 . L’attitude des conseillers est aussi très étudiée : ils sont « meuz de pitié envers ledit Picanet, luy ont pardonné toute injure » 1169 . Le secrétaire les présente ainsi sous un jour miséricordieux, celui de guides de la communauté, de garants de l’harmonie entre les hommes dans la cité, leur pardon rétablit le coupable de plein droit dans la communauté des habitants, comme le pardon du prêtre rétablit le pécheur dans la communauté des croyants 1170 . Ce rituel est là pour sceller la réconciliation du fautif et de la communauté, de l’offensé et de l’offenseur. Le fautif ne demande pas le pardon n’importe comment, on lui fait lire ou répéter les mots qu’il prononce 1171 , et en 1463 le secrétaire prend soin de noter l’intégralité du texte qu’il a dit devant les conseillers 1172  : on peut donc parler d’une véritable cérémonie, mise en scène scrupuleusement pour restaurer l’image du consulat 1173 .

Moins chère qu’un procès, plus spectaculaire par sa ritualisation, elle sert d’exemple à tous ceux qui, dans la population, pourraient être tentés d’attaquer verbalement le consulat. Il faut inspirer la crainte pour inspirer le respect. C’est une peine quasi pédagogique, une solution d’hygiène publique : une confession orale des fautes de l’attaquant, pour que tous l’entendent, soigneusement notée pour que la mémoire de la ville garde une trace de la réhabilitation de l’honneur consulaire. Les injures sont vouées à l’oubli de l’écrit mais pas à celui de la mémoire individuelle.

Il y a cependant deux cas d’injures à l’encontre des conseillers qui sortent de l’ordinaire, à la fois par leurs circonstances mais aussi par l’importance que ces incidents revêtent aux yeux des consuls, pourtant « habitués » à être pris pour cible. Le premier se déroule en 1457 : Jean de Villars, conseiller, et sa sœur sont diffamés publiquement dans une pièce de théâtre. Le second a lieu en 1498, il s’agit cette fois de l’ensemble des conseillers qui sont attaqués par un prêcheur dans l’un de ses sermons. Intéressons-nous d’abord au cas de 1457.

‘« Jehan de Villars, disant que combien lui, ses frères et autres parens, et autres successeurs soyent natifs de ceste ville de Lion et que en icelle ville, que leurs prédessesseurs eussent et ayent tousjours vesqu honnestement et louablement, sans tache ou macule de blasme, néantmoyngs, que se non obstant dimanche derrier passé, par lesdits conseillers avoient bien sceu aulcuns des clerx de la chancellerie du Roy nostre sire, avoient fect et joué farces et jeuz en public et à playn de rue esquelles farces et jeuz ilz avoient grandement moquez et blasmez les femmes de ladite ville, mesmement Sibille sa seur, fame de Michelet Lambert, et icelle Sibille nomant par son nom par plusieurs foys en la diffamant et disant parolles diffamatoyres et non véritables de elle, et en icelle Sibille tous ses parents et amiz injuriant très grandemment. (…) Après l’issue dudit de Villars dudit consulat et en son absence, ont conclu et délibéré par l’advis aussi Girerd de Varey, François Guérin et Thomassin, que veu et considéré l’outrage qui a esté et est grans de conséquence et inconvenient qui s’en pourroient ensuivre, mesmement pour ce que lesdits clerz de ladite chancellerie soy sont vantez et fayt oyr de fere d’autres farces et jeuz en iceulx fere et dire encores pir, que de et sur ladite requeste dudit de Villars lui donneront voulentiers tous leur faveur et confort qu’il porront à ses despens (…) et feront requeste de bouche au prevost du Roy affin de voyr la mellieur provision et réparacion que fere soy porra » 1174 .’

Le théâtre, ici des « farces et jeuz », semble servir d’exutoire à quelques conflits entre certains membres du consulat et les clercs de la chancellerie royale. On se moque des Lyonnaises, et on imagine aisément que le type d’accusations tourne autour de leur manque de vertu et des cornes de leurs maris. Mais la satire va trop loin car les clercs attaquent nommément la sœur de Jean de Villars, femme de Michelet Lambert dit aussi Dulart. Jean de Villars est un grand marchand de Lyon, plusieurs fois conseiller et maître de métiers 1175 , et conseiller en place en 1457. C’est donc non seulement un grand notable dont l’honneur est attaqué, mais aussi un membre important du consulat : à travers lui, tous les conseillers et la ville elle-même sont outragés. Pourquoi les clercs choisissent-ils Sibille comme cible de leurs moqueries ? Il semble évident qu’à travers elle, c’est son frère et la riche famille Villars qui sont visés. Mais pourquoi prendre cette famille ? Il est possible que les Villars apparaissent aux yeux des clercs de la chancellerie royale comme les représentants typiques de ces familles marchandes, qui méprisent les juristes 1176 , sont imbues de l’ancienneté de leur famille à Lyon, ce que rappelle d’ailleurs en préambule Jean dans son intervention, et qui battent froid tous les jeunes juristes qui souhaiteraient faire une carrière politique en ville. Cette idée est renforcée par le fait qu’on demande expressément leur avis à trois personnes, qui pourtant ne font pas partie des conseillers, et dont deux ont pour particularité d’être ou d’avoir été des fonctionnaires royaux : Girerd de Varey, ancien prévôt de Lyon, et Claude Thomassin, notaire, lieutenant du capitaine de Lyon 1177 .

Cette farce est très mal ressentie par Villars qui expose très sérieusement toutes les qualités de sa famille, qui font qu’elle mérite de faire partie de l’élite de la cité : l’ancienneté dans la ville et la bonne renommée, due à une vie exemplaire, sans aucun blâme 1178 . Villars prend très à cœur cette histoire, alors qu’il pourrait mépriser cet affront. Pourtant il est très préoccupé par ces paroles, peut-être parce qu’inconsciemment il a un complexe d’infériorité face à d’autres conseillers dans la ville : il ne fait pas partie des familles les plus anciennes, et n’exerce pas l’un des métiers les plus prestigieux de la ville 1179 . Cela se ressent notamment dans l’expression « sans tache ou macule de blasme » : tâche et macule sont synonymes, macule appartient seulement à un niveau de langue plus soutenu ; mais le terme de macule renvoie surtout dans l’imaginaire collectif à une condition, celle du serf, puisqu’on parle de « macule servile ». Villars entend bien prouver qu’il est digne de son rang, que ni lui ni sa famille n’ont usurpé leur place parmi l’élite de la ville. Cet exemple montre la puissance de la rumeur face à une réputation : Villars ne peut supporter que l’opinion publique puisse douter de sa renommée, ni de celle de sa sœur ; l’image de chacun aux yeux de la population a son importance, elle est loin d’être anodine.

Cet épisode souligne la fragilité de la fama : tous les conseillers se sentent atteints par cette pièce parce que la bonne renommée est constitutive de leur identité. De plus il ne s’agit pas des dires d’un homme isolé, dont les paroles ont pu être entendues par ses voisins, mais d’une pièce de théâtre. L’audience de ces médisances est donc beaucoup plus grande et par la force de la satire, elle a pu frapper les esprits dans la population : on se trouve véritablement dans le cas d’une parole dangereuse qui échappe au consulat. C’est le point commun qui existe avec l’incident de 1498 : le consulat apprend qu’il a été diffamé par les sermons d’un prêcheur à Saint-Paul pour Carême et pour Pâques 1180 , dont les paroles ont été « contre et au préjudice de la bonne renommé et honneur de mesdits sires les conseillers de la ville. C’est assavoir que ceulx conseillers se partagent les deniers qui sont pour emploier es réparacions des pontz et paveyz, et après en ung autre sermon que il avoit entendu que quelque gens avoient murmuré de ce qu’il avoit dit lesdites parolles et que s’estoit signe qu’ilz s’en sentoient roigneux puis qu’ilz en murmuroient » 1181 . Le cas de figure est encore plus grave que précédemment, puisqu’il s’agit cette fois d’un professionnel des mots, dont les paroles ont une légitimité religieuse et morale, elles peuvent donc influencer les esprits : d’ailleurs, l’inquiétude grandit dans le consulat parce que ces sermons sèment le doute dans la population qui commence à murmurer. L’affaire est sérieuse puisque les chanoines de saint-Paul et les conseillers s’assemblent pour entendre les explications du prêcheur, qui « a respondu qu’il n’en parla jamais en la manière qu’il a esté rapporté et qu’il a parlé des conseillers ce a esté sans entendre de ceulx de ceste ville ne autre en particulier ains en général comme il a dit et juré » 1182 .

Lorsque les injures s’adressent non à une personne mais à la ville, elles sont quasi systématiquement notées 1183 . En 1422, un clerc de Langres, « accompagnié de six autres galans armés, dist à Claude Treulier, devant la porte de la Lanterne, dehors, plusieurs oultrageuses parolles, et entre les autres : que Lengres estoit mieulx au Roy que Lion, et que s’il eust aussi bien trouvé Guillaume de la Mure, comme ledit Claude, qu’il lui en feust mal prins et eust esté bactu. Lesquelles choses ne doivent point soffrir par espécial à un tel homme estrangier » 1184 . Toutes les « oultrageuses parolles » du clerc ne sont pas rapportées, le secrétaire se concentre uniquement sur celles qui diffament la ville : l’accusation de traîtrise envers le roi, les menaces contre un habitant sont bien téméraires de la part d’un étranger. Ces paroles sont notées pour garder la mémoire de telles actions pour pouvoir s’y référer à contrario dans le futur ou pour servir au procès contre cet homme. La renommée des citoyens de la ville de Lyon compte toujours beaucoup pour les conseillers : c’est l’idée que les habitants d’une ville sont à l’image de la réputation de celle-ci et inversement 1185 . On comprend l’inquiétude des conseillers lorsque des propos diffamatoires sur la ville sont rapportés au roi en 1436, en effet « maistres Jehan le Viste, Jacques de Canlers et Pierre Alant, commissaires et refformateurs, ont escript au roy, par Guillaume Cloet, contre vérité, que l’on les a cuidié tuer à Lyon, s’ilz ne se feussent briefment retris à Anse, et que pour ce faire l’on a fait assembler le peuple de ladicte ville, ainsi comme l’on raporté lesdis Chaponay et Aynart de Villenove, auxqueulx le Roy l’a fait dire en son Grant Conseil et en sa présence, et lesqueulx respondirent qu’il n’en estoit riens » 1186 . Ce type de diffamation se produit essentiellement dans le contexte de la guerre de Cent Ans, parce qu’il y a des arrière-pensées politiques derrière ces incidents.

Une seule grave affaire implique ensuite l’honneur du consulat 1187  : en 1480, Etienne Guillon, un riche citoyen lyonnais, docteur en droit et décret, diffame la ville et les conseillers auprès du roi « en baillant certaines mémoires quant il fut derrièrement à la court contre tous les estatz de ladite ville » 1188 . L’affaire est assez compliquée car seulement évoquée à demi-mot au sein du consulat. Le 3 mai 1480, les conseillers indiquent que « messire Guillion avoit entreprins et machiné contre les citoyens et habitans de ladite ville » 1189 , on décide de le poursuivre par justice et de « prendre ung ou deux bons personnages clers et bien entenduz, mesmement actendu les cautelles et malices dudit Guillion » 1190 . Il s’agit d’un règlement de comptes : en 1478, Guillon était venu proposer d’avancer de l’argent au consulat et en avait profité pour ajouter que :

‘« s’il estoit tel qu’il peut faire service esdits conseillers et à ladite ville et deust estre aggrégué avec le nombre des notables de ladite ville, il voudroit bien prier lesdits conseillers qu’il leur pleust le agrégué avec lesdits notables et le mander comme lesdits notables pour venir es assemblées qui se feront pour les affaires de ladite ville, offrant, quant ainsi leur plaira, le faire conseiller et servir ladite ville en ce qu’il pourra envers tous et contre tous et sur ce luy faire telle bonne response que leur plaira. Sur quoy, après l’oppinion et advis d’un chacun, en l’absence dudit messire Guillion pour ce retiré à part, ont dit et arresté que response soit faicte audit messire Guillion. Premièrement, touchant ce qu’il demande estre agrégué avec les notables, qu’on le tient et répute estre des plus notables de ladite ville en luy merciant l’offre qu’il fait de servir ladite ville et luy dire que, quant lesdit conseillers verront et cognoistront estre necessaire, ilz le feront mander avec les autres notables » 1191 .’

Cette intervention constitue le seul cas de demande pour être intégré dans le corps des notables dans les registres de la ville 1192 . Elle semble indiquer que les conseillers en place décident, chaque année, d’agréger au corps des notables de nouveaux membres et peut-être aussi d’en exclure. Mais cette requête est surprenante, fort prétentieuse et peu en accord avec la modestie et l’humilité qui sont idéalement requises pour être membre de cette élite, car Guillon demande non seulement à devenir notable, mais souhaite aussi devenir conseiller. Etre reconnu par l’élite ne se demande pas, c’est une erreur de sa part, on ne se propose pas, on est choisi ; en ne respectant pas les normes comportementales de ce groupe, il n’est jamais convié. C’est d’ailleurs le sens qu’il faut donner aux paroles des conseillers : seul le bon vouloir des conseillers le fera venir lors d’assemblées ; on convient qu’il « répute estre des plus notables de ladite ville », mais être notable ou être un notable n’est pas la même chose...

Guillon conçoit une vive amertume de cet épisode, qui explique peut-être son geste en 1480. L’affaire rebondit un an plus tard lorsque Jean Guillion, son frère, se rend au consulat « non pas pour vouloir excuser ledit messire Estienne sondit frère mais pour l’accuser car il savoit bien qu’il y avoit mal fait et congoissoit la nature de sondit frère estre maulvaise et qu’il s’estoit mal pourté envers les habitans de ceste ville et qu’il avoit aucune vertuz mais il avoit tant de vices que lesdites vertus estoient effacées » 1193 . Le but de sa visite est de régler cette affaire, les conseillers en sont bien conscients et décident que « l’on devoit mander ledit messire Jehan Guillion en l’hostel commun et avoir ung notère et deux tesmoings et là luy tirer de la bouche tout ce quoy pourroit toucher ceste matière et après luy demander quelle amende et réparacion il feroit fere par sondit frère à ladite ville, sans luy dire qu’ilz en parleroient » 1194 . Pourquoi cette intervention du frère qui n’hésite pas à dire qu’Etienne a « fait de chaude colle et comme passionné » 1195  ? La condamnation est plus grave qu’il ne pensait puisque Etienne se retrouve « livré au bourreau pour le fere morrir, dont il se repentoit et luy desplaisoit et en crioit mercy esdits conseillers à ladite ville » 1196 . Les conseillers interviennent et Etienne n’est pas condamné à mort, il se repent de ses actions devant le consulat ; il semble d’ailleurs réintégré dans la ville puisqu’on lui demande de payer sa taille fin septembre 1481 1197 .

Par la censure, les registres défendent l’honneur du consulat en refusant de faire figurer dans la mémoire urbaine les attaques verbales dont le pouvoir a été victime. L’insistance avec laquelle sont narrées les ripostes du pouvoir, prouve que les conseillers cherchent à mettre en avant leur solidarité de groupe. Tout individu qui ne respecte pas les règles consulaires ou qui diffame le pouvoir, est un ennemi qu’on doit réduire au silence.

Notes
1158.

Les insultes échangées entre habitants ne sont jamais notées non plus : d’abord parce que cela n’intéresse en rien la mémoire de la ville puisque ses élites ne sont pas concernées, mais en plus parce que le consulat n’a aucun pouvoir juridique. Généralement le secrétaire se contente d’inscrire qu’un tel « a injurié » (1419, RCL1 p.154) ou « a dist pluseur gros injures » (1418, RCL1 p.117) ou « grans villenies » à un autre (1419, RCL1 p.205). Il arrive que parfois soit précisée, non pas les injures échangées, mais seulement l’une d’elles, comme lorsqu’il est rapporté que le maître des métiers des bouchers s’est fait traiter de « maistre de merdier » (1420, RCL1 p.264). Pourquoi ne préciser que cette insulte ? On peut se demander si cette appellation scatologique qui diffame le boucher, mais aussi les produits qu’il vend, n’amuse pas un peu le secrétaire : le plaisir d’inscrire des mots proscrits dans les registres, peut-être aussi la volonté de dénigrer des personnes qui lui sont socialement inférieures ou avec qui il a un contentieux, l’incitent à noter ces mots. Ni les conseillers ni le secrétaire ne se montrent particulièrement affectés par les insultes ou les violences entre les habitants : la société urbaine est violente comme dans toutes les villes, ces exactions forment le lot commun des citoyens.

1159.

Le secrétaire se contente de dire qu’un habitant a prononcé « certaines parolles par lui maldictes desdits conseillers » (1458, BB8 f72), ou bien que des individus « avoient blasmé iceulx conseillers et dit et proféré aucunes paroles injurieuses et maldictes à l’encontre d’iceulx conseillers, dont touteffoys iceulx conseillers induement et contre toute vérité avoient esté informéz » (1463, BB7 f237v). Les conseillers ont été « très grandement et énormément injuriéz » car « ung nommé Laurens Bartholon, mercier avoit dit plusieurs maulvais lengaiges et parolles mal sonnans desdits conseillers » (BB352, 6 janvier 1482).

1160.

1463, BB7 f237v. On peut se demander si être dénoncé et non pas pris sur le fait n’incite pas beaucoup de gens à nier les injures, car on trouve d’autres cas de ces personnes se défendant d’avoir injurié les conseillers. Ex. : Petit Jean le corratier, sellier et sa femme sont accusés d’avoir injurié les conseillers, ce « que jamais icelluy Petit Jehan ne sadite femme n’avoient fait, ne ymaginé ou entendu de fere comme ne vouldroient », BB352, 13 mars 1481 ; idem pour Laurens Barthélemy accusé des mêmes fautes, « combien que jamais comme il disoit, il n’eust parlé contre lesdits conseillers », BB352, 22 janvier 1482.

1161.

« Poypat a dit de grosses parolles à Aymé de Nièvre et à Nantuaz », 1422, RCL2 p.6.

1162.

1426, RCL2 p.211. Le vocabulaire pour évoquer ces injures évolue peu, début XVIe siècle, le secrétaire est toujours dans la censure évoquant de « grosses et injurieuses parolles » (1515, BB34 f124v ; idem : 1505, BB24 f488 ; 1513, BB30 f308), ou des « insultes » (1506, BB25 f50). Seule différence, il lui arrive parfois d’user d’un vocabulaire plus élaboré, comme lorsqu’il indique d’Adam Emery « a dict plusieurs parolles contreverballes, mal sonnantes et fais plusieurs exécutions irrevéremment contre les conseilliers », 1516, BB34 f226v

1163.

1463, BB7 f361v. On trouve des exemples aussi dans la première moitié du siècle : « l’on face appeler par devant lui Jaquemet Grollier et proposer contre lui la batture de Chavence, les parolles dictes contre son pennonier et les parolles dictes contre les conseillers, et sur tout conclure à émende honorable », 1424, RCL2 p.124.

1164.

1477, BB350, cahier 1, f16. Même rituel : « ilz ont ordonné que Colins Dusyer soit mis hors de prison parmi ce qu’il viendra à Saint-Jaquème crier mercy, nus piés et une chandoille au poing, pour ce qu’il avoit féru Audry Chivrier et une autre maneuvre des fossés de la Lanterne », 1422, RCL2 p.7 ; 1418, RCL1 p.117 ; 1463, BB7 f237v ; « en crié mercy au Roy, esdits conseillers et covenir teste nue et genoux à terre, il soit à ce receuz et lui soit pardonné pour ceste foye », 1463, BB7 f361v ; « crioyt mercy et demandoit pardon à iceulx conseillers, leur suppliant et requérant humblement, faisant révérence, genu flexo, et le bonnet hors de la teste qu’ilz le voulsisssent à ce recevoir et luy pardonner », 1472, BB12 f6 ; « est venuz audit conseil et aux présences et personnes desdits conseillers criant mercy et demandoit pardon à geneuz, les mains joinctes et le chapperon hors de la teste », 1472, BB12 f21 ; demande « mercy, teste nue et le genou à terre », BB352, 13 mars 1481. Benoît Denoble doit « demander pardon teste nuye et cryer marcy à Dieu sans autre amande peccunable à cause de qu’il estoit chargé de femmes et enfans », 1506, BB25 f45.

1165.

Pour régler un conflit, on utilise traditionnellement le rituel dit de deditio : il s’agit d’un acte de soumission manifesté par plusieurs gestes pour réparer les offenses (pieds et tête nus, vêtement de pénitent, à genoux devant les offensés, excuses) toujours planifié, résultant d’un accord préalable. C’est donc bien une mise en scène. G. Althoff, « Les rituels », Les tendances actuelles de l’histoire du Moyen-âge en France et en Allemagne, op. cit., p.231-242.

1166.

Exemples : on indique qu’un tel s’excuse « d’avoir dictes lesdites parolles et que icelles il dit de chaude cole », 1463, BB7 f362 ; « il l’avoit fait comme malicieuz et de chaude cole », 1472, BB12 f6 ; un autre « s’est esmeu et eschauffé en parolles [hartoynes] et rigoreuses, […] donnans menasses à iceulx conseillers », 1474, BB12 f83… Cl. Gauvard souligne d’ailleurs que l’excuse de « chaude cole » est très souvent utilisé pour atténuer la responsabilité d’un criminel : la folie d’un instant devient un argument juridique. Cl. Gauvard, De grâce espéciale . Crime, état et société en France, Paris, 1991, t.1, p.454.

1167.

Autres exemples : « se dédie desdites parolles en disant que faucement et mauvaisement et comme mal advisé les avoit dictes », 1463, BB7 f361v ; « il l’avoit fait comme malicieuz et de chaude cole », 1472, BB12 f6.

1168.

Idem : « considérans son humilité, accusacion et repentance », 1463, BB7 f362.

1169.

Lors d’une autre amende honorable les conseillers sont présentés comme « [voulant] procéder plus à miséricorde que à rigueur », 1463, BB7 f362. Autre exemple : les conseillers « voulans clémence et biengence préférer à rigueur et vengence », 1472, BB12 f7. Les expressions des conseillers sont calquées sur celles que la chancellerie royale utilise pour formuler la grâce : Cl. Gauvard montre que les formules de rémission emploient souvent les termes de miséricorde et de pitié qui s’opposent à celui de rigueur. Cl. Gauvard, De grâce espéciale , op. cit., p.918 (tableau 49).

1170.

La prise de conscience du péché est conçu dans la Bible comme la rupture de l’Alliance, comme une infidélité à l’égard de Dieu : « Dieu des pardons, lent à la colère et riche en bontés » (Ancien Testament, Livre de Néhémie 9, 17). Tout le parcours du chrétien est transposable dans le cas du citoyen : peut-être à rapprocher de l’idée de la Cité céleste / Cité terrestre. Cf. aussi le psaume 130, De profundis, prière des pécheurs.

1171.

« Jaquemet Grolier viendra demain, à Saint-Jaqueme, out seront le conseillers, dessaint, la teste nue et une torche ou puing de III livres, et partira du meysel où ung clerc lui lira, et il le confessera à aulte voix tous le maulx qu’il a fait à commun, qui seront registrez en ung rolle », 1424, RCL2 p.121.

1172.

Claude Bonyn qui a injurié les conseillers vient au consulat et « a dit et prononcer de sa propre boche les parolles qui s’ensuivent : « mes très honnorés sires je viens icy en toute humilité par devant vous et cognoys et confesse que les parolles par moy dictes à la veille de feste Nativité Notre Dame derrière passée en la place des changes et au devant du lieu où tient son change Janin de Bruyère en la présence de monseigneur l’esleu sire Ymbert de Varey et plusieurs autres, c’est assavoir que tous ceulx qui m’ont imposé l’ont fait faulcement et mauvaisement et leur devoit l’en copper les oreilles, ont esté par moy très mal dictes de chaude cole comme mal advisé et contrevérité. Et pour ce mes sires, en crie mercy à Dieu, au Roy, à vous et à tout aultres par moy esdites parolles offensés et en demande pardon », 1463, BB7 f362.

1173.

L’efficacité de ce rituel réside dans le fait qu’« il faut compter avec le ‘choc du son’ et avec le travail de mise en scène ». L. Morelle, « Les chartes dans la gestion des conflits (France du Nord, XIe- début XIIe siècle) », Bibliothèque de l’école des Chartes, 155, 1997, p.288-289.

1174.

1457, BB7 f68v.

1175.

Il est conseiller en 1435, 1439, 1444, 1448-1449, 1452-1453, et maître des métiers en 1432, 1434, 1437, 1446, 1450 et 1454.

1176.

Jamais aucun Villars ne prendra ce type de carrière.

1177.

On ne sait pas pourquoi Guérin est inclus, mais on connaît mal son parcours, peut-être que lui aussi a eu quelques fonctions d’officier royal.

1178.

« Disant que combien lui, ses frères et autres parens, et autres successeurs soyent natifs de ceste ville de Lion et que en icelle ville, que leurs prédessesseurs eussent et ayent tousjours vesqu honnestement et louablement, sans tache ou macule de blasme », 1457, BB7 f68v.

1179.

Il n’est ni drapier, ni mercier, ni épicier ou pelletier mais ferratier-saunier.

1180.

1498, BB24 f158v.

1181.

1498, BB24 f160v.

1182.

1498, BB24 f160v.

1183.

Il est vrai que parfois le secrétaire ne donne pas de précisions. Ex. : ils « ont dit aucunes injures contre les citiens de Lion et battu aucuns », 1417, RCL1 p.94.

1184.

1422, RCL1 p.349.

1185.

Dans la Bible, Sodome et Gomorrhe sont les villes symboles de la corruption et de l’impiété : leurs orgueilleux habitants méprisent les règles de l’hospitalité, Dieu n’y trouve même pas 10 justes (Genèse, 18-19).

1186.

1436, RCL2 p.449.

1187.

On ne relève que quelques incidents mineurs où des gens, lors de disputes avec des officiers municipaux les injurient et se disent « ennemys de la ville », en général parce qu’ils refusent de payer leur impôt ou une taxe. C’est le cas de Clément Trye en 1516, BB25 f62.

1188.

BB352, 4 septembre 1481.

1189.

BB351, cahier 3, 3 mai 1480.

1190.

BB351, cahier 3, 12 mai 1480.

1191.

BB350, cahier 2, 28 mai 1478.

1192.

Il est vrai que ce corps des notables reste assez mystérieux du point de vue de son renouvellement, de la manière d’y entrer ou d’en sortir. Il semble qu’on y soit admis d’office après une charge consulaire ou une maîtrise, mais peut-être pas n’importe laquelle : les métiers les plus humbles n’ont pas en effet leurs maîtres rangés parmi les notables de la ville. D’autres critères entrent en ligne de compte, comme la fortune. Le nombre des notables est de tout façon très flou. Quand le consulat les convoque expressément au début du siècle, ce sont souvent les mêmes, amis et figures politiques de la ville, qui viennent mais leur nombre varie du simple au double et on ne sait si une liste a été établie clairement, car aucun document ne l’atteste. Nous reviendrons plus longuement sur la notion de notable dans la troisième partie, lors du chapitre « Les assemblées lyonnaises ».

1193.

BB352, 7 août 1481.

1194.

BB352, 8 août 1481.

1195.

BB352, 9 août 1481.

1196.

BB352, 4 septembre 1481. Déjà évoqué précédemment : « mené à Paris et livré es mains du bourreau pour le fere morir et que ilz en estoit mal content et leur prioit qu’ilz luy voulsissent pardonner », BB352, 9 août 1481.

1197.

On peut d’ailleurs juger du culot du personnage à cette occasion : il ose en effet formuler une requête pour être quitte de sa taille car « comme il disoit, il n’estoit demorer en ladite ville, ains avoit esté peu par avant banny et gecté de ladite ville par commandement du Roy nostre sire à la poursyute des conseillers qui lors estoient ; […] après au pourchas d’ung faulx accusateur bourguignon il fut mener devers le Roy prisonnier », BB352, 30 septembre 1481.