I. Un groupe consulaire sous le signe de la dualité.

1. Le double visage du consulat.

Dans l’étude prosopographique du précédent chapitre, nous avons souligné les points communs existant entre conseillers, qui font de ce groupe une oligarchie. Leur situation professionnelle a été laissée de côté, pourtant elle n’est peut-être pas anodine. Pour avoir un autre éclairage sur ces conseillers, nous les avons donc regroupés en plusieurs catégories, en suivant les listes des métiers : les terriers, c’est-à-dire les rentiers 1279 , ont été mis à part ; les drapiers, merciers, pelletiers et épiciers qui sont cités en tête de liste ont été regroupés sous l’appellation « métiers supérieurs » 1280  ; les notaires et tous les juristes sont classés dans la catégorie « hommes de loi ». Tous les autres métiers se sont retrouvés dans la catégorie « autres » à cause du peu d’individus qui les exercent.

Répartition socio-professionnelle des conseillers par tranches de 10 ans.
Répartition socio-professionnelle des conseillers par tranches de 10 ans.

Les conseillers sont choisis parmi les notables, les personnes riches de la cité, car leur fonction est absorbante et assez onéreuse. Les métiers dits supérieurs, c’est-à-dire les drapiers, merciers, pelletiers et épiciers, représentent suivant les années entre 45 et 58 % des professions exercées par les conseillers : ils constituent pendant toute la période la majorité du consulat. Les hommes de loi sont l’autre groupe essentiel qui partage le pouvoir avec ces grands marchands : pendant le XVe siècle entre 22 et 38 % des individus ayant un mandat sont soit des notaires, soit des docteurs ou des licenciés en droit. Juristes et grands marchands 1281 dirigent donc le consulat, les autres métiers ne représentent qu’un faible pourcentage des élus.

Au début du XVe siècle, les consuls appartiennent en grande majorité soit à la classe des « terriers », soit aux métiers supérieurs 1282 . « Jusqu’à la fin du XIVe siècle, l’oligarchie marchande de Lyon, à l’instar de celle de plusieurs villes méridionales et italiennes, se [défie] des juristes dont la supériorité intellectuelle et la richesse montante [risquent] de lui porter ombrage. Faisant parmi eux un choix sévère, elle leur entr’ouvre à peine la porte du consulat et, tout en utilisant volontiers leur compétence, ne les considère que comme des auxiliaires » 1283 .G. de Valous note encore que ce sont toujours les mêmes noms de juristes qui reviennent au sein du consulat, comme pour faire un roulement et provoquer une rivalité entre eux. Le consulat s’ouvre beaucoup plus volontiers aux notaires « qui n’ont pas la jactance des docteurs et dont on est en droit d’attendre une parfaite docilité » 1284 . Bien que numériquement la catégorie des hommes de loi ne connaisse pas de changements flagrants au cours du siècle, peut-on remarquer une évolution en analysant plus précisément la composition de ce groupe d’élus ?

Composition du groupe des hommes de loi.
Composition du groupe des hommes de loi.

Ce graphique corrobore les affirmations de G. de Valous en les précisant : les notaires représentent sur toute la période plus de la moitié des effectifs, soit 56% des élus au consulat. Il est aussi vrai que leur présence maximale se situe dans les années 1420 (73,5% des élus), leur part reste malgré tout prépondérante pendant tout le siècle excepté pour les années 1460, 1470 et 1480 où les juristes sont plus nombreux. Cela correspond à cette acceptation en deux temps des hommes de loi au sein du consulat dont parle G. de Valous : les notaires sont les premiers entrants, les juristes n’obtiennent vraiment des mandats régulièrement que dans la seconde moitié du siècle. Passées les années 1460, les docteurs en droit composent au minimum plus du tiers des élus.

R. Fédou et G. de Valous insistent pour parler des relations entre hommes de loi et marchands sur le mode de la concurrence et de l’exclusion. Le graphique général des catégories socio-professionnelles auxquelles appartiennent les conseillers ne laisse pourtant pas apparaître d’évolution frappante des proportions de juristes et de marchands au sein du consulat : une certaine stabilité est plutôt mise en lumière, numériquement les marchands dominent d’un bout à l’autre du siècle. Quelles informations pourraient donc révéler d’éventuelles relations conflictuelles ?

Notes
1279.

« Terrier » est un terme lyonnais qui désigne des rentiers, vivant de leurs terres et de leurs biens mobiliers.

1280.

C’est un terme qu’emploie R. Fédou.

1281.

Le travail à Lyon fut toujours libre, il n’est donc pas rare que les mêmes individus passent d’un métier à l’autre, voire les cumulent : c’est en particulier le cas des drapiers et épiciers ainsi que des merciers qui exercent souvent en même temps le métier de banquier ou changeur.

1282.

J. Deniau, La commune de Lyon…, op. cit., p.226.

1283.

G. de Valous, Le patriciat lyonnais …, op.cit., p.52.

1284.

G. de Valous, Le patriciat lyonnais…, op. cit., p.52.