3. La réforme de 1447 : attentes et résultats.

a) Les prises de fonction : l’après 1447.

La réforme de 1447 est conçue pour apporter une solution à la lenteur des prises de fonction, or on peut s’interroger sur son efficacité.

Nombre de jours entre l’élection et le serment des conseillers (1448-1519)
Nombre de jours entre l’élection et le serment des conseillers (1448-1519) Il n’y a pas d’années où l’élection et la prise de fonction soient consécutives : si certaines années aucun nombre de jours n’est indiqué entre ces deux moments, c’est uniquement parce que les registres ne nous renseignent pas sur la date des serments des conseillers. .

Après la réforme de 1447, le consulat n’étant renouvelé que de moitié chaque année, les nouveaux élus n’ont pas vraiment d’inquiétudes à avoir, or la durée moyenne entre l’élection et la prise de fonction des nouveaux conseillers pendant la période 1447-1489 est de 140 jours, soit 4 mois et 20 jours, c’est-à-dire le double de ce qu’elle était avant la réforme. Pourquoi un si long délai ? Traînent-ils pour venir car la charge est trop lourde, sont-ils inquiets face à des problèmes non réglés, ou en conflit avec des conseillers ou avec la ville ? Le laps de temps entre l’élection et le serment des nouveaux conseillers reste un problème délicat, plusieurs éléments le laissent à penser. On trouve, d’une part, des allusions au départ des conseillers ayant accompli leurs deux années de mandat, signifiant à leurs successeurs leur retrait de la vie politique pour les inciter à mots à peine couverts à faire leur serment 1440 . D’autre part certains nouveaux élus demandent que « les conseillers vieulx qui s’en doyvent aller et saillir dudit consulat, soient aucunement deschargéz ne déboutéz de la charge du consulat jusques à ce que tous les autres conseillers nouveaulx aient prins semblable charge et fait leurdits serements » 1441 .

Cependant la réforme de 1447 apporte un vrai changement : les conseillers nouveaux n’ont plus peur de devoir gérer les erreurs de leurs prédécesseurs puisque la moitié de ces derniers continue à diriger la ville avec eux. Conséquence directe, on ne trouve qu’un seul exemple de refus parce que « les comptes ne sont pas encore rendus » 1442  : le problème récurrent de la vérification des comptes a quasiment disparu. Si les conseillers nouveaux s’en inquiètent subitement en 1481, c’est parce qu’en 1480, le consulat s’est trouvé accusé de malversations, et les conseillers en place ont dû prouver leur bonne foi.

Un changement radical se produit à partir des années 1490 : seulement 55 jours séparent la prise de fonction effective des conseillers de leur serment, soit 1 mois et 20 jours. La prise effective de fonction se fait de plus en plus tôt, le temps entre l’élection et le serment se réduit : au mois de février 1443 , puis au mois de janvier 1444 , puis dès le début du mois 1445 , au changement d’année comme le demande le syndicat de 1507 1446 . Seules quelques années échappent à la règle après 1500, mais toujours pour des motifs particuliers : en 1502 la peste qui règne en ville a conduit plusieurs conseillers à partir s’installer dans leurs propriétés à la campagne, c’est pourquoi les serments tardent à être faits ; en 1514, les conseillers ne font pas leur serment tant que le receveur de la ville n’a pas rendu ses comptes.

La réforme de 1447 n’a pas vraiment réglé le problème de la prise de fonction tardive, et si ce phénomène perdure pendant tout le siècle, bien qu’un changement soit perceptible début XVIe siècle, c’est qu’il est intimement lié à l’état d’esprit des conseillers, pour qui la charge consulaire devient surtout un poids. L’arrivée plus nombreuse de grands juristes n’évite pas le retard dans les prises de fonction. D’ailleurs le pic de la lenteur coïncide avec les années de leur entrée « massive » au consulat.

Cependant quelques indices indiquent une tension vivace entre juristes et marchands et remettent en question la rivalité anecdotique évoquée précédemment. En effet la fin de la période laisse entrevoir des motifs de négociation d’entrée au consulat inédits : des conseillers tentent de limiter leur devoir d’assiduité au consulat, voire de refuser leur devoir de prise de fonction, en mettant en avant leur âge trop avancé. Il est vrai que nulle part il n’est indiqué d’âge limite pour être élu conseiller et il semble que dès la première moitié du XVe siècle, certains occupent cette fonction à un âge fort avancé : en juin 1434, deux conseillers ont été élus sans considération pour leur âge et leur état de santé puisque l’un meurt en charge et l’autre devient aveugle 1447 .

De nouveau en 1482 le cas d’un homme attire l’attention : Pierre Brunier refuse de devenir conseiller, sans donner de motifs. Sa demande est refusée et « lesdits conseiller ont protesté contre ledit Brunier des dommages et intérestz et de l’en pousuire et contraindre ainsi que par justice et raison fere se devra » 1448 . La crainte d’être poursuivi devant les tribunaux fait céder Brunier. Or, malgré cet épisode, il est réélu en 1486 : il est peu probable qu’il refuse par coquetterie, pour mieux se faire prier. Pourquoi choisir par deux fois quelqu’un qui ne veut pas cette charge : est-ce la preuve de l’indépendance du choix des maîtres des métiers ? Pierre Brunier serait-il indispensable au consulat ? Le recrutement des conseillers poserait-il problème ? On peut sérieusement se poser la question puisque cette fois-ci, Brunier motive sa demande de décharge, expliquant qu’il « n’a voulu prendre charge dudit consulat ne fere le serment acoustumé ains s’est excusé sur sa vieillesse, aussi certaine maladie dont il dit estre passionné et qu’il n’ay personne qui puisse ny saiche fere ce que besoin est en sa maison sinon luy » 1449 . Brunier a déjà été de nombreuses fois conseiller depuis les années 1430 : son argument de vieillesse est donc justifié, on peut penser qu’il a près de 80 ans. Avec la vieillesse, la maladie le touche et il insiste pour dire qu’il ne peut laisser son occupation de drapier, personne ne pouvant s’en occuper sans lui : est-ce la vérité ? On ne sait pas s’il a des enfants. Ces motifs ne sont pas jugés suffisants puisqu’il finit par se soumettre à la volonté des conseillers présents 1450 . Il est possible qu’il ait insisté sur son état pour se ménager des excuses pour ne pas devoir venir trop souvent. La vieillesse n’est pas un argument pour être « exempté » de consulat, peut-être parce que nombre de conseillers sont vraiment âgés 1451 . Mais cet exemple est peut-être symptomatique d’un vieillissement d’une partie de ces élites : Brunier et Laurencin, qui se joint à lui pour refuser cette charge, sont des marchands drapiers, peut-être que leurs réticences à prendre cette charge consulaire reflètent une difficulté qu’aurait l’élite marchande pour se renouveler au sein du consulat.

Ces refus individuels étaient jusque là exceptionnels ; cependant on constate leur multiplication à partir de la fin des années 1490, puisque de nombreux conseillers mettent en avant leur âge ou leur état maladif pour s’excuser de possibles absences 1452 . A force de fermer son recrutement le consulat tend peut-être à la gérontocratie. Mais est-elle volontairement entretenue ? On peut se poser la question en examinant le cas de Jean de Bourges. Il est élu en 1497 alors qu’il a 82 ans et qu’il est mal en point, il demande donc à être excusé d’avance s’il ne participe pas à toutes les réunions. Mais deux conseillers sont envoyés pour vérifier ses dires : finalement ses excuses sont acceptées, d’abord parce qu’il y met les formes (remerciements des électeurs, profession de foi disant qu’il aurait ardemment désiré servir la ville s’il avait pu), ensuite parce qu’il est réellement grabataire et qu’il ne peut vraiment pas se déplacer jusqu’au consulat, étant donné qu’il a déjà du mal à circuler dans sa propre boutique, il lui est impossible de monter l’escalier pour accéder à la salle de réunion 1453 .

Pourquoi choisir un homme dans un tel état ? Le recrutement en vase clos induit-il un aveuglement forcené de ces élites ou bien cet appel à des vieillards est-il le signe d’une crise sous-jacente au sein de l’institution consulaire ? Si l’on regarde la profession qu’exercent tous ceux qui tentent de refuser une élection, on constate que tous, sauf un 1454 , sont des marchands 1455 . Est-ce un indice que l’on préfère élire des marchands grabataires plutôt que des juristes ? Ou faut-il en conclure que le nombre de candidats chez les marchands se réduit à cause du peu d’attraits de cette charge ?

Quoi qu’il en soit, ces négociations ou ces réticences pour accepter leur rôle de consul s’avèrent peu conformes à l’image parfaite que tentent de véhiculer les conseillers lyonnais et soulignent que la réforme de 1447 est loin d’avoir réglé entièrement le problème de la prise de fonction.

Notes
1439.

Il n’y a pas d’années où l’élection et la prise de fonction soient consécutives : si certaines années aucun nombre de jours n’est indiqué entre ces deux moments, c’est uniquement parce que les registres ne nous renseignent pas sur la date des serments des conseillers.

1440.

Par exemple le 28 février 1464 : « les dessus nomméz messire Paterin, maistre Anthoine Penin, Pierre Thomassin, Pierre Brunier et Raoulet Buclet, lesqueulx ont eu et supporté la charge du consulat de ladite ville en leur endroit jusques icy, se sont deschagéz de la charge et ont requis messire André Porte, docteur en loys, Michelet Dulart, Jehan Formond, Hugonin Bellièvre et les dessus dits Anthoine de Varey et Janin de Bruyère et Jehan Rosselet esleuz et ordonnéz conseillers pour l’année présente, commencée à Noël derrière passé, illec mandéz pour qu’ilz voulsissent prendre ladite charge de fere leurs serments acoustumés », 1464, BB7 f390. Autre exemple : « les dessus nommez messire François Buclet, Jehan de Bruyère, Jehan Torvéon et Estienne Laurencin, conseillers vieulx, ont prins congé des autres leurs compaignons dessus ditz et se sont deschargéz de la charge qu’ilz ont heue jusques à présens du consulat », 1473, BB12 f28.

1441.

1476, BB13 f46v.

1442.

BB352, 28 juin 1481.

1443.

Exemples : 21 février en 1499 ; 24 février en 1500.

1444.

Exemples : le 18 janvier en 1508 ; le 25 janvier en 1509.

1445.

Exemples : le 3 janvier en 1511 ; le 4 janvier en 1516.

1446.

Syndicat de 1507 : « incontinent après le jour de l’an prochainement venant, ilz vueillent prendre la charge dudit consulat et fere le serement acoustumé », 1507, BB25 f213v.

1447.

« Ilz ont esleu Enemond de Syvrieu, Pierre Turin et Guillaume Garbot pour conseillers de ceste année ou lieu de Ymbaut de Bléterens, Humbert de Varey et Jehan Jehannont, pour ce que Ymbaut de Bléterens est mort, Humbert de Varey est continuellement occupé à la garde de la monnoye et Jehan Jehannost ne peut vacquer, obstant ce qu’il a perdu le veoir, et leur ont donné semblable puissance qui fut donnée aux autres conseillers, le jour de saint Thomas derrenier passé, et ne durera la puissance tant desdits trois conseillers comme des autres leurs compagnions que jusque au premier jour de janvier prouchain vennant et ont fait les choses dessus dictes sans préjudicier et sans derroguer aux coustumes anciennes, avec promesses et autres clauses à ce nécessaires », 1434, RCL2 p.384.

1448.

1482, BB17 f1v.

1449.

1486, BB15 f370.

1450.

1486, BB15 f370.

1451.

Il arrive que le consulat donne l’image d’une gérontocratie comme en 1477, lorsque le secrétaire est chargé de demander aux commissaires du roi de relâcher les conseillers qu’ils ont mis aux arrêts parce que « aucun d’eulx estoient aaigéz et fouléz, aussi malades et mal aisés de leurs personnes, […] et qu’ils estoient en dangiers de prendre mal et tumber en inconvéniens », 1477, BB14 f30v.

1452.

En 1495, Guillaume Baronnat meurt en charge et « Guillaume Rossellet l’ung desdits conseillers a esté indisposé de sa personne tellement qu’il n’a peu fréquenter ledit consulat », 1495, BB22 f55. Claude Vandel, élu conseiller, n’a toujours pas fait son serment le 20 février : « lequel après avoir remercyé ladite élection et remonstré comme il est bien souvent mal disposé de sa personne et que luy desplaise qu’il ne pourra bien souvent vacquer es affaires de ladite ville comme il vouldroit bien obstant sa maladie. Néantmoing pour le grand zèle qu’il a à la chose publique, il a accepté ladite charge et fait le serement acoustumé », 1511, BB28 f261. « Honnorable homme Jehan Faye, marchand de Lyon, a fait sur ce requeste par le secrétaire du présent consulat disant qu’il est venu à sa notice que par les terriers et maistres des mestiers de ladite ville a esté derrenièrement esleu conseiller de ladite ville pour ceste présente année, dont luy a esté fait honneur et plus comme il dit que ne luy appartient. Néantmoingz pour ce comme il est notoire il a esté longtemps malade comme encores est tellement que ne peut bonnement aller ne retourner dans sa bouctique en sa maison sans grant difficulté, obstant laquelle maladie, il n’a peu comme encores ne peut venir vacquer es affaires de ladite ville ne exercer la charge de conseiller. A supplié et requis mesdits sires les conseillers le vouloir excuser de ce qu’il n’est venu faire le serement et vacquer esdites afferes de quoy faire il avoit bonne voullenté s’il povoit, disant en outre que le plustost qu’il aura povoir de venir en assemblée des notables et maistres des mestiers il feroit voullentiers requeste pour estre deschargé de ladite charge pour ceste présente année actendu sadite maladie. Et de ceste requeste à remonstrance a demandé acte pour luy servir ce que de raison affin qu’il ne peust estre redaigné de négligence si affere y venoit, offrant de faire son devoir luy estre revenu en convalescence », 1513, BB30 f125v. François Martin : « a esté mandé et comparu pour faire le serment acoustumé, lequel a dit qu’il est fort mal de sa personne à cause de la grand maladie qu’il a eue puis naguères, parquoy ne pourroit bonnement servir qu’il ne soyt bien guery. Auquel a esté respondu que quant il ne pourra servir, l’en l’aura pour excusé ; et pour ce a faict le serment accoustumé de faire par les nouveaulx conseillers », 1515, BB33 f296.

1453.

Jean de Bourges « a esté esleu conseiller pour ceste présente année et l’ont sommé qu’il voulsist venir audit hostel commun de ladite ville pour faire le serment acoutumé et servir comme les autres. Lequel de Bourges a mercié lesdits conseillers, terriers et maistres des mestiers de l’onneur à luy fait de l’avoir esleu conseiller et a remonstré qu’il est desplaysant de ce qu’il ne peust accepter ladite charge, obstant qu’il est aagé et excède quatre vingtz deux ans, aussi est malaisé de sa personne, tellement, qu’il ne peust aller seullement parmy sa botiqz sans aide et ne scavoir monter degrez qui ne le porte », 1497, BB25 f98. Les conseillers acceptent finalement sa démission « au moyen de ce qu’il est fort ancien, maladif et malaysé de sa personne et autres légitimes carences et excuses dictes et alléguées par ledit de Bourges », 1497, BB25 f116v. Autre exemple de refus pour cause de l’âge : « Pierre Brunier, lequel à ce réquéré n’a voulu prendre charge du consulat ne fere le serment acoustumé, soy excusant à cause de sa vieillesse et foulle de sa personne offrant en autres chose fere son devoir quant il sera mandé de sa puissance et sans aucun salaire », 1491, BB19 f222v.

1454.

Il s’agit de Claude Vandel, docteur en loi : peut-être l’a-t-on fait volontairement (trop) attendre pour le punir de ses attaques contre Pierre Brunier, quelques années auparavant.

1455.

Guillaume Baronnat et Guillaume Roussellet sont merciers, Jean Faye est épicier, François Martin et Jean de Bourges sont marchands-changeurs, et Pierre Brunier est drapier.