1. Le temps de l’unanimité : l’avant 1447.

a) Une image lisse et réconfortante.

Bien que Lyon ne soit jamais au cœur des conflits de la guerre de Cent Ans, la ville est fortement influencée par la situation politique du pays. Face à cette instabilité politique et économique, comment réagit le consulat ? Pour cerner les attitudes des conseillers, il convient d’abord de quantifier non seulement l’activité du consulat, en évaluant le nombre moyen de décisions qui sont prises, mais aussi la diversité des termes utilisés.

Les décisions du consulat dans la première moitié du XV
Les décisions du consulat dans la première moitié du XVe siècle.

La première moitié du siècle se caractérise par une baisse du nombre des décisions. Rapportées aux nombres de jours de réunion, ces données sont confortées : en moyenne lors de chaque séance les conseillers prennent 2,7 décisions en 1417 ; 1,2 en 1427 ; 1,5 en 1434 et 1 en 1447. Le nombre de termes différents pour nommer la décision varie assez peu : le ratio par rapport au nombre total des termes reste faible, puisque la moyenne est de 0,18.

Que signifie « décider » pour les conseillers ? Pour mettre en lumière les attitudes consulaires, nous avons relevé tous les termes de décision en début de paragraphe, lors des années repères. Nous les avons ensuite regroupés afin de réaliser une typologie des décisions. Cinq catégories sont apparues, présentées dans le graphique suivant.

Les différents types de décision (1417-1447).
Les différents types de décision (1417-1447).

La crise que connaît Lyon dans la première moitié du siècle, explique peut-être qu’on prenne surtout des mandements, on gère au jour le jour la situation pendant la guerre de Cent Ans. Les ordres sont rares, on recherche surtout la cohésion, on préfère l’accord. Pour affiner notre analyse, étudions les variations lexicales de chaque catégorie 1571 .

La catégorie « Ordre » ne connaît pas de véritables changements : à 80 % les expressions utilisent le verbe « ordonner » seul, c’est toujours très simplement et directement que les choses sont commandées. Les rares synonymes employés sont « commander » et « vouloir » : cette faiblesse du vocabulaire n’est pas nécessairement la marque d’une pauvreté de langage. Un mot associé à une action, c’est la meilleure manière de faire passer son message à son interlocuteur, une façon aussi de supprimer toute contestation, toute ambiguïté.

Pour les expressions exprimant le mandement, la situation est fort comparable : une seule expression résume tout : « passer mandement ». C’est l’activité principale du consulat pendant cette période : elle représente en 1427, 1434 et 1447, entre 42% et 47% des décisions de la ville.

Les termes évoquant la désignation pour une charge n’offrent pas d’évolution particulière ; les expressions qui dominent largement sont « ils ont commis » et « ils ont chargé », ainsi que leurs diverses déclinaisons. Là encore, la simplicité du vocabulaire insiste peut-être sur l’aspect rituel et le respect des règles des nominations ; c’est peut-être aussi parce qu’il n’y a guère matière à épiloguer sur le sujet ou qu’on ne souhaite pas qu’il y en ait. Les nominations ne semblent pas avoir donné lieu à des débats, et si cela a été le cas, on se garde de le rappeler : la transparence affichée est une protection contre la contestation.

On note en revanche la grande diversité des termes concernant les décisions économiques, pour la bonne raison que celles-ci sont ponctuelles, elles répondent aux besoins du moment. La plupart font référence soit aux problèmes que pose la levée d’un impôt, notamment lorsqu’il s’agit de déterminer la cotte de chacun, soit à la manière dont sont affermées les possessions de la ville 1572 .

« Accord et conclusion » est une catégorie à l’évolution plus complexe. Pour la mettre en lumière nous avons regroupé tous les verbes et expressions de cette catégorie dans un tableau. Ces formules sont classées : pour chaque année en tête de liste apparaît en gras l’expression la plus utilisée, suivie de ses dérivés, puis viennent par ordre décroissant d’emploi les autres expressions qui ont pu être relevées.

Expressions de l’accord et de la conclusion (1417-1447).
Date Termes différents Verbes et expressions
(par ordre décroissant de fréquence)
1417 5 Ilz ont esté d’accord ; ont conclu et accordé ;
Ilz ont esté de conclusion et d’accords
Ilz ont respondu ; l’on a respondu
1427 5 Ilz ont conclu ;
Ilz ont accordé ;
Ilz ont appoincté 1573  ;
Ilz ont approuvé ;
Ilz ont consenti
1434 3 Ilz ont conclu ; Ilz ont esté de conclusion ;
Ilz ont accordé
1447 15 Ilz ont concluz ; Ilz ont concluz et ordonné ; Ilz ont concluz et arresté ; Ilz ont concluz et délibéré ; Ilz ont conclu et esté d’accord ;
Ilz ont esté d’accord ; Ilz ont esté d’accord et commun consentement ; Ilz ont esté d’accord, voulu et ordonné ; Ilz ont esté d’accord et ordonné ; Ilz ont esté d’accord et concluz ; Ilz ont accordé ;
Ilz ont appoincté et esté d’accord ; Ilz ont appoincté ; Ilz ont appoincté et ordonné ;
Ilz ont voulu et esté d’accord.

Cette catégorie est la plus intéressante : d’abord au niveau de sa richesse lexicale, mais aussi parce qu’à travers elle se dessine une évolution dans les comportements. Le nombre de termes différents augmente nettement pendant notre période : en 1447, leur proportion est multipliée par cinq par rapport à 1417 ou 1434. La synonymie qui fleurit pour cette catégorie, traduit l’influence du style juridique au sein du consulat ; ce domaine se prête particulièrement à cette évolution stylistique et exprime peut-être aussi certaines idées des juristes : le consulat est le lieu de la conclusion, de l’accord plus que du mandement, le pouvoir doit être un acteur actif, il ne doit pas se contenter de gérer la ville, il doit la prendre en main.

Place de la formule la plus utilisée dans la catégorie « Accord et conclusion » (1417-1447).
  1417 1427 1434 1447
Nombre de formules différentes 5 5 3 15
Formule la plus utilisée Ilz ont esté d’accord  Ilz ont conclu Ilz ont conclu Ilz ont conclu
Fréquence de la formule la plus utilisée 85% 74% 68% 31%

L’importance de la richesse lexicale de cette catégorie est renforcée par la diminution constante de la part de l’expression la plus utilisée à chaque date : en 1417, c’est l’accord qui est le plus important pour le consulat, cela tient certainement au fait que parmi les 4 dates retenues, celle-ci coïncide avec la période la plus troublée pour la ville de Lyon. Le consulat tient à donner de lui une image sans faille. Les années suivantes, c’est l’idée de conclusion qui revient le plus souvent : l’unanimité est affirmée en creux, on sous-entend par cette formulation que les dissensions n’existent pas au consulat, tous les membres sont de fait d’accord et arrivent ainsi sans difficulté à une conclusion.

Notes
1571.

Toutes les expressions sont présentées en annexe 10.

1572.

Ferme du Xe du vin ; péage du pont du Rhône, broteaux, etc…

1573.

Appoincter = mettre au point.