Cette volonté de donner une image très lisse et réconfortante du consulat se lit dans d’autres attitudes des conseillers. Beaucoup d’expressions soulignent l’importance de la collégialité des décisions. Quand un particulier fait une requête, il lui est répondu que « l’on lui fera response le premier jour que l’on sera ensemble » 1574 . Cette expression est peut-être aussi un euphémisme pour évoquer le problème des absents : « être ensemble » sous-entendrait « être en nombre souffisant ». C’est une façon de cacher aux particuliers qui viennent au consulat la désertion de certains, pour garantir la bonne image des conseillers aux yeux de la population.
L’existence de discussions n’est absolument pas masquée : elle est évoquée par le terme de « délibérations » 1575 , les conseillers donnent « leur advis, par manière de délibération et de provision » 1576 dans le respect des coutumes. Rien n’est imposé, les décisions se prennent par l’obtention d’un consensus, après débat. A travers leurs décisions se révèlent des motifs qui président à leurs choix : la garantie du bien commun, la recherche de la vérité 1577 mais surtout la prudence. Elle guide les décisions : elles sont jugées bonnes si elles n’entraînent pas de problèmes ou d’« inconvénients » 1578 , si elles sont prises selon la raison 1579 , si elles obéissent à un idéal de modération et de sagesse 1580 . Les conseillers recherchent toujours prudemment la légalité pour éviter toute contestation, leurs décisions apparaissent frileuses, et leurs actions s’exécutent au ralenti : souvent leurs décisions sont repoussées jusqu’à ce que « l’on saura plus à plein de nouvelles » 1581 . En 1428 lorsque Etienne de Villeneuve leur demande d’intervenir pour la libération de son frère, retenu prisonnier par le seigneur de Mont-Rigaut, ils lui répondent que « veues les informacions qu’il fera faire sur ce, et parlé aux autres de la ville, l’on y fera son devoir et ly en fera l’on response » 1582 .
Il y a de très nombreuses références au respect des traditions et aux privilèges de la ville. Bien des expressions expriment le refus de toute « innovation » 1583 , de tout « cas de nouvelleté » 1584 . Les conseillers tirent leur autorité de ce respect, ils s’engagent à veiller sur la tradition dans le serment lors du syndicat et sont donc arc-boutés sur ces principes. Suivre cette règle assoit leur légitimité, changer cette tradition c’est se mettre en danger : quelles actions pourraient avoir plus de poids que celles qui respectent les décisions prises par les fondateurs de la commune ? Ces expressions sont peut-être convenues et attendues, ou peut-être servent-elles un certain conservatisme urbain qui sclérose le consulat. De même la protection des privilèges de la ville fait partie des devoirs des conseillers et toute personne qui tente d’avoir de bonnes relations avec eux, doit s’engager à respecter ces privilèges et jurer de ne rien faire à leur encontre. Lorsque le Duc de Bourbon demande aux conseillers la permission de faire des travaux, il spécifie que son intention « n’est point pour ce déroguer es droys de ladite communaulté » 1585 .
Il ne faut cependant pas donner une image trop douce des décisions : le style des mandements et des ordres est défini par une grande sécheresse, par souci d’efficacité : quand on passe mandement de pierres à un commis, on spécifie qu’elles sont à « employer au mur Chenevrier et non ailleurs » 1586 . Cette sécheresse répond souvent à la volonté d’être obéi sans contestation : un habitant refuse de faire l’escharguet, les conseillers lui font répondre qu’« il n’aura point de response et fera comme davant » 1587 .
Derrière une certaine mesure toute rhétorique, une censure cachée du secrétaire, transparaît parfois la dureté de certaines décisions. Les conseillers soignent leur image et ne cherchent pas à apparaître comme durs mais comme justes, leurs réponses sont généralement polies, le style adoucit parfois la teneur des décisions ; il est rare que des sentences brutes soient notées aussi sèchement mais c’est un glissement intéressant qui montre la construction du discours consulaire. Lorsque les conseillers refusent de payer l’aide que demande le roi en 1434, ils chargent leur envoyé auprès du bailli de Mâcon « que l’on lui feist sentir que l’on lui feroit aucun plesir à par XX ou XXV royaulx » 1588 : les conseillers ne masquent pas leur discours, car ils n’ont nul besoin de circonvolutions pour donner des directives à un de leurs représentants, mais ils attendent par contre que lui en use lors de sa mission devant le bailli. Parfois la brusquerie des paroles apparaît dans un souci de concision, conseillers et secrétaire expriment en peu de mots certaines de leurs actions, comme lorsqu’il est écrit : « ilz ont concluz que l’on respondra à Monseigneur » 1589 ou « ilz ont esté d’acors que se monseigneur le bailli vuelt pardonner à Guillaume Panoillat, qu’il le face car ilz en sont contens » 1590 . L’irritation des consuls est aussi perceptible lorsqu’ils s’opposent à certains particuliers, comme par exemple quand ils prennent des mesures contre H. Tardi, un habitant en litige avec eux :
‘« attendu que H. Tardi n’est contens de riens que on lui face et qu’il ne se veult joyndre à raison, qu’il soit tenu et mis en taillie ou feur de sa première estime et laquelle lui fut premièrement par la renovellation des papiers imposée, et qu’il soit contrains à faire le paiement de ladite première extime et que ou cas qu’il seroit reffusans et que les Esleuz ne le contrendroient à faire ledit paiement, que on en appelle » 1591 .’Rares sont les débats où des avis contradictoires sont indiqués. En général, l’opposition aux décisions finales est masquée par des techniques de compte rendu : le secrétaire ne précise pas sur quoi porte le désaccord s’il indique les conseillers qui s’opposent. Ainsi en 1427, les conseillers acceptent de passer un mandement pour la réalisation du sceau d’argent de la ville, « excepté Poncet de Saint-Barthélemy, Mathieu Bottu, Robert Curt et François Loup » 1592 : leur désaccord est bien indiqué mais non explicité. Il semble que la pratique veuille qu’on ne note que l’avis et donc la décision de la majorité. Autre exemple, toujours en 1427, on apprend que « ledit Jaquème a dit que ladicte reste n’est point raisonnable » 1593 , mais ses arguments ne sont absolument pas notés pour appuyer son affirmation. Les avis individuels contraires aux décisions finales sont rarement indiqués, comme pour préserver l’idée d’une décision commune, d’un pouvoir uni dans l’action. C’est presque de façon fortuite qu’on apprend pourquoi un tel refuse de donner son aval à une proposition, et sur quels points se focalise son désaccord : dans tous les cas, ces notations sont très succinctes 1594 . On peut parler véritablement de censure.
Il arrive aussi que le secrétaire indique clairement des avis différents, mais il le fait en anonymant ceux qui s’expriment : il oppose « les ungs » aux « autres » 1595 sans qu’il soit possible de savoir qui s’oppose, ni finalement quelle décision est prise. Cette façon de noter les informations sur les débats de manière partielle, permet en réalité de faire perdre toute valeur et sens à ces discussions. Malgré tout, ces opinions divergentes sont la preuve de tensions réelles. Le peu d’exemples de controverses entre conseillers peut conduire en effet à se demander si leur si petit nombre est véritable, ou s’il est minimisé par le secrétaire qui choisit de ne pas rapporter systématiquement les oppositions avant les conclusions, pour préserver l’image harmonieuse d’un consulat uni.
Les conseillers souhaitent donc donner une image positive de leur consulat, ils ont la volonté très vive de souligner l’accord qui existe entre eux, par l’unanimité des décisions, l’absence de voix discordantes, quitte à masquer les tensions lorsqu’elles existent. L’augmentation du nombre de grands juristes parmi les conseillers dans les années 1450-1480 modifie-t-elle ces pratiques ? Peut-on trouver des évolutions dans la manière de faire de la politique au sein du consulat ?
1417, RCL1 p.24, p.34, p.48, p.50, p.69, p.80 ; 1435, RCL2 p.425.
1417, RCL1 p.85.
1427, RCL2 p.223 ; 1434, RCL2 p.369.
Les comptes des receveurs sont examinés afin d’en « [savoir] la vérité », 1434, RCL2 p.392.
« … que l’on y pourvoie en manière que inconvénient n’aviengne pour deffault de ceulx qui doivent des arréages », 1434, RCL2 p.389.
On ordonne de faire « la plus supportable composition », 1427, RCL2 p.216.
Pour prendre leur décision, les conseillers « aviseront personnes saiges », 1434, RCL2 p.376.
1434, RCL2 p.394.
« Estienne de Villenove a fait requeste aux conseillers, après le département des autres, qu’ilz vueillent faire la poursuite contre le seigneur de Mont-Rigaut, qui a voulu prendre Aynart, son frère, auquel l’on a respondu que, veues les informacions qu’il fera faire sur ce, et parlé aux autres de la ville, l’on y fera son devoir et ly en fera l’on response », 1418, RCL1 p.108.
1434, RCL2 p.400 ; 1447, RCL2 p.531.
« Se J. de Givort fait exéquter aucun cas de nouvelleté pour reffaire ses estres de sa meyson, que le procureur de la ville s’y oppose afin qu’elles ne soient faictes », 1417, RCL1 p.56.
1447, RCL2 p.561.
1427, RCL2 p.233.
1419, RCL1 p.173.
1434, RCL2 p.363.
1419, RCL1 p.180.
1418, RCL1 p.142.
1449, RCL2 p.609.
1427, RCL2 p.238 ; 1419, RCL1 p.170.
1427, RCL2 p.223.
« … excepté Audry Chivrier qui a dit de non y envoyer pour la dispense qui sera grande », 1420, RCL1 p.230 ; « … excepté Jehan de Nièvre qui a dit que qui en pourroit avoir CCCC fr. que l’on les preingne et non pas moins », 1434, RCL2 p.399.
Exemple : « ilz ont esté de conclusion, les ungs, que l’en suyve la cause contre les monnoyers et que pour amour de maistre Guillaume Toreau, qui en a prié, que l’en leur donne leurs gaiges des deffaulx qu’ilz ont fait au guet et à la porte ; les autres ont esté de conclusion que, pour le présent et en faveur du don que l’en entend à demander à monseigneur le Dauphin, et afin que l’en le puisse plus légièrement obtenir, c’est assavoir les deux pars du segnourage de la monnoye de Lion du billon qui vendra de l’Empire, que l’en laissast en pais lesdits monnoyers sans plus rien procéder contre eulx ; et les autres ont esté de conclusion que mieulx vauldoit perdre ledit don et de la monnoye, que ce lesdis monnoyers dont les aucuns sont de vil et bas estat, estoient plus francs que les autres, tant nobles que autres personnes », 1421, RCL1 p.307.