3. Le nouveau visage du pouvoir consulaire (1490-1510).

a) La mise en valeur des avis individuels.

Au début du XVIe siècle, le consulat accomplit définitivement la transformation amorcée dans la seconde moitié du XVe siècle.

Les décisions du consulat (1497-1517)
Les décisions du consulat (1497-1517)

Le nombre des décisions augmente, elles sont deux fois plus nombreuses en 1507 qu’en 1487 1632 . Par contre le ratio entre le nombre total des décisions et le nombre d’expressions de la décision tombe à 0,2. La période est moins à l’inventivité que la précédente : cette stabilisation du vocabulaire symbolise-t-elle un nouvel équilibre dans un consulat apaisé, qui a enfin trouvé une image qui lui convient ? L’évolution des types de décision et de leurs formulations confirme-t-elle cette hypothèse 1633  ?

Les types de décision (1497-1517).
Les types de décision (1497-1517).

L’augmentation de la catégorie « Ordre » confirme que le consulat s’affirme comme fort et respectable. « Accord et conclusion » occupe toujours une place importante : les juristes ont imposé leur vision d’un pouvoir, lieu de débats.

L’évolution lexicale de chacune des catégories 1634 se révèle presque nulle, soulignant l’équilibre qui a été trouvé. Pour les expressions concernant l’ordre, le verbe « ordonner » reste le pilier de cette catégorie ; la situation est fort comparable pour les mandements où l’expression « passer mandement », déclinée à tous les temps et tous les modes, résume tout. Les désignations pour une charge 1635 , comme les décisions économiques 1636 , confirment cette tendance : rien ne change par rapport à la période précédente. Seule la formulation évolue, on passe après 1497 à une forme totalement impersonnelle : « a été ordonné », « a été passé mandement »... Le pouvoir est devenu complètement abstrait pour mieux affirmer son prestige et impressionner la population : il a adopté un ton plus sec pour s’exprimer.

Seule la catégorie « accord et conclusion » connaît une évolution propre.

Evolution générale de la catégorie « Accord et conclusion ».
  Nombre de termes différents Fréquence du terme le plus employé (%)
1417 3 85
1427 5 74
1434 3 68
1447 16 75
1457 14 72
1467 18 42
1477 7 48
1487 7 65
1497 20 29
1507 22 29
1517 30 22

La fin de la période ne dément pas l’augmentation quasi-continue du nombre de termes différents ; parallèlement la diminution de la part de l’expression la plus utilisée est encore accentuée. La richesse lexicale et l’invention verbale de cette catégorie ne font donc que croître pendant tout le siècle.

Expressions de l’accord et de la conclusion (1497-1517).
Date Nombre de termes différents Verbes et expressions
(par ordre décroissant de fréquence)
1497 20 A esté délibéré ; Ont délibéré ; A esté mis en délibération ;
Ont conclud et délibéré ; Ont conclud par délibération ;
A esté advisé et délibéré ; A esté advisé ; Ont esté d’avis ;
Ont accordé ; A esté accordé ;
Ont remonstré et déclaré ;
A esté permis ;
A esté dit ; Ont dit ; A esté dit et arresté ; Ont dit et arresté ; Ont dit et narré ;
A esté arresté ; Ont arresté ;
A esté respondu.
1507 22 A esté dit et remonstré ; A esté dit et conclud ; A esté dit, conclud et arresté ; Ont dit et respondu ;
A esté mis en terme ;
A esté respondu ; A esté respondu et accourdé ; Ont respondu ;
Ont délibéré ; A esté délibéré ; A esté délibéré et conclud ;
A esté conclud ; Ont conclud ;
Ont accordé ; A esté accordé ;
A esté permis ; A esté permis et offert ; A esté permis et ordonné ;
A esté appoincté ; Ont appoincté ;
A esté advisé ;
A esté arresté.
1517 30 A esté mys en termes ; Ont mys en termes ;
A esté advisé ; Ont advisé ;
A esté respondu ; Ont respondu ; A esté résolu leur respondre ;
A esté récité ; A esté récité et exhibé ;
A esté dict ;
A esté parlé ;
A esté remonstré ; Ont remonstré ;
A esté demandé ;
A esté conclu ;
Ont consenty ;
Ont arresté ;
Ont esté d’oppinion ; Ont esté de celluy advis et oppinion ;
Ont esté délibéré ;
A esté résolu ; Ont résolu ;
A esté promis ; Ont promys ;
A esté permys ;
A esté accordé ; Ont accordé ;
Ont accepté ;
Ont ratiffié.

La diversité du vocabulaire utilisé est due en partie à la mode du style juridique, qui affectionne les synonymes. Mais c’est la part des expressions indiquant le débat, le dialogue, la confrontation des points de vue qu’il faut surtout souligner ; d’ailleurs pour chacune des années test, l’expression la plus employée est très révélatrice : « a esté délibéré » en 1497, « a esté dit » en 1507, « a esté mis en termes » 1637 en 1517, insistent toutes sur l’échange de paroles.

En plus de ces expressions en début de paragraphe, apparaissent d’autres tournures. Le consulat est le lieu où chaque conseiller entend s’exprimer et faire entendre sa voix, son individualité. Beaucoup de formules soulignent donc l’ampleur des discussions, le temps qui y est consacré, pour montrer le sérieux des confrontations 1638  : certaines sont sobres, indiquant seulement que les conseillers « ont eu conférence ensemble » 1639 . Mais de plus en plus, on met en avant qu’il y a eu « bonne et meur délibération » 1640 . On insiste sur les multiples avis qui sont donnés, les décisions n’étant prises qu’« après plusieurs collocucions » 1641 , « plusieurs allégacions et ouvertures sur ce faictes » 1642 ou « plusieurs oppinions et considéracions dites et alléguées » 1643 . Enfin il est important que les débats apparaissent vifs et passionnés : telle matière n’a pas été simplement débattue 1644 , elle a « esté desmenée sur le bureau » 1645 . L’utilisation de ce verbe imagé 1646 traduit la virulence et l’animation des débats : c’est l’image d’un consulat actif qu’on souhaite donner, pour mieux briser celle d’un monde de collusion où les discussions ne sont que de pure forme.

Une expression nouvelle apparaît à cette époque : les conseillers soulignent que les affaires sont examinées et « débatues longuement sur le bureau » 1647 . L’intérêt que l’on porte à l’examen des problèmes valorise encore l’image du consulat.

Dans cette même optique, le mode de décision n’est plus une préoccupation : qu’il soit unanime ou majoritaire, ce qui compte c’est l’aboutissement, la solution qui est trouvée et qui est d’autant meilleure qu’on a passé du temps à la chercher. D’ailleurs, il n’est plus indiqué systématiquement si une décision a été prise « par la plus saine partie des oppinions » 1648 ou par « tous » 1649 .

Une grande attention est en revanche accordée à la mise en valeur des avis individuels. Ce changement résulte d’une modification de la façon dont les conseillers se perçoivent : ils ne sont plus une partie d’un tout, le consulat, qui n’a qu’une voix pour mieux affirmer sa puissance comme au début du XVe siècle. Ils sont devenus des individus indépendants et entendent bien que la postérité se souvienne d’eux, de manière précise et individuelle. La mémoire du consulat devient celle des conseillers : l’individu cherche à s’affirmer face au groupe. C’est donc sur leur insistance personnelle que leur avis est noté, souvent parce qu’il s’oppose à celui de la majorité 1650 .

Notes
1632.

Un graphique reprenant l’évolution des décisions sur toute la période est présenté en annexe 11.

1633.

Un graphique reprenant l’évolution des types de décision sur toute la période est présenté en annexe 12.

1634.

Voir les tableaux en annexe 10.

1635.

« Ils ont commis » et « ils ont chargé », ainsi que leurs diverses déclinaisons, dominent toujours.

1636.

Cette catégorie conserve sa diversité de termes liée à l’aspect ponctuel et divers des problèmes auxquels le consulat doit faire face.

1637.

Mettre en termes = formuler, déclarer ; par extension coucher sur le papier.

1638.

On insiste beaucoup moins sur les épisodes où le consulat se trouve en peine de répondre car il ignore tout d’un dossier. Par exemple, les conseillers doivent vérifier s’il y a assez de blé aux greniers de la ville, mais « ilz n’ont peu bonnement à la vérité extimer lesdits bléz », 1506, BB25 f4v ; autre exemple une requête de Guillaume Dublet qui demande 250 l.t. qui lui sont dues de l’époque où il était receveur : « auquel a esté respondu que messires qui sont à présents conseillers et au présent consulat ygnorent tout le contenu de sadite requeste, parquoy ilz s’en informeront par les papiers et actes de ce temps et après feront ce qu’ilz devront et pourront », 1511, BB28 f318v.

1639.

1517, BB37 f94v. Idem : 1508, BB28 f13, f69 ; 1512, BB30 f61v ; 1514, BB33 f54.

1640.

1513, BB30 f285. Idem : 1497, BB24 f73 ; 1510, BB28 f240.

1641.

1493, BB20 f110v. Idem : 1491, BB19 f241 ; 1492, BB20 f9.

1642.

1497, BB24 f76v.

1643.

1507, BB25 f103v. Autres expressions du même style : « après plusieurs ouvertures et oppinions », 1497, BB24 f120 ; « après plusieurs considéracions », 1507, BB25 f113v ; « plusieurs parolles eues d’un costé et d’autre » 1507, BB25 f135v.

1644.

Exemples : « et après ce que ladite matière a bien esté desbatue entre mesdits sires… », 1510, BB28 f153v ; « a esté bien débatu par mesdits sires les conseillers et sur le bureau a esté advisé que … », 1510, BB28 f157 ; « après avoir débatu ladite matière sur le bureau », 1510, BB28 f199…

1645.

1508, BB25 f252. Idem : « après avoir desmené et débatu ladite matière sur le bureau par résolucion a esté conclud… », 1511, BB28 f258.

1646.

« Desmener » (sans construction pronominale) est une nuance de mener, signifiant « conduire à son résultat en s’agitant ».

1647.

1514, BB33 f84v. On trouve de multiples déclinaisons : « couché au bureau », 1503, BB24 f393v ; les tailles « ont esté remises sur le bureau », 1506, BB25 f28 ; « après que ladite matière a esté desmenée sur le bureau », 1508, BB25 f252 ; « a esté bien débatu par mesdits sires les conseillers et sur le bureau a esté advisé qu’on doit traicter avec… », 1510, BB28 f157 ; « après avoir débatu ladite matière sur le bureau », 1510, BB28 f199 ; « ont ordonné les luy faire [lettres missives] et expédier comme les minutes qu’il a baillées et ont esté leuez sur le bureau », 1510, BB28 f196 ; « et sur le bureau a esté ordonné et conclud et ceste ordonnance et conclusion dicte, déclaré et intimée », 1510, BB28 f238 ; « après avoir desmené et débatu ladite matière sur le bureau par résolucion a esté conclud… », 1511, BB28 f258 ; « a esté récité sur le bureau la sentence », 1511, BB28 f265v ; « par plusieurs considérations eues sur ce bureau », 1511, BB28 f272 ; « a esté rapporté sur le bureau », 1512, BB28 f333v ; « la matière a esté débatue longuement sur le bureau », 1514, BB33 f84v ; « a esté remys en propos et sur le bureau la matière de la ferme des draptz de soye », 1515, BB33 f267, …

1648.

1510, BB28 f208v.

1649.

1501, BB24 f307.

1650.

Jean Sève « a requis ceste son oppinions estre escripte particulièrement », 1512, BB28 f336v ; Jean Sève s’oppose au travail des gens du plat pays aux fossés de la ville, il « a demandé ceste sienne oppinion estre registrée », 1512, BB30 f63 ; Claude Thomassin s’oppose aux autres conseillers, il « a demandé sondit advis estre rédigé par escript », 1512, BB30 f72v ; Claude Thomassin « a demandé et requis sadite oppinion estre rédigée particulièrement par escript », 1513, BB30 f232v ; « monseigneur le bailli Glaude Laurencin qui a requis son oppinion estre rédigée par escript, lequel par son oppinion a dit que … », 1513, BB30 f277 ; les conseillers acceptent de recevoir à l’hôpital une ancienne prostituée, Ancelly Habelly, « ledit de Villars est d’oppinion contraire et qu’elle est mariée et que le nombre des filles repenties est grant et est l’ospital tropt chargé d’icelle aussi qu’il a esté ordonné par le consulat précédent qu’elle ne seroit receue et a requis ceste son oppinion estre rédigée par escript », 1517, BB37 f87.