b) Le discours du 21 décembre.

Les marchands imitent donc l’art de bien s’exprimer des juristes, mais ces derniers restent les seuls vrais spécialistes : lorsqu’un personnage important arrive à Lyon, c’est l’un d’eux qui est choisi pour faire la harangue au nom de la ville. En 1476, « messire François Buclet docteur en loys et l’un d’iceulx conseillers » 1673 s’en charge lors de la venue du Roi ; pour l’arrivée du prince de Tarente, on choisit « messire Jehan Palmier [pour porter] le langaige » 1674 . Plus généralement, on désigne des licenciés ou des docteurs en droit, conseillers juridiques, anciens ou actuels consuls ; on recherche leur habileté oratoire, leur connaissance des usages, de la diplomatie, et aussi leur capacité pour « porter le lengaige en latin pour ladite ville » 1675 . A partir de la fin du siècle, ces juristes sont toujours des conseillers en place 1676 , valorisant ainsi l’institution aux yeux des grands. Après 1515, le grand juriste préposé aux discours publics est toujours aussi le président du consulat 1677  : symboliquement l’image du consulat est donc associée aux seuls juristes, et ce cumul de fonction montre bien qu’ils ont pris le pouvoir.

Cette prééminence que donne l’art de la parole se retrouve aussi lors de la publication du syndicat devant toute la population le 21 décembre 1678  : chaque année, pour prononcer le discours en l’honneur de la ville avant la nomination des nouveaux conseillers, la municipalité désigne un juriste 1679 , d’ailleurs cette tâche leur est réservée quasiment de droit puisque jamais aucun marchand n’est sollicité par le consulat. Les mots employés pour désigner ce discours connaissent une évolution intéressante. Un terme perdure pendant toute la période, celui de « collation » 1680  : son origine latine, collatio, renvoie à la fois au sens de comparaison, de confrontation de textes, mais aussi de conférence, lue notamment le soir au cours du repas dans les monastères. Ces deux acceptions conviennent tout à fait : ce discours est un montage d’un texte en latin et d’un texte en français, le second explicitant le premier. Dans le seul exemple qui nous soit parvenu, il est fait référence à plusieurs auteurs antiques que l’on évoque pour disserter sur l’origine de la cité 1681 . Ce texte est aussi lu devant le peuple assemblé à saint Nizier. L’aspect à la fois rhétorique et religieux du mot convient bien à ce type de cérémonie.

D’autres mots apparaissent et se multiplient au début du XVIe siècle : cette production verbale peut indiquer un changement, on donne peut-être plus d’importance à ce discours, parce que d’éminents juristes le prononcent et en font un morceau de bravoure. Apparaît ainsi le terme de « sermon » 1682  : on insiste sur la parenté avec le prêche des prédicateurs, peut-être dans l’idée que le discours doit édifier, moraliser et enseigner les Lyonnais qui l’écoutent. Le terme de « arengue » 1683 est attesté dans les années 1490 : c’est un mot déjà très employé, plus général puisqu’il désigne les compliments prononcés chaque fois qu’un grand arrive en ville. Son emploi dans ce cas de figure est peut-être une manière de rappeler que ceux qui prononcent ces discours sont les mêmes : des juristes.

Par contre il est plus surprenant de trouver l’expression « oraison doctorale », elle est d’ailleurs rare 1684 . C’est un terme d’un niveau de langue plus élevé ; il est d’ailleurs intéressant de remarquer la différence qui existe entre sermo et oratio en latin : sermo implique un langage sans art, alors qu’oratio évoque un langage préparé, l’éloquence, le style. L’expression « oraison doctorale » met en avant l’idée que celui qui la prononce n’est pas n’importe qui : la pratique du discours se banalise, elle devient l’occasion de briller en public 1685 .

L’attribution de la charge pour faire ce discours devient un véritable enjeu, parce qu’elle est un honneur, un signe de reconnaissance sociale aux yeux de tous. Mais elle est aussi l’affirmation d’un pouvoir et d’un crédit reconnus par l’institution politique, comme le prouve cet épisode de 1513 :

‘« Monsieur de Glaudenez a escript une lectre à messires du consulat priant mesdits sires qu’ilz vueillent parmectre place le jour saint Thomas à messire Ciprian Grant, orateur, pour faire la collacion acoustumée de faire pour le consulat, et pareillement ledit messire Chanet a récité comme monseigneur l'évesque souffragant de Lion estoit deslibéré venir requérir mesdits sires en faveur dudit messire Ciprian, saichant qu’il est homme et personnaige très éloquent, lectré et grant orateur, qui pourra dire chose agréable et prouffitable aux habitans de la ville et à l’honneur d’icelle, et a donné charge audit maistre Chanet de fere de par luy ladite requeste. Surquoy a esté ordonné que ledit Humbert Mathieu et le secrétaire yront savoir si monsire le docteur Bellièvre, filz de monsire le secrétaire Bellièvre, qui avoit accepté ladite charge, est prest et délibéré de faire ledit sermon, affin que jeudy y soit mieulx ordonné, et que se ledit monsire Bellièvre est prest et délibéré de le faire, d’autre n’y sera pourveu pour ceste fois car c’est personnaige très agréable à mesdits sires, et sera faicte response à mesdits sires les evesques comme provisum extitit » 1686 .’

La désignation pour cette charge est une sorte de récompense, comme le sous-entendent les propos des conseillers à propos des Bellièvre. Ce choix est une marque de respect envers ce juriste, mais on peut penser que c’est aussi une manière de remercier son père Barthélemy, plusieurs fois conseiller 1687 . Il semble pourtant qu’il y ait des sortes de candidatures : c’est le seul exemple que nous ayons, peut-être le premier signe d’une pratique qui indique la valeur conférée à cette distinction. Il ne s’agit pas de candidatures spontanées, il serait malvenu de réclamer des honneurs ; des personnes influentes écrivent des recommandations, alors même que le consulat a déjà fait son choix. Ciprian Grant est ainsi proposé : il est juriste, issu d’une famille importante à Lyon. On entrevoit donc les rivalités et les envies que suscite cette attribution.

Cet extrait insiste sur les qualités indispensables pour obtenir cette charge : il convient d’être un « personnaige très éloquent, lectré et grant orateur qui pourra dire chose agréable et prouffitable aux habitans de la ville et à l’honneur d’icelle ». Le discours de 1509, prononcé par Pierre Chanet 1688 , et qui nous est parvenu en est la parfaite illustration. Cette oraison a été magnifiquement mise par écrit sur parchemin et enluminée, certainement par volonté de l’intégrer dans la mémoire de la ville. Elle a été collée sur un support en bois, peut-être pour être mise au mur au consulat 1689 . Le sujet qu’elle développe, en latin puis en français, porte sur l’antiquité de la ville de Lyon, son prestige en France. Ce discours est symbolique à plusieurs points de vue : il est un témoignage de ce que peut être la culture des grands juristes lyonnais, mais aussi de l’image que veut donner la ville d’elle-même à sa population et au monde 1690 .

Bien que cette oraison soit la seule à nous être parvenue, il est probable que sa construction réponde à des normes et que d’une année sur l’autre, le corps de ce discours soit relativement semblable 1691 . Elle se compose de deux parties : l’une en latin, l’autre en français. Pour la partie en français, Chanet se contente de recopier littéralement, un passage des Illustration de Gaule et singularités de Troie de Lemaire de Belges 1692 . Il montre ainsi l’origine troyenne de Lyon 1693  : la ville devrait son nom à Lugdus, 13ème roi de Gaule, fils d’Harbon, fils de Galatheus, lui-même descendant de Francion et des princes troyens. Il souligne aussi la parenté linguistique entre les prénoms Lugdus et Ludovicus, pour montrer les liens entre le nom de Lyon et le prénom Louis, si prisé par les rois de France : la fidélité mais aussi la proximité de la cité avec le pouvoir royal sont ainsi affirmées.

Chanet ne cite jamais Lemaire de Belges, en revanche il donne les sources qui lui auraient permis de reconstruire ce glorieux passé : un certain Berosus est ainsi évoqué. Ce Bérosus ou Bérose est le nom d’un auteur antique, « exhumé de l’oubli » par Annius de Viterbe, dans ses Commentaria de Antiquitatibus, publié à Rome en 1498 1694 . Le succès de cet ouvrage en France est immédiat 1695 , il est dû à la mode des origines troyennes des Francs, mais s’inscrit aussi dans le cadre d’une polémique anti-italienne, refusant de reconnaître les Italiens comme les seuls héritiers légitimes de l’Antiquité 1696 . Si Chanet ne cite pas Lemaire dans son discours, c’est parce qu’il est loin d’être un inconnu pour les Lyonnais lettrés : il a fait plusieurs séjours à Lyon en 1505 et 1509, où il a été accueilli par Symphorien Champier et André Victon. Il a eu l’occasion de lire en avant-première ses Singularités à un petit cénacle d’érudits et d’humanistes lyonnais 1697  ; d’ailleurs en mars 1509, Lemaire veut faire imprimer à Lyon Les singularités, car dit-il dans une lettre, « tout le monde les demande », les Lyonnais « font sans comparaison plus grand feste de par deçà (…) et en ont ou désirent avoir les doubles ou par escript ou par impression » 1698 .

L’art de bien s’exprimer devient un signe identitaire : le consulat donne l’image d’une institution prestigieuse, grâce à la maîtrise de la parole que possèdent les grands juristes qui le dirigent. Cela signifie-t-il qu’une culture conquérante, celle des juristes, s’impose et qu’elle devient une culture subie par les consuls marchands ?

Notes
1673.

1476, BB13 f39v.

1674.

BB351, cahier 2, 6 mai 1479.

1675.

BB351, cahier 3, 28 juillet 1480.

1676.

En 1491 et 1494, François Buclet est chargé de « pourter le lengaige et fere arengue » (1491, BB19 f235-v ; 1494, BB21 f46, f49 ; 1494, BB22 f6). En 1500, Etienne Garnier (1500, BB24 f237) ; en 1501, Louis du Perier (1501, BB24 f336) ; en 1506, Claude Vandel (1506, BB25 f48) ; en 1508 et 1509, Pierre Chanet (1508, BB25 f258v ; 1509, BB28 f77v) ; en 1511, Claude Thomassin (1511, BB28 f308)…

1677.

Pour la venue de monseigneur de Bourbon « a faict l’arengue messire Franc Deschampz, conseiller et président du consulat », 1515, BB34 f5v ; pour la venue de la reine, « laquelle arengue feit bien triumphante messire Franc Deschamp, docteur et président du consulat », 1516, BB34 f163v.

1678.

P. Zoberman a étudié plusieurs manifestations de l’éloquence profane : les discours des académies (académie française, académies de provinces), parlements et institutions judiciaires, mais aussi la production municipale. L’éloquence municipale est caractérisée par les discours qui accompagnent le renouvellement des conseillers. Dans le cas de Lyon, il s’agit d’un discours commandité par la ville, qui n’est pas prononcé par l’un de ses membres mais par un juriste : le corps de la ville est à l’origine d’une pratique oratoire. L’éloquence d’apparat manifeste le caractère essentiel de l’appartenance des individus à des corps, dans la ville ces célébrations sont pour l’individu autant de moyens de s’inscrire dans le groupe social, elles le rattachent au tissu social. P. Zoberman, Les cérémonies de la parole. L’éloquence d’apparat en France dans le dernier quart du XVII e siècle, Honoré Champion, Paris, 1998, p.529-538.

1679.

Quelques orateurs du discours de la saint Thomas : Michel Vauchard, licencié en droit en 1506 (BB25 f89) ; Pierre Chanet docteur en droit, juge ordinaire, en 1509 et en 1512 (BB28 f145 et BB30 f102) ; André Victon docteur en droit en 1511 (BB28 f286v) ; Jean Balarin, docteur en droit en 1514 (BB33 f180v) ; Antoine Vauzelle, docteur en droit en 1518 (BB37 f214)…

1680.

1459, BB7 f150v. « Pour la collation du sindicat ledit messire Burberon a pris charge la fere fere à messire Glaude Paterin ou à messire Chanet et s’ilz n’en veullent prendre charge luy mesme la fera », 1499, BB24 f224 ; « a fait la collacion messire Henard Porret, docteur et après a esté publié l’instrument du sindicat », 1511, BB28 f326-29.

1681.

Ce texte de 1509 est analysé un peu plus loin.

1682.

« Le lundi XXI dudit mois en la manière acoustumée a esté publié l’instrument du sindicat à saint Nizier où a fait le sermon le filz Michel Vauchard, licencié en droitz », 1506, BB25 f89-92v ; « fut publié le scindicat, cy après inséré, en l’esglise saint-Nizier, le peuple congrégué au son de la grosse cloche à la manière acoustumée et fait le sermon messire Pierre Chanet, docteur, juge ordinaire », 1509, BB28 f145 ; « messire Pierre Chanet a esté esleu à faire le sermon de saint Thomas », 1512, BB30 f102. On remarquera que ce terme de « sermon » est aussi souvent associé à celui de « collacion » : « maistre Simphorien Champier a fait la collacion ou sermon très excellement », 1508, BB28 f64 ; « Henard Porret docteur qui feit le sermon et collacion dudit jour », 1511, BB28 f325 ; « messire Pierre Chanet a fait le sermon ou collacion », 1512, BB30 f116v ; « a faict la collacion ou sermon acoustumé de faire en tel cas monsieur Jehan Ballarin docteur, official de la primasse », 1514, BB33 f180v.

1683.

« Ont ordonné que l’en treuve ung docteur pour faire l’arengue du sindicat prochain », 1493, BB21 f14. Le jour de la saint Thomas, « fit l’arengue messire Pierre Chanet », 1507, BB25 f162v.

1684.

François de Pavie a fait « très éloquement l’oraison doctorale », 1517, BB37 f135v ; « A esté esleu pour faire le sermon et oraison doctoralle le jour sainct Thomas prochain messire Vauzelle docteur », 1518, BB37 f214.

1685.

On notera que le fait de prononcer ce discours est rémunéré : « André Victon docteur pour le sermon audit jour [de la saint Thomas] : trente sols », 1511, BB28 f286v.

1686.

1513, BB30 f300v.

1687.

Barthélemy Bellièvre a été conseiller en 1493-1494, 1497-1498, 1501-1502, 1507-1508 et 1513-1514.

1688.

Pierre Chanet est docteur en droit ce n’est pas la première fois qu’il prononce l’oraison de la saint Thomas, dix ans plutôt en 1499, le consulat l’avait déjà chargé de cette tâche. En 1509, il prononce ce discours alors qu’il sort de charge : il avait été élu conseiller en 1507-1508. C’est un grand honneur qui lui est fait, c’est aussi le signe d’une reconnaissance de la part de ses pairs que de se voir ainsi désigné.

1689.

L’intégralité de ce texte est présentée en annexe 13.

1690.

La population lyonnaise côtoie aussi cette culture lors des entrées royales, qui sont l’occasion de jouer des mystères et des pièces exaltant le pouvoir royal. Ainsi lors de l’entrée de François 1er, la municipalité fait jouer des tableaux empruntés à l’Antiquité profane ou sacrée, ou inspirés par des fables ou le Roman de la Rose. E. Baux, V.L. Bourrilly, « François 1er à Lyon », Revue d’histoire de Lyon, t.12, 1913, p.116-145 ; suite, t.13, 1914, p.161-179. Voir aussi B. Guenée, « Les entrées royales de 1328 à 1515 », Politique et histoire au Moyen-âge. Recueil d’articles sur l’histoire politique et l’historiographie médiévale, Publication de la Sorbonne, Paris, 1981, p.127-151.

1691.

La codification de ce discours nous est connue seulement pour le XVIIe siècle : le juriste qui prononce le discours le jour de la saint Thomas doit soumettre son papier quelques jours auparavant au consulat pour qu’on vérifie qu’il est digne d’être lu en public, il y a donc une censure qui est exercée par le gouvernement. Autre codification, il expose le sujet en latin, le corps en français, tout comme les harangues finales ; le discours est coulé dans un moule. La table devant laquelle l’orateur parle est couverte d’un tapis de Turquie, élément de magnificence. Toutes ces informations sont connues grâce à un document : « Cérémoniel public arrêté par les sieurs prévost des marchands et échevins de la ville de Lyon » qui date de la fin du XVIIe : BML, ms.1446. Cité par P. Zoberman, Les cérémonies de la parole…, op. cit., p.542.

1692.

Il s’agit d’un extrait du chapitre 13, livre 1er. Cela correspond aux pages 85-86 de l’édition citée. Lemaire de Belges, Illustration de Gaule et singularités de Troie, éd. J. Stecher, Paris, vol 1, 1882. Seul le début du discours en latin, semble être de Pierre Chanet.

1693.

C. Beaune explique que dès le VIIe siècle, on a cherché à donner des origines troyennes aux Francs, créées sur le modèle antique de la fondation de Rome par les exilés troyens conduits par Enée. Les Français sont comme les Romains, issus de la race la plus ancienne et la plus noble. Les textes de la fin du VIIe siècle comme Historia francorum (vers 660) de Frédégaire, introduisent le personnage de Francion. Peu de nouveautés dans la légende jusqu’au XIIIe siècle : les grandes encyclopédies historiques comme Les grandes chroniques et le Miroir historial de Vincent de Beauvais rendent populaire la version de la légende. Au début du XVIe, Jean Lemaire de Belges dans son Illustration de Gaule et singularités de Troie, transforme le mythe des origines troyennes des Francs en un mythe des origines troyennes des Gaulois. Les Gaulois sont en Gaule depuis des temps immémoriaux : une partie d’entre eux est allée fonder Troie puis Francion revient au pays de ses ancêtres. Gaulois et Francs sont donc des Troyens, une seule et même population. De nombreuses villes françaises rattachent leur fondation à des héros épiques du cycle carolingien ou aux civitates. L’origine troyenne des villes n’est affirmée de bonne heure que pour des villes très liées à la dynastie : Paris, Reims, Tours. Mais les références se multiplient au XIIIe siècle : Nîmes, Narbonne, Troyes, Toulouse ou Clermont se prétendent troyennes et s’inventent des héros éponymes : Troïlus, Tolosanus,… Lyon s’inscrit donc dans un mouvement général. C. Beaune, Naissance de la nation France, Paris, Gallimard, 1985, p.15-29 et p.52. Voir aussi R.E. Asher, National myths in Renaissance France. Francus, Samothes ans the druids, Edinburgh University Press, 1993.

1694.

En réalité, Annius de Viterbe a totalement inventé les textes de ces auteurs antiques qu’il publie et sur lesquels il se base pour rédiger son ouvrage. Malgré cette supercherie, rapidement découverte, le livre est un succès immense en France, en Allemagne, en Angleterre et en Espagne. Cf. F. Simone, « Historiographie et mythographie dans la culture française du XVIe siècle : analyse d’un texte oublié », Actes du colloque L’humanisme lyonnais au XVI e siècle, Presses universitaires de Grenoble, 1974, p.133. Les Lyonnais ne restent pas dupes de cette supercherie : dans son Histoire de Lyon, Guillaume Paradin écrit en 1573 à propos de l’étymologie du nom de Lugdunum (Livre 1er, chapitre VI) : « Avant la venue de Lucius Plancus en Gaule, il n’est point nouvelles par les autheurs du nom de Lugdunum, quelques fables qu’on puisse aléguer d’un Bérose supposé et falsifié : parquoy je renvoye ces bérosistes au syncère jugement de Beatus Rhenanus, qui a non moins doctement que sagement fondé l’imposture que tascha faire Joann. Annius, lequel il dict estre semblable à celuy qui s’efforce avec un crible de tirer du lait d’un bouc. Car il y a autant de différence entre l’antique Bérose et cestuy desguysé qu’entre un éléphant et un asne ». Guillaume Paradin, Histoire de Lyon, 1573, réédition Roanne, Horvath, 1973.

1695.

L’ouvrage de Viterbe est imprimé à Paris en 1510 par Jean Marchant, avec une préface de Geoffroy Tory, preuve de l’intérêt des lettrés. F. Simone, « Historiographie et mythographie dans la culture française du XVIe siècle : analyse d’un texte oublié », op. cit., p.126-140.

1696.

L’utilisation politique de ces « découvertes » se poursuit pendant tout le XVIe siècle. Exemple, l’opuscule de 1542, édité par le lyonnais Jean Brotot : L’arbre de France, déclaration de la garde antienne de Foy, de Justice et Prouesse, le vol du temps, source de vérité. Narration de vingt et trois roys avant Francus. Des conquestes des Hespaignes faictes par les roys de France. Fondation d’aulcunes maisons par les Troyens, comme l’antiquité d la maison illustre de Tournon et aultres. Ce texte est publié pour défendre les intérêts du roi contre les pressions de Charles Quint et de la politique espagnole. Il s’agit d’une défense de François 1er pour prouver les nobles et anciennes racines historiques qui alimentent la prospérité de l’arbre de France. Jean Lemaire de Belges est la principale source de cet ouvrage et l’auteur le reconnaît comme « son bon maistre et précepteur ». F. Simone, « Historiographie et mythographie dans la culture française du XVIe siècle : analyse d’un texte oublié », op. cit., p.126-140.

1697.

Dans les publications antérieures à 1524, Lemaire joint plusieurs épîtres à son ouvrage. L’une est une lettre d’Humbert Fournier (élève à Lyon de Josse Bade, imprimeur et humaniste 1462-1535), à Symphorien Champier, médecin. La lettre datée de 1506, est publiée une 1ère fois par Champier en août 1507 dans son De quadruplici vita. Elle fait allusion à un échange de lettres entre humanistes (une correspondance entre Lemaire et Pierre Picot, médecin, poète et astrologue) ; Fournier loue Lemaire pour son humour, sa prose poétique, son érudition et sa connaissance des héros antiques : ces expressions peuvent convenir aux passages anciens des Singularités, et évoquer l’accueil qui lui avait été réservé l’été précédent en 1505 par le cénacle d’humanistes réunis à Fourvière autour d’A. Vitton, rappelé par une autre lettre de Fournier (J. Abélard, J. Lemaire de Belges. Les illustrations de Gaule et singularités de Troie, Genève, Droz, 1976, p.67). La possible existence à Fourvière au XVIe siècle d’une académie est fondée sur l’existence de trois lettres en latin, datant de 1506 et 1507, adressées à Symphorien Champier par Humbert Fournier. Il raconte dans un latin précieux et un peu obscur sa vie à Fourvière avec un de ses amis le théologien André Victon, leurs travaux, et les visites de leurs amis. En 1704, Ménestrier publie une traduction ou une paraphrase romancée de cette lettre de 1506 (mais avec pas mal d’erreurs). Ils reçoivent à Fourvière de nombreux visiteurs, mais il ne semble pas qu’il s’agisse de réunions régulières et organisées : on ne peut parler d’académie de Fourvière comme l’a fait P. de Colonia (Histoire littéraire de la ville de Lyon, 1730, réédition Genève, Slatkine reprints, 1970, p.466-477) : il s’agit d’une légende. Ce « cénacle » n’était qu’un cercle d’amis s’intéressant à la littérature et aux arts, s’entretenant pour le plaisir de poésie, d’art, de science. Ces groupes n’ont laissé que peu de traces : silence de Champier, de Rubys, de Paradin ; pas d’allusion non plus de la part des lettrés qui vinrent ou vécurent à Lyon. E. Vial, Gens et choses de Lyon, Lyon, 1945, p.211-216 et p.236-237.

1698.

Lemaire de Belges, Illustration de Gaule…, op. cit., p.394-395.