L’influence culturelle des juristes se lit par exemple en 1509, lorsqu’on évoque la possibilité de demander un parlement au roi, car une rumeur fait état de la possible suppression du parlement de Dijon par le souverain 1699 ; mais finalement, par prudence, il est décidé de ne pas en parler au souverain de passage à Lyon. Le sujet est évoqué à nouveau en 1517 1700 : les juristes n’abandonnent pas l’idée de faire de Lyon une ville parlementaire, ce qui leur permettrait de faire des carrières prestigieuses à domicile. Une assemblée est convoquée pour en discuter, l’antagonisme entre marchands et juristes éclate en pleine lumière. Notaires, licenciés et docteurs en droit soutiennent tous cette demande 1701 , mais le notaire Jean Bardin fait remarquer « qu’on doit mander les clerz car les marchans ne seront pas d’oppinion de demander ledit parlement » 1702 . Un certain antagonisme entre juristes et marchands existe toujours : c’est un véritable serpent de mer, les juristes accusant les marchands de passéisme, d’immobilisme ; ce sont deux visions totalement irréconciliables de la politique et de la ville. Si les juristes ont bien conquis le pouvoir municipal, les marchands continuent à diffuser leurs idées et constituent, parmi les notables, un groupe de pression important qui pèse dans ce type de décision. Il est vrai que les grands marchands se prononcent contre cette demande, pour plusieurs raisons mais qui reflètent toutes, leur conception des choses. Certains s’inquiètent de l’opportunité d’une telle demande qui pourrait irriter le roi ou les autres parlements par son manque d’humilité 1703 . Il existe une concurrence entre les différentes villes du royaume pour obtenir des faveurs royales, d’où la nécessité d’être en bons termes avec le roi : les villes conspirent les unes contre les autres, et l’allusion à la perte des foires que fait Benoît Meslier, n’est pas sans rappeler l’épisode avec Bourges dans les années 1470 1704 . L’immobilisme inspire d’autres oppositions : « Cathelan Thoard dit que l’en doit garder ce l’on a sans sercher nouvelles matières et questions » 1705 , et « Guillaume Grillet dit que non et qu’il y a beaucoupt d’autres choses à fayre » 1706 . C’est à ce type de comportements que fait sûrement référence Bardin dans sa sentence contre le conformisme des marchands. Tous ces avis sont révélateurs de la mentalité marchande, prête à tout pour ne pas compromettre l’économie des foires de la ville.
Face à ces deux groupes opposés, certains sont plus modérés, plus pragmatiques, comme Symphorien Champier et Franc Deschamps 1707 . Ils souhaitent aller interroger quelques personnes avant de soumettre cette demande au roi : prudence et habileté guident leurs pas 1708 . Ils connaissent bien les rouages de l’administration royale et savent comment formuler des requêtes sans trop de risques. Ils sont tout à fait représentatifs de l’état d’esprit des juristes du consulat, de leur idée des relations avec le pouvoir, du degré de latitude que celui-ci peut concéder, tout cela leur est familier, à la grande différence des marchands. Ces derniers ne semblent pas intégrer complètement les règles du jeu de la diplomatie avec le pouvoir royal, ils fonctionnent au contraire sur des modèles de relations dépassés, entre soumission et frustration, loin de la subtilité des juristes.
Cependant cet épisode ne doit pas nous induire en erreur, ces oppositions radicales tendent peut-être à donner une image trop simpliste des relations entre ces deux univers culturels. Nous avons vu précédemment que les marchands qui dominent le consulat dans la première moitié du XVe siècle, attachent de plus en plus d’importance à la réalisation de leurs productions écrites. L’évolution des termes désignant ces documents est d’ailleurs significative des liens complexes qui existent entre ces deux cultures.
« Pour ce qu’il est bruyt que le Roy veult et a délibéré oster le parlement de Dijon, a esté mys en termes s’il seroient bon de faire requeste au Roy de mectre ledit parlement ou à tout le moings une chambre en ceste ville pour obvier es fraiz, despens et fatigues d’aller à Paris pour suyvre tous les procès à cause de la distance des lieuz. Surquoy a esté ordonné qu’on pourra sentir par moiens secretz et par amiz de cour le vouloir du Roy », 1509, BB28 f95v.
« Aucuns ont dit et mys en avant qu’il seroit bon demander et requérir au Roy d’avoir en ceste ville ung parlement, au moingtz une chambre de parlement, pour ce que à cause de la distance des parlements de Paris, de Tholoze et de Chalon l’en ne peust avoir bresve justice ne prompte expédicion dont plusieurs délitz en demeuroient impugniz en matière criminelles et en matières civiles plusieurs droitz perdus au moyen des appellations et longues expédicions », 1517, BB37, f54.
Exemple : « maistre Pierre Chanet a dit qu’il seroit bon avoir ledit parlement ou une chambre en ceste ville », 1517, BB37 f54. « Et tous les autres en turbe ont dit qu’il seroit bon avoir ledit parlement ou une chambre qui la pourroit avoir et qu’il n’en vienne mal à la ville et que ce seroit bonne chose de l’avoir », 1517, BB37 f55.
1517, BB37 f55.
Exemple : « Monsire de Balmont a dit et oppiné qu’on n’en doit parler aucunement car ce seroit irriter la court et se ne s’en feroit riens », 1517, BB37 f54 ; « monsire de Froncquevaulx dit que les cours de parlement de Paris et Tholoze ne le permectront jamays par quoy n’est besoing en faire cas », 1517, BB37 f54v.
Benoît Meslier est contre car « ce seroit cause pour esbranler les foyres », 1517, BB37 f54v.
1517, BB37 f54v.
1517, BB37 f55.
Champier est médecin et Deschamps docteur en droit.
Symphorien Champier est avant toute chose pour « sentir tout le bon plaisir du Roy, de messires les grans maistre chancellier et autres et si l’en le trouvoit par advis et conseil seroit bien en faire requeste », 1517, BB37 f54 ; Franc Deschamps est encore plus modéré car « il luy semble impossible, néanmoingtz qu’on peust sentir le chemin », 1517, BB37 f54.