Ces différents chapitres ont mis en lumière le problème de la culture de l’individu par rapport à la culture du groupe, à ses modèles de référence et à l’influence normalisatrice du consulat sur chacun de ses membres. L’identité des conseillers lyonnais n’est pas donnée, elle se construit au cours du siècle. Mais, il faut avoir conscience de la difficulté à « trouver » l’individu. J.Cl. Schmitt a parfaitement expliqué les écueils de cette recherche, soulignant que la soi-disant découverte de l’individu à la fin du moyen âge est une « fiction historiographique » 1850 . Si le terme d’individualisme, en tant que valeur morale et idéologique, n’a pas de sens à l’époque médiévale, et que la Renaissance révolutionne les rapports entre sphère publique et sphère privée, il est simpliste de considérer que la société interdit toute émergence de l’individu. Certes, il existe une interdépendance étroite entre individu, famille et cité mais elle n’implique pas une dissolution de la notion d’individu dans celle du groupe ou de la communauté 1851 . Il existe une dialectique complexe entre l’individu et le groupe : bien que la société médiévale soit très normative et structurée, avec des modèles culturels (normes éthiques, conduites de groupe,…) qui s’imposent à l’individu, celui-ci émerge dans sa capacité à transgresser les codes de conduites collectives 1852 . La réflexion sur la conscience de soi se construit sur plusieurs siècles, par étapes à partir du XIIe siècle, avec l’essor de la biographie et surtout de l’autobiographie, l’attention nouvelle portée à des destins individuels 1853 , le développement des portraits ; la morale de « l’intention » définie par Abélard dans l’Ethique fonde la liberté et la responsabilité de l’individu ; le nominalisme au XIVe siècle exalte le pouvoir de l’homme… La dernière partie de ce travail va nous permettre de nous interroger sur l’apparition de l’individu, en étudiant les prises de parole et la place de l’oralité dans les registres de la ville et au sein des assemblées consulaires.
J.Cl. Schmitt, « La découverte de l’individu : une fiction historiographique », La fabrique, la figure et la feinte : fictions et statut des fictions en psychologie, sous la direction de P. Mengel et F. Parot, Vrin, Paris, 1989, p.213-232
Comme l’a montré W. Ullmann dans son analyse de la société féodale : W. Ullmann, The individual and Society in the Middle Ages, Baltimore, 1966.
P. Toubert, « Histoire de la sensibilité médiévale et sensibilité à l’histoire médiévale », Etudes sur la sensibilité au Moyen-âge, actes du 102ème congrès national des sociétés savantes de Limoges, 1977, Philologie et histoire, Paris, 1979, t.2, p.5-12
Comme par exemple l’Histoire de mes malheurs d’Abélard.