Le tableau en tête de ce développement synthétisant la place des avis dans les assemblées montrait que seuls les registres du début du XVIe siècle indiquaient les avis de tous les participants lors de certaines assemblées. En réalité, il existe des assemblées tout au long du XVe siècle où le secrétaire note assez soigneusement les avis différents, comme par exemple lors de l’assemblée du 11 mars 1435 où le débat porte sur qui, du roi ou de la ville, peut attribuer le capitainage de la cité :
‘« les ungs ont dit que l’on lesse prendre à messire Théaude de Valpergue sa possession du capitainage de Lion, attendu les lettres qu’il a sur ce du Roy, non obstant ce que sire Pierre de Chandieu ait esté esleu capitaine par les conseillers et autres de la ville mesmement, car à ladicte élection fut dit jusques oy et sceu le bon plesir du Roy, duquel vouloir du Roy appert assés par ses lettres patentes que a ledit messire Théaude dudit capitainage. Les autres ont dit que l’on conseille à ung ou à deux saiges en droit et lesdites lettres patentes du Roy avec tout ce que l’on pourra trouver du droit et coutume que lesdis conseillers puent avoir de eslire capitaine et selon le conseil desdis saiges que l’on se gourvernera. Les autres et la plus grant partie d’eulx ont dit que l’on prie messire Théaude qu’il se vueille déporter de prandre sa possession dudit capitainage jusques à l’assemblée des trois Estas à laquelle le Roy doit faire déclaration à qui elle doit appartenir, ainsi comme il l’a escript ausdis conseillers par ses lettres closes » 2200 .’Les avis de tous les présents sont exposés mais de façon anonyme, regroupés en deux propositions. Il est possible que les participants ne souhaitent pas particulièrement que leur nom soit indiqué, ils sont plus préoccupés par la décision qui sera finalement adoptée. L’opinion personnelle n’existe pas vraiment, les seuls avis qui comptent sont ceux des clans qui s’opposent 2201 . Il est possible que les participants choisissent volontairement de donner un avis qui soit celui d’un groupe pour qu’il ait plus de poids : en effet lors d’une réunion en 1421, le secrétaire indique que « tous les autres maistres des mestiers ont concluz par la voix du petit Enemond de Syvrieu, après qu’ilz ont eu sur ce entre-eulx consultacion… » 2202 . Il est aussi probable que cette manière d’anonymer les avis soit une facilité d’écriture : le secrétaire se contente de donner les différentes opinions émises sans les attribuer pour simplifier son compte rendu. Cette hypothèse semble corroborée par le fait que tous les secrétaires du XVe siècle utilisent cette notation incomplète 2203 .
La personnification des avis et leur individualisation ne sont pas une norme facilement mise en place. Les secrétaires gardent l’habitude de consigner uniquement les avis des plus notables tout au long du XVe siècle comme nous l’avons vu précédemment. Il n’arrive qu’exceptionnellement qu’une assemblée soit rapportée avec l’intégralité des prises de position des présents 2204 . Le développement de cette pratique et sa normalisation ne datent réellement que du XVIe siècle.
Lors des assemblées de 1507 et de 1517, le secrétaire coche dans la liste des convoqués ceux qui sont présents, il est donc ensuite facile de comparer cette liste avec les avis indiqués pour établir la prise de parole de tous les participants : autant de présents que d’avis inscrits dans ces assemblées. Du moins, en théorie. En pratique, lorsque l’on examine attentivement les comptes rendus, l’adéquation entre les noms cochés et les noms de ceux qui parlent existe rarement totalement : certains interviennent alors que leur nom n’est pas coché dans la liste 2205 , voire n’y figure pas 2206 , d’autres ne s’expriment pas alors qu’ils sont notés présents 2207 ; il faut enfin se méfier car certains sont cochés deux fois car ils sont à la fois dans les listes des notables et des maîtres des métiers 2208 . Les comptages sont donc sujets à caution.
Au XVe siècle, une hiérarchie existait entre ceux dont les avis individuels étaient notés, et ceux dont on connaissait seulement la présence aux réunions. La notation individualisée de toutes les interventions aurait donc dû faire disparaître cette hiérarchie entre les participants. En réalité il n’en est rien. Le déroulement des séances est immuable : les notables parlent globalement toujours avant les maîtres des métiers 2209 . S’il arrive que certains d’entre eux s’expriment après les maîtres des métiers, c’est du fait de leur arrivée tardive à la réunion ; cette explication est corroborée par le secrétaire qui note, lors d’une assemblée, après les interventions de tous les maîtres des métiers : « Pierre Fournier, receveur, qui est survenu, est d’oppinion… » 2210 . En revanche notables « devers Fourvière » et notables « devers Rhône » se succèdent indifféremment pour donner leur avis 2211 . En ce qui concerne les maîtres des métiers, les choses sont moins nettes : il arrive qu’ils donnent leur avis en suivant la hiérarchie de leurs métiers, c’est-à-dire que ceux qui exercent les métiers les plus prestigieux, en tête de liste, parlent avant les autres dans un ordre très strict 2212 ; cependant, dans la majorité des cas, aucun ordre n’est réellement décelable.
Des règles strictes sont établies pour régir la prise de parole, et leur non-respect entraîne la colère des conseillers. Ainsi en 1514, lors d’une assemblée pour déterminer le taux à mettre sur les entrées pour trouver l’argent nécessaire aux fortifications, certains participants se mettent à donner leurs avis tous ensemble, sans attendre leur tour ; devant le désordre l’assemblée est ajournée et reportée 2213 . Les conseillers et certains notables ne peuvent tolérer une telle attitude et aussitôt des mesures sont prises :
‘« Pour ce que dimanche dernier passé en l’assemblée qui fut faicte, aucuns se ingérèrent de parler avant qu’on leur demandast leur oppinion et interompirent les oppinions de ceulx qui parloient et oppinoyent à leur tour, qui fut cause que ladite assemblée de dimenche fut confuze et ne peust sortir son effect. Parquoy et pour obvier que à ceste présente assemblée n’en soit faict autant, ont requis messire Maurice Sève, juge mage et commis à la judicature de la court de la séneschaulcée de Lyon, illec estant comme chef de la première, estre fait inhibicion et deffense ausdit comparans de non murmurer ne parler les ungs sur les autres, ne avant que soit leur tour et qu’on leur demande oppiner, et autrement sur ce estre pourveu comme de raison. Surquoy ledit messire Sève ouye ladite requeste, a faict inhibicion et deffense de par le Roy ausdits comparans de non parler ne interompre le parler de celuy qui oppinera et parlera à son tour, sur peyne de dix livre d’amende, laquelle amende il a décrété dès à présent contre les deffaillans, lequel tiendra prison jusques à ce que ladite amende soit payée » 2214 .’La codification de la prise de parole reprend la hiérarchie entre les participants. Les plus notables parlent les premiers. Chacun doit respecter le tour qui lui est assigné, peut-être d’ailleurs que la façon d’être placé dans la salle de réunion correspond à cette organisation 2215 . Chacun ne peut s’exprimer que lorsque la permission lui en est donnée ; il a interdiction de discuter avec ses voisins pendant que quelqu’un s’exprime, peut-être pour limiter les mouvements d’approbation ou de désapprobation qui pourraient influencer certains. Les décisions de Maurice Sève vont encore plus loin : pour éviter à l’avenir que ce désordre ne se reproduise, des amendes sont décrétées contre tous ceux qui voudraient perturber l’assemblée en parlant avant leur tour ou en même temps que les autres. Cette manière de tourner les choses, soi-disant pour garantir la liberté d’expression de chacun, peut être aussi interprétée comme le meilleur moyen d’empêcher toute fronde ou contestation trop actives. Un parallèle peut être fait avec les codifications des prises de parole lors des assemblées du clergé régulier : la règle bénédictine prévoit que les participants doivent se taire quand l’un d’eux parle, et il est recommandé de ne pas parler à tout propos, de ne pas prendre la parole d’autorité.
La question « qui parle ? » n’aurait donc plus de sens au début du XVIe siècle puisque chacun des présents aurait le droit de voir son opinion indiquée par le secrétaire. En fait, il n’en est rien. Dans toutes les assemblées de plus de 20 personnes, une partie des présents ne figure pas individuellement dans le compte rendu. Sont-ils muets ? Pour évaluer leur proportion, leur identité et apporter des explications, nous avons choisi de considérer les assemblées de 1517, aux listes plus détaillées que celles de 1507 2216 . Pour nuancer ces résultats nous avons aussi décidé d’inclure en point de comparaison, les assemblées se déroulant en 1515 et 1516.
Date de la réunion | Notables devers Fourvière | Notables devers Rhône | Maîtres des métiers | Pourcentage par rapport à l’effectif total des présents |
30 mai 1515 | 12 | 10 | 21 | 43 soit 43,5 % |
6 juin 1515 | 0 | 2 | 14 | 16 soit 32 % |
13 juillet 1515 | 4 | 0 | 3 | 7 soit 22,5 % |
2 août 1515 | 11 | 3 | 11 | 25 soit 55,5 % |
19 octobre 1515 | 2 | 0 | 3 | 5 soit 12,5 % |
29 novembre 1515 | 6 | 2 | 6 | 14 soit 32,5 % |
17 janvier 1516 | 8 | 3 | 14 | 25 soit 33,5 % |
14 avril 1516 | 1 | 0 | 3 | 4 soit 4,5 % |
25 janvier 1517 | 1 | 0 | 0 | 1 soit 10% |
1 mars 1517 | 7 | 0 | 16 | 23 soit 39% |
17 mai 1517 | 1 | 1 | 13 | 15 soit 68% |
5 juin 1517 | 4 | 4 | 15 | 23 soit 59% |
55 | 25 | 119 | 34% |
Dans toutes ces assemblées, des personnes se taisent et ne font qu’acte de présence : leur proportion moyenne est d’un tiers de l’assemblée et peut parfois atteindre la part impressionnante de 2/3. Pourquoi ? Il est possible que certains ne viennent que pour avoir le sentiment du devoir accompli, mais d’un autre côté on peut être surpris par une telle attitude puisqu’il semble que bouder ces assemblées soit un fait courant et accepté, même s’il est condamné verbalement. Il est beaucoup plus probable que ce silence révèle d’autres pratiques. En majorité (60%), ce sont les maîtres des métiers qui gardent le silence, or ceux-ci ne doivent s’exprimer qu’après les notables, il est possible qu’ils se taisent ne voyant rien à ajouter à ce qui a déjà été dit, ou parce qu’ils considèrent que leur opinion ne changera rien. Il est aussi envisageable qu’ils n’osent pas prendre la parole, de peur d’être ridicules en s’exprimant mal après des personnes qui cherchent à briller à l’oral. Enfin, il se peut que le secrétaire ne les note pas de manière individuelle parce qu’il ne peut pas vraiment leur attribuer d’avis personnel. Mais il leur confère un semblant d’existence, comme le suggère cette phrase :
‘« finablement, par la concordance des voix, lesdicts comparans, tant ceulx qui ont particulièrement cy dessus oppiné, que des autres qui ont oppiné en turbe… » 2217 . ’Cela semble confirmer que les avis rapportés, sont ceux qui ont été exprimés individuellement, et que les personnes présentes dont l’avis ne figure pas, ont pu se contenter de répondre en masse, en acquiesçant ou en s’opposant. On peut donc se demander s’il existe des gens véritablement silencieux lors de ces assemblées ; il est difficile d’apporter une réponse stricte, en revanche il semble probable que ce refus de parler individuellement soit une preuve supplémentaire du malaise de certains « comparans », qui n’osent peut-être pas prendre la parole devant toute l’assemblée. L’art de la parole est foncièrement discriminant 2218 .
Cette manière d’indiquer les avis de certains, comme représentatifs d’une foule indistincte, traduit aussi indéniablement la hiérarchie qui existe entre les participants. Il arrive que même dans cette foule, les individus soient traités de manière différente : lors de l’assemblée sur l’exemption d’impôt des joueurs des confréries militaires de Lyon en 1515, 13 participants donnent un avis, 17 se contentent d’un « idem », et 23 sont cités nommément comme opinant ensemble « et esgallement tous les autres comparans » 2219 . Même dans la foule, tous les individus n’ont pas la même valeur…
Tous les motifs exposés pour expliquer ce silence d’une partie des présents se doublent peut-être aussi de l’idée que les avis ne comptent pas réellement, leur exclusion de la parole n’est que le symptôme de leur exclusion masquée de la vie politique. Beaucoup de ceux qui se taisent sont des maîtres de métiers qui, bien qu’ayant un pouvoir économique, savent pertinemment qu’ils n’auront pas accès au pouvoir municipal ou seulement une fois dans leur vie, en récompense. L’amertume d’une partie de ces maîtres et des notables face aux nouveaux critères pour être conseiller se traduit peut-être par ce comportement. Certains des participants ne sont pas dupes des calculs des conseillers, qui les laissent s’exprimer mais ne leur donnent pas le pouvoir.
1435, RCL2 p.416. Idem, 1421, RCL1 p.307.
L’avis personnel n’a en soi aucune valeur, il ne prend force que comme constitutif de celui d’un groupe dont les contours nous échappent le plus souvent. Pourquoi de telles pratiques ? Cette manière de rendre anonymes les avis exprimés rappelle, par certains côtés, l’« anonymisation » des citations dans les textes des Pères de l’Eglise ou des prédicateurs. Ces textes, conçus pour être lus devant un public d’étudiants, font appel à la capacité mémorielle de leur auditoire et permettent la présence de citations incomplètes, faisant de l’intertextualité partielle la base d’une complicité intellectuelle. Mais ce type d’explication ne correspond pas à la situation car les registres consulaires n’ont pas pour vocation d’être rendus publics : ils servent de mémoire au consulat, d’appui en cas de contestation d’une décision, de preuve pour toute affaire en justice. Le secrétaire, en place pendant de longues années, se souvient peut-être des avis de certains, mais c’est sans importance, puisque l’assemblée est considérée comme un tout où les individualités n’ont pas à s’exprimer.
1421, RCL1 p.312.
Exemples d’assemblées avec des avis anonymes : pour pouvoir lever une taille en 1456, il est nécessaire de refaire les papiers du vaillant : « les ungs estoient d’oppinion que lesdis papiers se reffacent fere par lesdits conseillers et les autres disoient et estoient d’oppinion que l’on commist à les reffere quatre ou autre tel nombre qu’il seroit bien et advisé, et les autres disoient et estoient d’oppinion que l’en imposast lesdites tailles de cy en là ainsi que es autres bonnes villes de ce royaume », 1456, BB7 f20-v ; autre assemblée en 1458 toujours sur la réfection, le secrétaire indique que les présents « ont esté sur ce de trois oppinions », mais n’indique aucun nom, 1458, BB8 f76-v ; assemblée touchant la garde des clés de la ville : « pour ce que touchant la matière desdits clefz les oppinions des dessus assembléz furent diverses et discordans ou ce que les ungs estoient d’oppinion et leur sembloit que icelles clefz ne se doivent bailler en quelque manière que ce fust, actendu et considéréz les dangiers de guerre à présent régnans et que ladite ville avoit lesdits clefz en garde soubz la main du Roy, et les autres d’oppinion que touchant les cléfz dudit barrioz et de ladite poterne desdits eschalliers on les pourroit bailler actendu que iceulx barrioz et poterne estoient par dehors ledit portal, sans touteffoys bailler les clefz dudit portal », 1472, BB15 f218v.
Nous n’avons trouvé que des exemples clairsemés, en 1420 (1420, RCL1 p.247), en 1463 (1463, BB7 f322v) et en 1479 (1479, BB350, cahier 1, f37).
Le 10 juin 1507, un notable et 2 maîtres des métiers s’expriment alors que leur nom n’est pas coché dans la liste. Le 25 janvier 1517, Antoine Grollier, notable « devers Fourvière » et Antoine Saineton, notable « devers Rhône », parlent sans que leur nom soit coché ; même chose le 17 mai 1517 pour 2 notables « devers Fourvière », 6 notables « devers Rhône » et un maître des métiers.
Exemples : lors de l’assemblée du 15 avril 1507, 13 notables prennent la parole, mais seulement 11 sont indiqués dans la liste ; le 29 avril, 8 notables parlent mais 7 sont inscrits ; le 10 juin, Symphorien Champier, Martin Geneveys, François Guérin, Jean Coyaud, Jean Giraud, Benoît Janot, Vincent Michon parlent sans même figurer dans la liste de départ. En 1517, 13 personnes parlent lors de la réunion du 25 janvier, mais seulement 10 sont annoncées (il s’agit de Benoît Meslier, Secondin Viel et Pierre Faye).
Tous ceux qui sont cochés dans la liste n’apparaissent pas nommément dans le compte rendu : c’est le cas de 3 notables et de 5 maîtres des métiers le 10 juin 1507 ; même chose pour Jacques Buyer le 25 janvier 1517 ; même chose le 17 mai 1517 pour 2 notables et 13 maîtres des métiers ; même cas de figure pour 8 notables et 15 maîtres des métiers le 5 juin 1517.
Pour l’assemblée du 10 juin 1507 c’est le cas pour deux présents : Jacques Buyer et Guillaume Andrevet, notables et maîtres des métiers. Il arrive aussi qu’un nom soit marqué deux fois, par erreur, dans la même liste : c’est le cas pour Pierre Fay le 24 juin 1507.
Pour prouver cette affirmation, nous avons réalisé le schéma des prises de parole dans les assemblées regroupant notables et maîtres les métiers. Le nombre des notables s’exprimant à la suite des uns des autres est indiqué par xN, celui des maîtres des métiers par xMM ; l’alternance des prises de paroles entre ces deux groupes est indiquée par +.
Schéma de l’assemblée du 10 juin 1507 : 6N + 3MM + 1N+ 34MM.
Schéma de l’assemblée du 1er mars 1517 : 13N + 2MM +9N + 27MM.
Schéma de l’assemblée du 16 août 1517 : 16N+ 1MM +1N+ 13MM.
1516, BB34 f180. Pierre Fournier est aussi notable devers Fourvière.
Lors de la réunion du 25 janvier 1517, n’ont été convoqués que des notables, séparés dans la liste entre notables « devers Fourvière » (NF) et notables « devers Rhône » (NR). Pour déterminer s’il existe un ordre particulier pour prendre la parole entre notables, nous avons réalisé le schéma de cette assemblée, indiquant par les abréviations NF et NR qui prenait successivement la parole (chaque prise de parole est séparée par +). Voici le résultat : NR + NF + NR + NF + NF + NR + NR + NF + NF + NR+ NF+ NR + NR + NF. Il semble qu’il y ait globalement une alternance des avis entre notables « devers Rhône » et notables « devers Fourvière ». Cette alternance est-elle choisie ou fortuite ? Traduit-elle que les deux groupes sont face à face ? Impossible à déterminer. On peut alors se demander qui parle en premier, si l’ordre respecte celui des listes. En faisant la comparaison, on s’aperçoit qu’il n’en est rien. L’ordre révèlerait-il une hiérarchie sous-jacente ? Si c’est le cas, elle n’est pas professionnelle, il n’y a pas de classement entre juristes et marchands, ni entre représentants du roi, grands officiers et simples notables. L’obtention passée d’une charge consulaire n’entre pas non plus en ligne de compte, les premiers à prendre la parole sont d’anciens conseillers mais comme ces derniers sont toujours des notables, ce n’est pas concluant, d’autant que certains arrivent en fin de liste. Il semble donc que les notables parlent chacun à leur tour, peut-être simplement suivant leur place.
Exemple : 1515, BB33 f284v-295v ; 1516, BB34 f135-138v. Les avis sont donnés par ordre décroissant de prestige du métier.
« Après ladite proposicion, ainsi que ledit messire Sève premier oppinoit sur ladite matière, plusieurs desdits comparans se sont prins à parler et crier en turbe, tellement que par faulte d’audience et par le moyen dudit trouble et esmotion, n’y a esté faict autre chose, ne conclusion, ains s’en sont allez sans prendre autre résolucion, parquoy a esté ordonné les remander à jeudy prochain », 1514, BB33 f121v.
1514, BB33 f122.
Ce cérémoniel de la prise parole rappelle celui des assemblées d’Etats : dans les Etats du Languedoc, le tour de parole est strict. Les présents sont assis selon la prééminence de leur dignité ou de leur ancienneté pour les prélats ; pour les communes, les grandes villes parlent en premier et font tout pour conserver leur rang. H. Gilles, Les Etats du Languedoc au XV e siècle, Toulouse, Privat, 1965, p.148-149.
Les notables sont différenciés entre ceux « devers Fourvière » et ceux « devers Rhône ». Ajoutons aussi que seules 2 des 9 assemblées convient notables et maîtres des métiers ensemble et dépassent la vingtaine de personnes.
1515, BB34 f37. Autres exemples: le 1er mars 1517 : « et tous les autres en turbe ont dit qu’il seroit bon avoir ledit parlement ou une chambre qui la pourroit avoir et qu’il n’en vienne mal à la ville et que ce seroit bonne chose de l’avoir », 1517, BB37 f55 ; le 17 mai 1517 : «et les autres comparans ont esté d’oppinion… », 1517, BB37 f76v ; le 5 juin 1517 : « et tous les aultres comparans ont esté d’oppinion… », 1517, BB37 f85v. L’expression « en turbe », est une traduction littérale du latin in turba, qui signifie dans le désordre, dans le tumulte.
O. Redon, dans son étude de la ville de Sienne au XIIIe siècle, fait remarquer que lors des assemblées presque tous les juges comme les notaires prennent la parole. Parmi ceux qui s’expriment, la proportion des hommes de loi est nettement supérieure aux autres professions : aucune autre profession ne dépasse le 1/4 ou le 1/3 du nombre de ceux qui parlent. Ce déséquilibre est dû à leur formation : ils ont appris à s’exprimer, à développer une argumentation ; la possession du langage est une compétence politique. Ceux qui ne peuvent rivaliser se taisent obligatoirement. O. Redon : « Connaissance du droit et fonction politique des communautés toscanes du XIIIe siècle », Construction, reproduction et représentation des patriciats de l’Antiquité au XX e siècle, Actes du colloque de Tours (sept. 1998), CEHVI, Tours, 1999, p.255-256.
1515, BB33 f294v.