b) Oppositions, conflits et participants.

La notation d’avis opposés permet parfois d’appréhender les relations et les liens qui existent entre les participants. Les réunions qui ont lieu pour trouver un moyen de libérer Aynart de Villeneuve, fait prisonnier en avril 1428 par le seigneur de Pardiac à son retour d’une audience auprès du roi en sont un bon exemple. Le 21 mai 1428, Etienne de Villeneuve demande aux conseillers d’intervenir sans attendre le retour du messager qu’ils ont envoyé car son frère est retenu à Montaigu en Combraille depuis longtemps. Il rappelle que son frère est un « des notables de la ville et l’un des conseillers », mais les conseillers refusent d’agir sans avoir convoqué une assemblée, au grand dam d’Etienne 2287 . Le dimanche 23 mai, le messager est de retour sans avoir pu parler ni à Aynart ni à son geôlier, son frère demande de nouveau au consulat d’agir 2288 . Le lendemain, lundi de Pentecôte, une assemblée générale est réunie : 9 conseillers sont présents, 50 notables sont mandés, mais seuls 19 sont présents : parmi eux uniquement les plus importants notables de la ville, beaucoup d’anciens ou de futurs conseillers. Les ennuis d’Aynart de Villeneuve n’intéressent pas tout le monde, seule l’élite de la ville se sent concernée, mais l’attitude de certains indique qu’il n’a pas que des amis :

‘« Ilz ont conclu que l’on envoye par devers les seigneurs qui tiennent prisonnier Aynart de Villenove et leur escripre en sa faveur et poursuir sa délivrance aux despens communs jusques l’on saiche vrayement les causes de sa prise, s’il a esté prins aux porchas de ses singuliers ennemis ou malvueillans, ou comme ambasseur et bourgeois de la ville. Et que l’on saiche à monseigneur de Lion et monseigneur le bailli, auxqueulx nosdis seignieurs les contes en ont escript, savoir qu’il leur en ont escript, afin de mieulx savoir comme l’on escripra ausdis seigneurs, excepté Aynart de Chaponnay qui a dit que, attendu les conséquences, attendu que l’on dit qu’il est détenu par le moyen de ses malvueillans et qu’il a esté prins en vennans de la poursuite de ses offices et pledoyeries, et attendu aussi la déclaration qu’il fit quant il party, que l’on ne le deffrayeroit riens s’il estoit prins ou destrossé, et pour ce volut avoir plus grant gaiges, que l’on ne le doit point poursuir aux despens du commun » 2289 .’

L’intervention d’Aynart de Chaponay montre les inimitiés qui peuvent exister entre les notables : il fait tout en effet pour convaincre les présents que Villeneuve et sa famille doivent se sortir seuls de cette situation. Son argumentaire est de ce point de vue soigné, tout ce qu’il met en avant souligne que la ville n’a pas à prendre parti pour Villeneuve : d’abord, sa prise est due à ses ennemis, par conséquent il en est le seul responsable ; il prétend aussi qu’il a été arrêté lors d’un voyage privé qu’il faisait pour régler quelques unes de ses affaires, donc ce n’est pas en tant qu’envoyé de la ville qu’il a été emprisonné ; il rappelle enfin opportunément que Villeneuve avait déclaré avant son départ qu’il ne voulait pas que la ville intervienne s’il lui arrivait quoi que ce soit, et il ne manque pas de souligner perfidement que pour cette raison il a demandé de plus grands gages. Son intervention est un tissu de mensonges : Villeneuve a été envoyé en mission par la ville et ce ne sont pas ses ennemis qui sont responsables de son sort mais la politique de la ville, d’ailleurs le comte de Pardiac qui le retient le reconnaît 2290  ; jamais il n’a demandé à ne pas être secouru, rien dans les registres ne l’atteste. Chaponay utilise le langage comme une arme, il sait être convaincant pour retourner la situation, n’hésitant pas à omettre ce qui ne lui sert pas, comme le fait que Villeneuve est conseiller et que de fait, sa capture est une affaire commune. On ne sait pas quel contentieux il a avec Villeneuve, mais il semble bien que son intervention soit motivée par un contentieux personnel.

Les conseillers et leur envoyé échangent de nombreuses lettres pour secourir Villeneuve 2291 . Une nouvelle assemblée a lieu le 25 juin : en plus des 9 conseillers, 27 notables seulement participent, tous déjà présents lors de la réunion du lundi de Pentecôte. Le messager de ville Jean Violet est de retour avec la confirmation que le comte de Pardiac refuse de libérer Aynart Villeneuve, les participants prennent donc des mesures :

‘« sur quoy a esté conclu de renvoyer autres fois par devers mesdits segnieurs les contes lettres de prière pour la délivrance dudit Aynart, et au cas que il ne sera délivré, de lors envoyer sur ce par devers le Roy, combien que grant partie des dessus assemblés et mesmement Estienne de Villenove, Barthélemy de Varey et plusieurs autres estoient de conclusion de envoyer dés maintenant par devers le Roy, attendu pluseurs reffus fais par lesdis seignieurs contes de la délivrance dudit Aynart, et ont esleu ledit Jehan Violet d’y aller, pour ce qu’il est plus instruit de la matière que nul autre » 2292 .’

La réaction du frère de Villeneuve est compréhensible, il trouve que le consulat tarde à prendre de vraies mesures, c’est-à-dire à prévenir le roi pour qu’il intervienne. Ce qui est plus intéressant, c’est qu’un petit groupe le soutient, dont Barthélemy de Varey, un des membres d’une des très grandes familles consulaires lyonnaises, il est dommage que le secrétaire ne nous donne pas le nom des « autres ». Ce groupe est peut-être constitué par les amis d’Aynart ou des membres de sa clientèle. Cependant ils risquent d’être peu nombreux car les Villeneuve ne sont guère populaires parmi les notables de la ville. J. Deniau donne plusieurs explications à cette inimitié : ils se sont éloignés de la bourgeoisie, ils sont fonctionnaires royaux, et ils n’ont pas toujours fait passer les intérêts de la ville en premier. Cela explique qu’ils ont beaucoup d’ennemis 2293 . Aynart de Villeneuve est finalement libéré et il se présente devant les conseillers le 4 août 2294 .

Ces assemblées éclairent les relations entre les membres de l’élite appartenant à différentes clientèles, un aspect difficile à appréhender à cause du filtre qu’instaure le secrétaire dans la première moitié du XVe siècle. Elles montrent aussi que la parole est réservée à une élite, qui peut s’exprimer assez librement.

Au fur et à mesure que le secrétaire note plus fréquemment et précisément des avis, les solidarités entre certaines personnes, certains groupes apparaissent en demi-teinte : ainsi en 1470, les frères de Villeneuve demandent une exemption d’impôt arguant de leur noblesse, octroyée par le roi pour les récompenser de leurs services. La perte de contribuables fortunés est toujours une catastrophe pour la ville et quasiment toute l’assemblée répond « que tous doyvent paier, contribuer et fere leurs devoirs et que à ce fere on les doit contraindre et poursuir par justice », « exceptéz tant seulement lesdits messire Pierre Balarin, Laurent Paterin, Ymbert de Varey et Jehan Varinier qui touchant lesdits frères de Villeneuve pour certaines causes et raisons par eulx sur ce alléguéez n’ont rien voulu oppiner ne la matière » 2295 . Ce refus de parler est à mettre en relation avec les liens qui unissent ces hommes 2296 .

Notes
2287.

« Lequel Estienne leur a dit qu’il lui semble que l’on ne doit riens attendre, mès y envoyer hastivement attendu que ledit Aynart a desja esté longuement prisonnier et que ledit Guillermin a desja trop longuement demouré, en requérant ledit Estienne sadicte requete estre registrée à toutes fins », 1428, RCL2 p.268.

2288.

« Que l’on face toute diligence possible pour la délivrance dudit Aynart, aux despens communs de la ville, et sa requeste a requis ledit Estienne estre registrés en ce présent registre à toutes fins, et dit ledit Estienne que l’on doit tout ce faire savoir incontient au Roy, ausdis despens communs », 1428, RCL2 p.268.

2289.

1428, RCL2 p.269.

2290.

« A esté respondu audit Violet par lesdis segnieurs et par espécial par monseigneur de Pardiach que, pour ce que ledit Aynart avoit grandement mesprins envers eulx en l’ambassade où il esté prins et dont ilz lui donnoient grant blasme, il povoit encoures estre délivré ne aussi ses lettres », 1428, RCL2 p.273.

2291.

Nouvelles de Villeneuve et échange de lettres : lundi 7 juin, mardi 8 juin et lundi 13 juin, 1428, RCL2 p.270.

2292.

1428, RCL2 p.273.

2293.

J. Deniau, La commune de Lyon…, op. cit., p.528.

2294.

1428, RCL2 p.278.

2295.

1470, BB15 f119.

2296.

Ces liens restent mystérieux, aucune connexion familiale n’a pu être décelée entre ces hommes ; il s’agit certainement plutôt de liens professionnels, mais qui nous sont inconnus.