Chapitre 3. Le conflit des conseillers et des artisans

Les années 1440-1540 sont la période de l’entente cordiale entre la royauté et les villes. La correspondance abondante et amicale qu’envoie la royauté en est une preuve. B. Chevalier explique que l’on a dit trop vite que la monarchie est déjà absolue à la fin du XVe siècle. L’Etat ne cherche pas à limiter les autonomies urbaines, Louis XI faisant figure d’exception 2408 . Avant comme après 1500, entre le roi et les bonnes villes il y a une alliance, pas une subordination. Les oligarchies sont en place, l’Etat ne craint pas d’être trahi par les communautés urbaines et il leur renouvelle sans problème leurs privilèges. Lorsque le roi intervient dans des conflits urbains, c’est après sollicitation des parties, car si les corps de villes sont unis, ce n’est pas le cas de leurs dirigeants 2409 . Début XVIe, J. Rossiaud souligne que « rétablissement des anciens axes et relative permanence des hiérarchies urbaines » sont bien réels : la prospérité étant de retour, jalousies et rancœurs peuvent refaire surface 2410 .

A Lyon, la querelle de 1515-1521 entre les conseillers et les artisans, secoue l’institution consulaire : elle est emblématique des tensions sociales qui ressurgissent en cette période de prospérité. Le cœur de ce conflit tourne autour d’une double accusation portée contre les conseillers : les papiers de la ville, qui servent à lever l’impôt, seraient volontairement inexacts et les membres du consulat se livreraient depuis 20 ans à des malversations pour s’enrichir indûment. Ces accusations sont formulées par des « artisans », puisque c’est ainsi que les nomment les registres consulaires. La querelle tourne rapidement à la crise : les réunions consulaires sont régulièrement perturbées tout comme les assemblées générales, les consuls sont harcelés et injuriés, tant et si bien que certains redoutent de devoir occuper cette charge. Il faut deux décisions de la justice royale pour régler le problème et donner définitivement raison aux conseillers.

Cet épisode a déjà fait l’objet en 1909 d’un article de A. Bassard 2411  : l’évènementiel de cette crise est décrit minutieusement, malgré quelques inexactitudes. A. Bassard a une vraie démarche historique, puisqu’il critique les interprétations anachroniques de certains érudits, qui voulaient faire de cet épisode le symbole de la première manifestation d’un « parti républicain et démocratique » à Lyon, en relisant ces évènements à la lueur des luttes politiques et sociales de la fin du XIXe et du début XXe siècle en France 2412 . Pour lui, cette querelle a une autre portée, car ceux qui la mènent en sous-main sont de riches bourgeois qui, « en utilisant très habilement les haines des artisans pour satisfaire leur ambition, ont agi au nom du passé, comme on le fit toujours jusqu’à la Révolution de 1789 » 2413 . Il démontre brièvement 2414 que les bourgeois voulaient récupérer un rôle politique et que les artisans souhaitaient une diminution d’impôt.

Sans être totalement fausse, son explication est un peu réductrice. Cette querelle est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît. Les motifs véritables des opposants au consulat sont multiples et en partie masqués ; ces opposants ne sont pas un groupe uni mais représentent des collusions d’intérêts parfois totalement antagonistes ; enfin cette querelle connaît en réalité deux phases bien distinctes où les motivations et les protagonistes ne sont absolument pas les mêmes. Si cet épisode fait ici l’objet d’un chapitre spécifique, c’est parce qu’il peut être interprété comme la démonstration que les participants aux assemblées ne sont pas dupes de leur absence de pouvoir, malgré la liberté de parole qui leur a été en partie allouée. Ce désir d’obtenir une parole efficace catalyse en réalité tous les mécontentements et les frustrations accumulés contre le consulat. La place de l’écrit et de la mémoire, la manière de devenir et d’être conseiller, le pouvoir véritable dévolu à la parole dans les assemblées, tous ces thèmes se retrouvent dans cette querelle qui découle de la façon dont le consulat s’est construit tout au long du XVe siècle.

Notes
2408.

J. Favier, Louis XI, Paris, Fayard, 2001.

2409.

B. Chevalier, « L’Etat et les bonnes villes en France au temps de leur accord parfait (1450-1550) », La ville, la bourgeoisie…, op.cit., p.77-79.

2410.

J. Rossiaud, La ville en France au moyen-âge…, op.cit., p.453.

2411.

A. Bassard, « La querelle des consuls et des artisans à Lyon (1515-1521) », Revue d’histoire de Lyon, t.8, 1909, p.1-42.

2412.

Il cite notamment P. Clerjon, J. Morin, Histoire de Lyon depuis sa fondation jusqu’à nos jours, Lyon, 1829, IV, (p.178-182) et J. Guyaz, Histoire des Institutions municipales de Lyon avant 1789, Paris, 1884, (p.184). A. Bassard, op. cit., p.38-39.

2413.

A. Bassard, op. cit., p.42.

2414.

Son article est purement évènementiel pendant 38 pages, seules les 4 dernières s’intéressent à une tentative d’explication.