II. Un conflit faussement populaire (1515-1517).

1. Avril 1515 : argent et parole au cœur du conflit.

Le surlendemain de la découverte de la deuxième lettre anonyme, se tient une grande assemblée pour trouver l’argent pour réparer les fortifications, à cause de la possible venue des Suisses à Lyon pour « illec prandre, piller et endommaiger pour ce mesmement que ladite ville est de grand bruyt, de grand nom et extimacion d’estre riche et opulente en biens, que aussi pour ce que est une des clefz du Royaulme » 2437  : devant la gravité de la situation, 11 conseillers sont présents ainsi que 89 notables et 38 maîtres des métiers.

Or « messire Clément Mulat s’est prins à parler et a dit et récité en soy excusant qu’il a sceu que certains escripts en grosse lectre ou lectres communatoires ont esté gesctées en l’hostel commun puys huyt jours en ça qu’il ne scet que c’est ». Alors que la réception des lettres anonymes a été étouffée, un notable se trouve au courant. Des conseillers ont-ils divulgué cette information ? C’est peu probable. Il semble plutôt que Mulat soit dans la connivence : connaît-il l’auteur de ces lettres ? Peut-être, mais il nie toute implication. Jamais encore les registres de la ville n’ont évoqué un conflit opposant les conseillers à un groupe d’habitants. Les consuls ont conscience d’un mécontentement croissant de certains notables qu’ils ont identifiés, l’esclandre que provoque le discours de Mulat n’est donc qu’une demi-surprise, mais son effet est amplifié par le silence antérieur des registres.

Clément Mulat est un docteur en droit, fils de Clément Mulat, docteur in utroque, ancien conseiller 2438 , plusieurs fois orateur de la saint Thomas 2439 , juge des ressors de 1474 à 1476 et de 1484 à 1495. La similitude de prénom entre père et fils prête à confusion : le père est mort en 1515 ; l’estime de 1493 à laquelle A. Bassard fait référence est la sienne et non pas celle de son fils. Clément Mulat fils fait partie des notables de la ville 2440 , et son estime le classe parmi les riches Lyonnais 2441 , mais ce juriste n’a jamais eu l’occasion d’obtenir la charge consulaire. La pratique des menaces anonymes n’est pas dans sa culture, cependant il ne condamne absolument pas ce que contient la lettre. Cette missive anonyme est une manière diffamatoire et illégitime d’attaquer les conseillers ; Mulat préfère une offensive dans les règles et le respect de la légalité et s’exprime au consulat en énumérant tout ce qui ne va pas.

L’intervention impromptue qu’il fait lors de cette assemblée n’est pas seulement de son fait : ses reproches argumentés ne sont pas spontanés, il lit un discours qui a été écrit par Jean de Villars, qui avait déjà attaqué le consulat en 1513, en leurs noms et ceux de leurs « consors » 2442 . Il existe donc un groupe d’habitants relativement structuré, avec à sa tête Mulat et Villars, qui a décidé de s’en prendre aux conseillers. De Jean de Villars on ne sait rien, sinon qu’il fait partie des listes des notables de la ville côté Rhône en 1514. 2443 Faut-il le rattacher à la famille consulaire des Villars, riches marchands ferratiers sauniers ? C’est possible : deux Villars sont consuls pendant ces années troublées, Barthélemy en 1511-1512 et son frère Philibert en 1516-1517, fils de Pierre. Jean est peut-être leur cousin ou leur petit cousin, issu de Jean de Villars, conseiller au siècle précédent. Cette hypothèse peut être étayée par un fait troublant : en septembre 1518, Jean Gautier 2444 est condamné à payer une amende à la ville de 192 livres parisis 2445 , il appelle de cette décision et demande que la ville consente à lui rabattre 20 livres à condition qu’il paye comptant 2446 , ce qui lui est refusé. Philibert de Villars, conseiller, fait sienne la dette de Gautier, dans l’impossibilité d’honorer cette condamnation, et paye 220 livres tournois à la ville 2447 . Pourquoi ce conseiller s’oblige-t-il pour Gautier ? Cela semble incompréhensible à moins que Jean de Villars, ami de Gautier et membre de la famille de Philibert ne l’ait demandé. Il n’est peut-être pas si surprenant de ne trouver aucune trace d’une parenté entre les différents Villars, ceux qui siègent au consulat ne tenaient peut-être pas à ce qu’elle puisse être établie.

Mulat est un juriste, son discours est construit, plusieurs points sont développés successivement avec rigueur 2448  : l’existence des lettres anonymes, l’absence de clarté sur la clôture des comptes de l’année passée 2449 et l’accusation implicite de comptes truqués depuis 20 ans 2450 . Il ne prononce aucune attaque personnelle contre un conseiller, reste correct dans son langage, tout en diffamant en public tous les conseillers présents. Il possède l’art de la parole tant redouté par les conseillers : son intervention présente un véritable danger car elle est prononcée par un homme qui a la légitimité de la parole, puisqu’il est un notable, convoqué par les conseillers, appartenant à une grande famille de la ville.

‘« A esté dit et respondu par mesdits sires les conseillers que ledit maistre Mulat a parlé comme bien ignorant, mal adverty, non savant desdites choses et par quelque mauvaise suscitation, et que ce n’estoit bien ne honnestement faict de parler des parolles qui ne sont vrayes en telle présence ne assistance qui estoit assez pour esmouvoir le peuple s’il n’estoit de si bonne voulenté comme il est. Car tant qu’il touche de la ville du derrenier il se peust veoir la valleur d’icelle annuel par les chartreaulx et papiers desdits deniers. Et de ceulx qui ont estez mys sus par ci devant, compte en a esté rendu d’an en an, et chacune année comme il est de coustume faire de toute ancienneté, lesquelz compte sont escriptz et en bon ordre comme il se pourroit veoir à toute heure » 2451 .’

La réaction consulaire est immédiate et violente car Mulat a enfreint les règles de la prise de parole en parlant avant son tour, il s’octroie un droit réservé aux plus notables donc aux plus sages de la ville, et se met ainsi en lumière pour que son discours ait plus de poids : le discours du premier qui parle fait référence. Cette conscience du poids de la parole et de la mise en scène est d’autant plus grave qu’il renverse symboliquement la hiérarchie au sein des assemblées pour s’exprimer. En déréglant le fonctionnement de ces assemblées, il remet en cause l’ordre établi, et désacralise la parole des plus notables. Il prend le consulat pour une tribune, va à l’encontre de ce qui est normalisé, puisque la parole a été confisquée par les conseillers et leurs amis, qui censurent les propos mal venus 2452 . Les règles de la parole sont bafouées par cette intervention incongrue, cette libération de la parole est intolérable.

Seule parade pour les conseillers, il faut discréditer immédiatement non pas son discours, mais sa personne, lui faire perdre sa stature de juriste, descendant d’une famille illustre. La colère consulaire reste contenue mais affleure dans l’énumération tautologique du début de la réponse qui cherche à disqualifier Mulat, en niant non pas ce qu’il a dit, mais en attaquant sa personne, en mettant en avant son incompétence 2453  : il ne sait rien, parle sans réfléchir comme un enfant. On lui dénie même la paternité de ses idées pour renforcer cette image de l’homme faible, manipulé 2454  : c’est un naïf, qui s’est laissé abuser par le contenu de la lettre anonyme, manière de reporter sur lui le discrédit d’une telle action. Finalement la réponse des conseillers prend un tour condescendant, paternaliste, ils sermonnent Mulat comme s’il était un enfant, à qui l’on rappelle que mentir est mal 2455  : il est irresponsable d’affirmer ces choses sans penser qu’elles peuvent provoquer une émeute. Les paroles de Mulat en sont encore un peu plus déconsidérées, tout en donnant le beau rôle aux conseillers qui eux, s’inquiètent de la population. En fait, cela montre surtout l’opinion qu’ils ont des habitants, prompts à croire n’importe quoi : ils les méprisent et tentent de faire passer Mulat pour l’un d’eux. D’ailleurs, ils concluent en grands seigneurs, sous-entendant qu’ils ne prêteront pas trop d’importance à ce qu’a osé dire Mulat car il a cru bien faire 2456 . La situation est totalement renversée, ils arrivent à passer du rôle d’accusés à celui de juges ; ils humilient et ridiculisent Mulat en clamant leur magnanimité à son égard, tout en éludant le conflit. C’est le type même de la réfutation basée sur des arguments ad hominem : Mulat est un ignorant donc son discours est sans fondement, donc il n’y a pas de problème. Pour couronner le tout, la réunion se termine, en lui faisant payer une amende, puisqu’il a pris la parole « combien que ce fust pas à son tour » 2457 . Sous l’ironie froide des conseillers apparaît une conception autoritaire du pouvoir : les réclamations écrites comme orales de leurs adversaires sont irrecevables, aucun débat digne de ce nom ne peut donc être engagé. Cette réaction est celle d’une oligarchie qui fait bloc et dont la force réside dans sa capacité à s’exprimer d’une seule voix, face à la cacophonie de ses adversaires.

Ce premier accrochage que rapportent les registres condense différents aspects de la querelle des artisans et des conseillers. Il s’agit d’un conflit économique, politique mais aussi symbolique sur la légitimité de la parole dans les assemblées, ainsi que sur le danger des propos non contrôlés. Le discours peut être une arme aussi efficace qu’une révolte, parce qu’il déstabilise le pouvoir qui est bâti sur cet art de la parole et sa confiscation. Mulat comme Villars pourraient être conseillers, ils ont toutes les qualités requises : famille, métier, renommée. On assiste en réalité à la naissance d’un esprit de controverse, d’un embryon de parti organisé par les membres d’une même classe. Le statut de ces deux hommes justifie leur audace : ils ont la légitimité sociale pour faire vaciller le consulat et changer les politiques en place.

Cette première attaque publique gêne le consulat, malgré la morgue avec laquelle il a remis en place Clément Mulat. Afin d’enterrer le plus vite possible cette affaire, les conseillers acceptent de montrer les comptes de la ville de 1514 2458 . Le secrétaire et les consuls semblent en porte à faux face à cette nouvelle forme d’opposition, d’ailleurs ils essayent de la minimiser : seuls Mulat et Villars sont nommément cités, on ne sait qui sont leurs « consors » 2459 qu’évoquent régulièrement les registres, ni si ces derniers sont nombreux. Un flou de circonstance entoure ces hommes. Les conseillers acceptent que 20 personnes soient élues pour la vérification de ces comptes 2460  : Mulat et Villars tentent même de faire partie de ces élus mais les conseillers obtiennent que « lesdits pappiers et comptes soyent veuz et exibez à gens de bien, neutres et non pour iceulx Mulat et consortz » 2461  : huit personnes sont choisies par les opposants et les comptes leur sont montrés sous la surveillance du sénéchal du roi, qui sert de médiateur entre les deux parties 2462 . Cette décision est tout de même surprenante car elle va à l’encontre de toutes les idées défendues au XVe siècle par les conseillers : les archives du consulat sont précieuses, elles ne peuvent être montrées à qui que ce soit. D’ailleurs de multiples refus ou délais ont été pointés, aussi bien envers des particuliers de la ville que des officiers de l’archevêque ou des officiers royaux, dès qu’il s’agissait de produire des papiers appartenant à la ville 2463 . Or le prêt de ces documents ne soulève aucune objection, ce qui démontre l’importance que les conseillers accordent à ces accusations.

Le choix des huit personnes nommées par les artisans n’est pas anodin 2464  : « messire Pierre Burberon lieutenant du Roy, le maistre des portz Secondin Viel, Philibert de Villars, Véran Chalendat, Monsire de Fronquevaulx 2465 , Thomas le Maistre, François Guérin et Pierre Durant ». Les opposants au consulat ont choisi des gens qui leur sont favorables, mais certainement pas uniquement, sinon la liste n’aurait pas eu l’aval du consulat. Les noms cités sont à retenir car plusieurs de ces personnes vont être amenées à jouer un rôle important dans cette querelle. Sont cités : un officier royal, Pierre Burberon lieutenant du sénéchal ; un officier municipal Secondin Viel ; quatre représentants de lignées consulaires, Philibert de Villars, messire de Fronquevaulx c’est-à-dire François de Pavie, Thomas le Maistre et François Guérin 2466  ; et deux notables qui ont eu l’occasion de servir la ville de nombreuses fois, Pierre Durant et Veran Chalendat. Le receveur de Bailleux présente devant ces élus et des conseillers, ses comptes de l’année 1514, aucune protestation n’est émise et les conseillers pensent que le problème est réglé 2467 .

Or les choses se compliquent. Puisqu’ils ont déjà obtenu gain de cause, Mulat et Villars poussent plus loin leur avantage et exigent que soient vérifiés les comptes des 20 dernières années, comme le réclamait la première et fracassante intervention de Mulat. A cette fin, ils organisent un travail de sape de l’autorité consulaire extrêmement efficace : pour cette vérification, ils entendent que des représentants véritables de la population soient désignés. Ils organisent des élections par métiers pour déterminer un corps électoral représentatif de la population, sans reprendre les maîtres des métiers existants, désignés par les conseillers : une manière de dénoncer la collusion entre les deux organes du pouvoir 2468 . Cette action est un retour à l’expression populaire comme au début de la commune au XIVe siècle. Les premiers désignés pour cette grande opération sont les juristes, afin d’impressionner les conseillers en leur prouvant que des professionnels sont aussi au service de leurs opposants. D’ailleurs Mulat et Villars restent toujours dans la légalité : il est fait référence aux plus anciennes traditions, et souligné que ces élections sont faites avec l’accord des officiers royaux 2469 . Ils sont donc inattaquables, ceux qui sont derrière tout cela connaissent les rouages, veulent des décisions de justice pour mettre à genoux le consulat en place et l’oligarchie dominante.

C’est ainsi que « soixante procureurs, c’est assavoir de chacun mestier deux, (…) ont esleuz huit parsonnaiges pour veoir tous les comptes depuis vingt ans en ça de ladicte communaulté » 2470 . Cette manière de procéder donne aux représentants une vraie légitimité populaire, il est donc impossible de les récuser puisque ce sont les délégués des métiers qui les ont élus et non pas Mulat, Villars et consorts. Pourtant une question se pose : 30 métiers ont participé à ces élections, or dans les listes des maîtres des métiers, 44 métiers sont cités. Comment s’est effectué le choix des métiers à représenter ? A-t-on regroupé certains métiers ou ont-ils été mis à l’écart parce que trop proches du consulat 2471  ? Il est impossible de le dire puisque la liste de ces électeurs n’apparaît pas dans les registres. Les huit personnes choisies sont pratiquement les mêmes que celles qui ont procédé à la vérification de l’année 1514 2472  : les élections auraient-elles été guidées ?

La tension monte encore d’un cran et les conseillers ont cette fois pleinement conscience de vivre une crise sans précédent. Pour preuve, le secrétaire cite nommément de plus en plus de personnes outre Villars et Mulat. Le groupe de ces opposants prend forme et on commence à cerner que tous n’appartiennent pas exactement au même monde. Parmi les noms qui reviennent le plus souvent, on retrouve Jean Gautier et Pierre Grenoble 2473 . Eux non plus ne sont pas des artisans : Jean Gautier est un très riche apothicaire, qui figure sur les listes des notables de la ville côté Rhône 2474  ; quant à Pierre Sirodes, dit Grenoble, c’est un marchand ferratier aisé, cité sur les listes des notables de la ville côté Fourvière 2475 . Ce mouvement contestataire est donc mené par des notables : les élections organisées par Mulat et Villars sont un ersatz de démocratie populaire, les mêmes sont toujours choisis, ils appartiennent seulement à des cercles différents des conseillers en place. Ils n’ont jamais eu de charge consulaire ni de maîtrise des métiers : ils sont représentatifs des bourgeois qui attendent devant les portes du pouvoir.

Cependant cette coalition est un peu hétérogène : tous ses membres n’ont pas les mêmes manières, mais elle apparaît comme la première manifestation d’un parti d’opposants à Lyon 2476 . Clément Mulat fait partie en tant que docteur en droit des grands notables ; Grenoble et Jareys sont des gens plus ordinaires et leur façon d’envisager la lutte contre les conseillers est un peu différente. On peut le voir lors d’une assemblée réunie pour trouver de l’argent pour l’entrée du roi : Mulat parle le 3ème, signe de son rang et de son potentiel de nuisance dans la ville. Grenoble prend en revanche la parole quand bon lui semble 2477  : il ne respecte pas les règles et ce faisant se singularise et se donne une existence politique qu’il n’a pas légalement. Simon Jareys 2478 , qui ne fait pas partie des notables ni des maîtres des métiers, s’invite dans cette assemblée et donne aussi son avis 2479 . Ces hommes pensent-ils bénéficier d’une totale impunité, ou veulent-ils seulement faire pression sur le consulat, dans une guerre des nerfs ? La dernière hypothèse est à envisager avec sérieux, car ces opposants orchestrent avec beaucoup de soin leurs interventions. Pour preuve, le coup de force qui est tenté : au lieu de dépêcher leurs huit commis pour voir les papiers de la ville, ils viennent au consulat en nombre de « trente à quarante » 2480 . Ils savent parfaitement que les conseillers leur refuseront les documents dans ces conditions, c’est une mise en scène faite pour les impressionner. Il ne s’agit en aucun cas de provoquer une émeute dans le consulat : tous ces gens sont guidés par Clément Mulat et par Pierre Burberon, lieutenant du sénéchal, qui par leur fonction, savent très bien jusqu’où ils peuvent aller sans se discréditer. C’est une démonstration de force pour montrer au consulat les soutiens officiels dont bénéficie leur cause dans la ville. Ils s’érigent en contre pouvoir. C’est l’aspect symbolique qui est le plus fort dans cette démonstration. Dans la liste des présents le secrétaire met en évidence un ordre parmi ces intrus : Pierre Burberon est en tête, est-ce à dire qu’il est le véritable chef de cette opposition qu’il dirigerait en sous-main, du fait de sa fonction d’officier royal ? Il en est fortement soupçonné par les conseillers qui considèrent « qu’il est malveillant de messires les conseillers et notables qu’il est l’un des principaulx aulteurs, substiteurs et consortz » 2481 de cette opposition. Il est suivi dans la liste de « monsire de Fronquevaulx », c’est-à-dire François de Pavie : docteur en droit, comme Mulat, et il est aussi son beau-frère, puisqu’il a épousé sa sœur en 1511. Clément Mulat est ensuite cité. Puis viennent Gautier, Villars et Grenoble, notés sans leur prénom : il existe un clivage entre ces attaquants, les conseillers ne s’y trompent pas ; tous ne sont pas également dangereux, en tout cas ils n’appartiennent pas aux mêmes sphères de la société des notables.

Burberon, Fronquevaulx et Mulat ont beaucoup de points communs : tous sont des grands juristes, tout comme leurs pères ou grands-pères, mais contrairement à ces derniers aucun n’a obtenu de charge consulaire. Ils influencent le mouvement de contestation en mettant au cœur de leur stratégie des actions juridiques 2482  : on peut notamment le voir dans l’empressement qu’ils mettent à obtenir le soutien d’autorités supérieures au consulat : des officiers royaux comme le lieutenant Burberon, mais aussi la chancellerie 2483 . Les conseillers comme leurs opposants font appel au pouvoir royal dans cette querelle 2484 . Le trio de juristes qui mène la révolte révèle soudain son vrai visage : la vérification des comptes n’est qu’un moyen pour obtenir des changements beaucoup plus radicaux.

Notes
2437.

1515, BB33 f239v-240.

2438.

Il est conseiller en 1479-1480 et 1484 (il remplace André Garnier, décédé).

2439.

En 1479, 1483 et 1484.

2440.

Notable côté Fourvière.

2441.

Son estime est évaluée à 1 198 livres tournois en 1515 (CC20 f263).

2442.

« … contenuz et plus à plain déclairez en ung fueillet papier qu’il tenoit en sa main escript de la propre main de Jehan de Villars qui le luy avoit baillé pour luy et ses consors, pour desdites choses demander compte estre rendu par lesdits conseillers. Lequel fueillet papier il remys sur le bureau de l’hostel commun », 1515, BB33 f240.

2443.

Exemple : 1514, BB33 f78.

2444.

L’un des meneurs des artisans, nous reparlerons de lui plus amplement par la suite.

2445.

1518, BB37 f207.

2446.

1518, BB37 f225.

2447.

1518, BB37 f232v.

2448.

Le secrétaire prend beaucoup de soin pour noter les attaques de Mulat : ses propos ont du poids du fait de sa stature en ville, il faut donc les consigner pour mieux y répondre, et peut-être pour s’en servir comme preuve à charge par la suite contre lui. Les arguments qu’il développe sont notés avec détail, bien qu’on puisse se demander ce que sont ces « plusieurs autres parolles » évoquées à la fin de sa diatribe. Cela rappelle le réquisitoire qu’avait fait Condeyssie dans les années 1420, mais cette fois la réponse des conseillers est notée.

2449.

Il rappelle la levée d’il y a un an et demi « laquelle vision et clousture du compte a esté faicte, ce a esté sans le communicquer ample », 1515, BB33 f240v.

2450.

« Item a dit que depuys vingt ans en ce l’on a gaigné grands deniers sur les gabelles que la ville tient à main ferme du Roy : sur le barraige du pont du Rosne, sur la ferme du sel, vingt mil livres tournois ; sur le Xe du vin qui fut mys sus pour les murailles faicte du cousté de Fourvière et depuys continuée (…)Et après ce que par luy ont esté dictes plusieurs autres moyens et raison par lesquelz il disoit et alléguoit que le peuple avoit esté fort grevé et follé pour le mal gouverner desdits conseillers et qu’il se trouveroit encores estre receu des deniers de ladite ville la somme de deux cens quatre vingtz mil cinq cens livres tournois dont demandoit compte estre rendu et plusieurs autres parolles », 1515, BB33 f240v.

2451.

1515, BB33 f239v-240.

2452.

Qu’on pense à l’épisode avec Pierre Brunier en 1453. Cf. p.575-576.

2453.

« … bien ignorant, mal adverty, non savant desdites choses », 1515, BB33 f240v.

2454.

« … par quelque mauvaise suscitation », 1515, BB33 f240v.

2455.

« … ce n’estoit bien ne honnestement faict de parler des parolles qui ne sont vrayes », 1515, BB33 f240v.

2456.

« … s’il n’estoit de si bonne voulenté comme il est », 1515, BB33 f241.

2457.

A la fin de l’assemblée, « a reprins parler de ce que ledit messire Clément Mulat a dessus narré, dit et allégué et luy a ordonné et commandé qu’il ait à payé la somme de XXV livres tournoys oultre son taux et sa cotte desdits IIII deniers tournois, pour employer à ladite closture et fortiffication en luy remonstrant que par son parler qu’il a faict combien que ce fust point à son tour il a cuidé divertir les opinions desdits comparans affin de non lever lesdits quatre deniers qui eust esté cause de différer lesdites closture et fortifficacions dont peust estre venu grand inconvénient », 1515, BB33 f241.

2458.

« Pour ce que messire Clément Mulat et consors sont tousjours après le sire Jehan Jaques pour faire exhibicion des papiers de l’hostel commun, a esté advisé leur pourté pour le premier lundi les chartreaulx des 4 deniers mys sus en février derrenier passé, et à les y porter sont commis lesdits maistre Bellièvre et Humbert Mathieu », 1515, BB33 f249v. « A esté advis en ensuivant ce qui a esté offert par cy devant au seigneur Jehan Jaques, les chartreaulx des deux deniers mys sus en juillet derrenier passé pour satisfaire à l’instance que font maistre Mulat, Jehan de Villars et consors », 1515, BB33 f260v.

2459.

« Messire Clément Mulat et consors », 1515, BB33 f249v ; « maistre Mulat, Jehan de Villars et consors », 1515, BB33 f260v ; « iceulx Mulat et consortz », 1515, BB33 f273v ; « lesdits Villars et consortz », 1515, BB33 f302v…

2460.

1515, BB33 f270v.

2461.

1515, BB33 f273v.

2462.

« Et après avoir bien débatu de ladite matière a esté advisé non répudier ains offrir, exhiber lesdits comptes ausdits nommez et esleuz par lesdits Villars et consortz et ce en l’hostel commun sans les tirer hors en quelque facon que ce soyt. Et néantmoingz qu’on doit prier monsire le séneschal de y assister », 1515, BB33 f302v.

2463.

Voir à ce propos le chapitre « Archives et documents consulaires », p.209-210.

2464.

La liste est donnée le mercredi 8 juin 1515, BB33 f302-302v.

2465.

Et non pas de Ronquevaulx comme le dit A. Bassard.

2466.

Philibert de Villars est le fils de Pierre, conseiller 6 fois (1446, 1455-1456, 1459-1460, 1469-1470, 1475-1476, 1479-1480) et le frère de Barthélemy, conseiller 4 fois (1482-1483, 1492-1493, 1506-1507, 1511-1512) et d’Antoine, conseiller 1 fois (1495-1496) ; lui-même n’a encore jamais été conseiller. Messire de Fronqueveaulx, alias François de Pavie, est le petit-fils de Simon de Pavie, conseiller en 1482-1483. Thomas Le Maistre est le fils de Pierre, conseiller 3 fois (1494-1495, 1500-1501, 1502-1503), le petit-fils de Jean, 6 fois conseiller (1474-1475, 1479-1480, 1483-1484, 1487-1488, 1489-1490, 1491-1492), et le neveu d’Humbert, conseiller en 1502-1503 ; lui même n’a jamais été conseiller. François Guérin appartient lui aussi à une famille consulaire mais on ne sait pas exactement comme le rattacher aux autres membres.

2467.

1515, BB33 f306 et suivants.

2468.

« Plusieurs des habitans de ladite ville comme messire Mulat, Pierre Grenoble, Gautier et leurs consortz (…) poursuivent et instent fort de veoir les comptes depuis vingt ans en ça des deniers mys sus depuys ledit temps, pour les affaires tant des réparacions et autres communes de ladite ville. Et pour ce ont obtenu lettres pour faire appeler et assembler tous les habitans de ceste ville par mestiers et dès hier, furent appelez les practiciens et notaires de ladite ville qui furent assemblez pour constituer deux procureurs de leur art pour veoir lesdits comptes et restes à paier et doivent continuer toute la sepmaine et jours ensuivans », 1515, BB33 f307.

2469.

« Par ordonnance de monsire le mareschal de Trivulce, sire Jean Jacques et par auctorité de monsire le séneschal », 1515, BB33 f332v.

2470.

1515, BB33 f335.

2471.

C’est-à-dire trop haut dans l’échelle sociale : il est possible que les métiers supérieurs tels que pelletier, drapier, épicier, soient concernés.

2472.

« Ont estez constituez environ, c’est assavoir : messire Pierre Burberon, lieutenant de monsire le séneschal ; Robert Abbisse, Veran Chalendat, Philibert de Villars, monsire de Fronquevaulx, Thomas le Maistre, Pierre Durant et Estienne Martin. Requérans que lesdits comptes leur soyent monstrez et exhibez en quelque chambre de l’hostel commun pour procéder à ladite audicion et vision », 1515, BB33 f332v.

2473.

1515, BB33 f332v. Jean Gautier et Pierre Grenoble figurent parmi la liste des notables « devers Fourvière » convoqués lors de l’assemblée où Mulat a pour la première fois attaqué le consulat. Ces individus qui seront au cœur des désordres des années à venir, appartiennent à l’élite de la ville, et font partie depuis le début de cette opposition.

2474.

Les nommées évaluent ses revenus mobiliers et immobiliers à plus de 900 l.t. (CC21 f168v). Exemple de liste où il figure : 1515, BB33 f78.

2475.

D’après sa nommée, il a de bons revenus, et il est propriétaire de plusieurs maisons en ville (CC23 f60v : 724 livres). Exemple de liste où il figure : 1514, BB33 f29-30 ; il a aussi été maître des métiers des ferratiers en 1505 et 1509.

2476.

Plusieurs des éléments soulignés par J. Heers qui témoignent de l’existence d’un parti se retrouvent dans cette coalition comme nous allons le voir : rivalités économiques et politiques, conflits entre différentes familles et clientèles ; utilisation du langage comme arme ; J. Heers, Les partis et la vie politique dans l’Occident médiéval, PUF, 1981.

2477.

« Pierre Grenoble, combien qu’il ne fust à son tour ou à son rans de parler s’est prins à dire son oppinion qu’on doit prandre sur ceulx qui doivent à cause de la ferme des draptz de soye comme il a dit autreffoys, et après s’est absenté », 1515, BB33 f313.

2478.

Chacun cherche à tirer son épingle du jeu : c’est la première mention de Jareys, qui prend peut-être la lutte en cours de route, et entend se démarquer pour apparaître comme une figure de ce mouvement pseudo populaire. Jarreys est un notaire assez aisé, son estime est évaluée à environ 600 livres tournois, CC23 f246.

2479.

« Simon Jareys notaire, qui est survenu sans mander, a dit que l’en doit mectre deniers sur les apparans », 1515, BB33 f314.

2480.

« Sont comparuz messire Pierre Burberon, docteur, lieutenant de monsire le séneschal, monsire de Fronquevaulx, maistre Clément Mulat, Gaultier, Villars, Grenoble et leurs consortz eulx disans procureurs des mestiers nouvellement créez pour demander et poursuir la vision des comptes de ladite ville et communaulté depuys vingt ans en ça, en nombre de trente ou quarante, demandans exhibicion des comptes et papiers dudit houstel commun depuys lesdits vingt ans ença. Ausquelz a esté respondu qu’ilz se dient avoir esté huit commis et choisiz par eulx pour veoir lesdits comptes et combien qu’ilz ne soyent tenuz nénatmoings mesdits sires les conseillers ont offert exhiber ausdits huit esleuz et commis pourveu qu’il n’y ait autre que lesdits huit esleuz », 1515, BB34 f6.

2481.

1515, BB34 f46-v.

2482.

Les opposants arrivent ainsi au consulat munis de l’ordonnance de Trivulce (insérée dans les registres le même jour, BB34 f10v) pour examiner les comptes des 20 dernières années ; les conseillers protestent pour la forme qu’ils retardent l’expédition des affaires de la ville, mais ne peuvent les empêcher d’agir. 1515, BB34 f11.

2483.

« Pour ce que Jehan de Villars, Gautier, Grenoble et leurs consortz se dient et ventent avoir obtenu certaines lettres de la chancellerie du Roy nostre sire, sur le faict de la reddicion des comptes de la dite communaulté depuys vingt ans en ça et que par faulte d’avertir monsire le chancellier pourroit octroyer par inadvertance lesdits lettres pourroyent avoir esté levées », il est nécessaire d’aller voir le chancellier, 1515, BB34 f31v.

2484.

D’autant que celui-ci est à Lyon : depuis le départ du roi en Italie, le grand Conseil qui assiste la régente siège en permanence à Lyon.