3. Une attaque sur quatre fronts.

Au milieu de l’année 1515, les procureurs des artisans intensifient leurs attaques : les accusations de malversations ne suffisent pas pour faire pression sur les conseillers et provoquer l’implosion du consulat. Une stratégie nouvelle est mise en place : entre le milieu d’année 1515 et la fin 1517, les conseillers doivent lutter sur plusieurs fronts. Le problème des comptes des 20 dernières années reste au cœur de leurs soucis : les artisans entendent bien enquêter pour prouver les malversations et jeter le discrédit sur les familles au pouvoir. Mais ils choisissent aussi d’attaquer sur d’autres points : la façon d’attribuer les gabelles et les fermes de la ville, la réfection des estimes et le mode d’élection des représentants de la ville, maîtres des métiers et consuls.

Cette fronde inquiète sérieusement les conseillers et les conduit, pour se rassurer, à ne pas vouloir considérer ces artisans comme les représentants d’un parti mais comme de simples particuliers nuisibles 2495  ; ils les désignent aussi comme « eulx-disant procureurs des habitans » 2496 , « eulx-disans procureurs des artisans » 2497 , une manière explicite de douter de leur légitimité et de rejeter leur demande de débat. Les registres consulaires, mémoire du consulat et de la ville, ne peuvent renfermer des événements qui porteraient réellement atteinte à l’honneur des conseillers, donc la retranscription de ce conflit s’opère sur le mode de la recréation de l’adversaire, à l’avantage des conseillers. Ce déni, auquel s’ajoute une certaine morgue envers ces hommes 2498 , provoque la méfiance de ces derniers qui demandent dans toutes les assemblées à ce que leurs avis soient bien notés, voire même à donner par écrit leur avis au secrétaire afin d’être sûr que rien ne sera changé dans leurs paroles 2499 . La menace que constituent les artisans est bien réelle et les conseillers ont parfaitement conscience qu’ils regroupent autour d’eux de plus en plus de mécontents et que leur discours séduit : les intrusions régulières dans le consulat perturbent la sérénité des conseillers, qui se trouvent confrontés pour la première fois à un adversaire politique protéiforme, aux multiples visées 2500 .

Contrairement à ce que dit A. Bassard, qui voit dans ces conflits qui se multiplient dans tous les domaines la preuve de l’aveuglement de ces adversaires, prêts à en découdre sur tous les fronts, de manière un peu anarchique, il faut voir là un plan plus raisonné qu’il n’y paraît, où des notables cherchent à s’emparer petit à petit de tous les leviers du pouvoir en ville.

Notes
2495.

« Mesdits sires se sont retirez devers monsire le général qui est venu de Grenoble auquel ont récité comme certains particuliers de ceste ville ont suscité grand nombre de gens de mestiers pour leur faire passer procuration affin de poursuir l’audicion des comptes de ladite communaulté de Lion puys vingt ans en ça » (1515, BB34 f58). Les conseillers présentent leurs opposants au général de Languedoc en parlant de « particuliers » ; ils se refusent à évoquer un parti, une opposition structurée, notamment parce qu’ils ont conscience que certains notables manipulent la population contre eux.

2496.

1515, BB34 f45.

2497.

1515, BB34 f46.

2498.

« Item pour ce que en parlant desdites protestacions ledit Jehan Gaultier apoticaire a dit audit messires Franc Deschamps docteur président du consulat, en parlant rigoreusement qu’il estoit aussi homme de bien comme ledit messire Franc Deschamps, mesdits sires ont demandé acte », 1515, BB34 f89v. Cela rappelle le mépris que l’on trouve dans certains sonnets politiques italiens contre tel ou tel gouvernement, comme par exemple ceux de Pietro de Faitinelli qui fustige avec mépris le gouvernement « populaire » de Lucques en 1315. Cité pas J. Heers, Les partis et la vie politique…, op.cit., p.220-221.

2499.

Exemple : « Jehan Gautier, touchant les entrées il n’est d’oppinion de les mectre sus ains vivre comme l’en a acoustumé. Et néantmoings dit qu’il baillera son oppinion par escript et ne veult que le secrétaire du présent consulat escripve sadite oppinion. Néanmoingzt par ordonnance de mesdits sires les conseillers et assistans ont ordonné icelle estre escripte par ledit secrétaire », 1516, BB34 f178v. Autre épisode : « maistre Philippes Muret, Jehan Gautier et Claude Barbier comme procureurs des artisans ont dit qu’ilz bailleront leur intencion par escript », 1517, BB37 f83 et suivants.

2500.

« Mesdits seigneurs par la voix dudit messire Franc Deschamps ont protesté de ce que journellement ilz viennent au présent consulat et troublent et empeschent iceluy et les affaires qu’on ne peust traicter comme il appartient obstant leurdits empeschemens ont aussi protesté de ce qu’ilz vont ainsi susciter les ungz les autres et au sur plus », 1515, BB34 f89v.