Autre point sur lequel se concentrent les attaques des artisans, la réfection des estimes. La première sentence que rend le conseil royal en 1515 leur donne raison et stipule que les papiers doivent être refaits 2516 . L’essentiel du problème réside dans la désignation des commis qui œuvreront à ce travail. Les conseillers et notables sont d’avis d’élire des gens de « quatre qualitez comme docteurs, nobles bourgeoys, marchans et de mestiers » 2517 , qui leur soient évidemment favorables ; les artisans décident de faire voter les procureurs des métiers qu’ils ont établis pour déterminer leurs candidats 2518 , une façon de rappeler l’aspect beaucoup plus démocratique de leurs choix et de se poser en antithèse du consulat et de ses pratiques. Evidemment les conseillers s’insurgent contre la liste de noms qui leur est fournie par les artisans, se récriant qu’il ne s’agit pas de « gens acceptables ne agréables » 2519 , demandant « qu’ilz veillent eslire gens calliffiez et bonne estoffe » 2520 . Une certaine perfidie affleure dans ces remarques sur les choix opérés par les artisans et leurs procureurs, en soulignant qu’ils n’ont pas élu des gens de « bonne estoffe », ils dénient à ces élus le même statut que le leur, pointent leur infériorité sociale pour les discréditer et les faire paraître inaptes à la réfection des estimes.
Cette opposition fait traîner les nominations des commis : à la morgue des conseillers et des grands notables qui les soutiennent, les artisans vont répondre en désorganisant le consulat, en optant pour la perturbation des assemblées. Ce calcul ne s’avère pas payant car les conseillers profitent du désordre créé pour retarder le choix des commis aux estimes : une réunion doit déterminer leur noms,
‘« mays à cause de ce que Jehan Gautier apoticaire, maistre Symon Jareys notayre, Jehan Chausson, Claude Bertrier, Germain Chanu et certains autres eulx disans procureurs d’aucuns artizans de ladite ville sont venuz faire plusieurs protestacions à l’encontre de mesdits sires les conseillers, mesdits sires les comparans à cause du trouble pour ce advenu audit consullat qui a duré long temps n’ont peu procéder à demander ne dire lesdites oppinions ne à recognoistre et prendre les noms desdits comparans, parquoy est demeurée la présente assemblée sans prendre aucune résolution. A ceste cause mesdits sires les conseillers ont protesté à l’encontre desdits Gautier, Jareys, Chausson, Bertrier, Chanu et consortz en leur présence, qui sont venuz sans mander et ont troublé ladite assemblée pour la coulpe desquelz l’en n’a peu procéder sur ladite matière ne autres qu’ilz avoyent à leur communicquer » 2521 .’Finalement 10 personnes sont désignées pour refaire les estimes : Clément Mulat, Philibert de Muret et Jean de Villars sont procureurs des artisans ; Cathelan Thoard, le receveur de Bailleux, le juge Pierre Chanet, maître Jean Bardyn, sont officiellement pour le consulat en tant que consuls ou personnel du consulat ; Jean Ribost ou Roybost, Claude Regnaud et Louis Giraud 2522 sont difficiles à rattacher à l’un ou l’autre camp car nous manquons d’information sur eux. Leur travail commence en janvier 1516, mais tous ne semblent pas prêts à procéder réellement à la réfection de ces estimes : Chanet et Bardin viennent se plaindre en février que les autres ne veulent pas venir faire leur devoir 2523 . Il est possible que certains partagent les opinions des procureurs des artisans : le receveur de Bailleux est un personnage ambigu, il n’est pas sûr que les conseillers puissent avoir totalement confiance en lui, comme de précédents épisodes l’ont montré 2524 .
Les procureurs des artisans font tout pour faire traîner le travail, car sans nouveaux papiers, les impôts ne peuvent être levés, et le consulat se retrouve sans ressources, dans l’impossibilité de fonctionner normalement. C’est une façon habile de saboter l’application de certaines décisions consulaires… Il ne faut pas non plus exclure le fait que ces documents sont pleins « d’oublis » ou de déclarations minorées de la part des plus riches, ce qui rend leur réfection assez longue. Gautier, Chausson et Balmont, procureurs des artisans, accusent d’ailleurs certains des conseillers et des plus notables de la ville, de ne pas payer les impôts décidés en 1516 et pointent du doigt le secrétaire qui n’est même pas inscrit sur les papiers des estimes 2525 . Des accusations qui pèsent lourd alors qu’on procède justement à la révision des papiers des estimes…
La réfection des papiers prend très longtemps : ce n’est qu’en avril 1518 que Chanet et Bardin 2526 , Roybost et Giraud 2527 annoncent qu’ils ont terminé leur travail et « qu’il ne tient à eulx que leur commission de la reffection des papiers en soit perachevé ». Ce n’est qu’en juillet 1518, que Bailleux et Regnault viennent dire qu’ils ont fait leur part de travail, « affin qu’on ne die que lesditz de Bailleux et Regnault aient esté négligens » 2528 : ce n’est peut-être pas sans perfidie qu’ils affirment que les comptes de chaque groupe devront être vérifiés lors d’une réunion d’harmonisation mais « les autres commis n’y veullent faire que ce qu’ilz y ont faict ». Les procureurs des artisans retardent leur « rédition » jusqu’à la fin de 1518.
« Item ont requis qu’on procède a eslire pour procéder à la rénovacion des extimes et vallues des habitans dudit Lion de leur consentement en ensuivant l’arrest sur ce donné au grand conseil », 1515, BB34 f56.
1515, BB34 f62.
« Ont dit que lesdits procureurs bailleront par escript leur eslection et ceulx qu’ilz nommeront de leur cousté », 1515, BB34 f63.
1515, BB34 f72v.
1515, BB34 f73-74.
1516, BB34 f129.
A Bassard semble faire une erreur de lecture pour Giraud qu’il appelle Grand ; « La querelle des consuls… », op.cit, p.21.
« La plus grant partie des autres commys n’y veullent vacquer », 1516, BB34 f147 et f153v.
Il est d’ailleurs en froid avec certains conseillers dont Franc Deschamps, le président du consulat en 1516 : Guillaume de la Balme, mandeur « a rapporté au bureau avoir mandé ledit Bailleux, et qu’il est a sainct Nizier et luy a dit qu’il a fait serment que tant que monsire Deschamps sera céans il n’y viendra point synon que ce soit pour ses affayres », 1516, BB34 f146v. Il n’est d’ailleurs pas maintenu trésorier en 1516, car lors du procès de Jean Benoist, accusé de malversations par les conseillers, « ledit receveur de Bailleux se treuve chargé tant par les tesmoingtz que par la confession dudit Jehan Benoist ». Il est décidé « qu’on doit poursuir ledit receveur de Bailleux et fere confronter à cause des choses dont il est chargé par ledit procès », 1516, BB34 f205v. Il est remplacé dans cette fonction par Philibert de Villars (qui occupe cette charge de 1516 à 1519).
« Est comparu Jehan Gautier avec Jehan Chausson et Martin Balmont, lesquelz ont remonstré à messires les conseillers que plusieurs des plus notables et gros personnaiges de ceste ville n’ont payé leur taux des huit deniers que l’en recept de présent. Pourquoy ont requiz par la voix dudit Gautier que l’en les face tous paier sans nul excepter. Aussi ledit Gautier a dit que maistre Claude Granier, secrétaire de céans n’est point au papier et qu’il est tenu contribuer comme les autres habitans de ceste ville et que l’en le doit mectre au papier et faire paier comme les autres, autrement proteste qu’il ne paiera non plus que ledit Granier. Messires leur ont respondu qu’ilz feront ce qu’ilz devront », 1516, BB34 f239.
1518, BB37 f168v.
1518, BB37 f171.
1518, BB37 f193v.