Conclusion

Dans « Histoire sociale et histoire des mentalités » 2639 , G. Duby souligne que travailler sur les mentalités, c’est considérer que tout peut être « langage » dans la société, que ce soient les règles sociales, les modes vestimentaires ou les codes culinaires. L’analyse du langage, du discours produit par une catégorie de la société est une approche qui s’inscrit dans cette perspective. « Le langage se réalise toujours dans une langue, inséparable d’une société définie et particulière. Langue et société ne se conçoivent pas l’une sans l’autre. (…) Par la langue, l’homme assimile la culture, la perpétue ou la transforme » 2640 .

Nous avons voulu montrer, dans le cadre de l’étude des registres consulaires de la ville Lyon, comment l’analyse du langage permettait de révéler des pratiques et des représentations culturelles propres aux élites lyonnaises du XVe siècle. C’est donc à travers leurs écrits, leurs comportements et leurs paroles que nous avons essayé de dégager la construction et l’évolution de l’identité et de la mémoire d’un groupe certes numériquement restreint, mais dont l’influence en ville, politique, économique, sociale et culturelle, lui confère un rôle de premier plan. Il ne s’agit en aucun cas de prétendre que ce travail a pu cerner l’identité de ces individus, mais il en a éclairé certaines facettes. D’ailleurs, c’est avant tout l’image que ces consuls se font de leur identité plutôt que cette dernière que l’étude des registres a révélée. Il ne faut pas être dupe, les documents consulaires sont une reconstruction de la réalité : « ce n’est pas en fonction de leur condition véritable, mais de l’image qu’ils s’en font et qui n’en livre jamais le reflet fidèle, que les hommes règlent leur conduite » 2641 . La conscience d’avoir affaire à un miroir déformant a finalement servi ce projet car il est devenu un des éléments d’étude : ce que ces conseillers souhaitaient être, était aussi important que ce qu’ils étaient vraiment 2642 . C’est pourquoi le terme d’image, autant que celui d’identité, a été au cœur de ces travaux sur les conseillers de Lyon.

Notes
2639.

G. Duby, « Histoire sociale et histoire des mentalités », Nouvelle critique, n°34, mai 1970, p.13.

2640.

E. Benvéniste, Problèmes de linguistique générale, I, Gallimard, 1966, p.29-30.

2641.

G. Duby, « Histoire sociale et idéologie des sociétés », dans J. Le Goff et P. Nora dir., Faire de l’histoire, 1. Nouveaux problèmes.

2642.

« Toute société se saisit moins sous l’aspect de ce qu’elle est : en continuel processus d’engendrement, que sous l’aspect d’un ordre établi et durable ; moins sous la figure des systèmes vivants, de la construction permanente, que sous celle des choses, du construit. Toutes les institutions contribuent à entretenir cette illusion d’optique sociale ; en durant, elles acquièrent un caractère objectif, paraissent indépendantes des hommes qui les ont créées, s’imposent comme si elles n’étaient pas une réponse -parmi d’autres possibles- aux problèmes que formule toute existence collective. La reproduction sociale n’est jamais acquise. (…) Tous les systèmes politiques traditionnels fondent la légitimité sur la continuité, et se chargent de sacraliser en réactualisant périodiquement le moment de la fondation. Ils entretiennent fortement l’illusion d’échapper au mouvement, au changement, au devenir historique. Ils contribuent à instaurer une forme d’historicité qui prend difficilement conscience d’elle-même, à produire l’image de sociétés qui s’abîment dans la répétition », G. Balandier, Anthropo-logiques, PUF, 1974, p.205-206 et p.208-209.