II-2-2- L'activité économique mondiale

En plus de l'importance des taux d'intérêt mondiaux, en 1994, l'économie mondiale a enregistré une forte reprise après des résultats relativement faibles entre 1990 et 1993. La croissance observée en 1994 dans les pays industrialisés comme dans les pays en développement et en transition a entraîné une hausse du volume du commerce mondial d'environ 9%. Les flux de capitaux vers les pays en développement sont restés très élevés, toutefois un léger déclin a été enregistré pouvant s’expliquer par le ralentissement des entrées de capitaux dans les pays de l'Hémisphère occidental, du Moyen orient et de l'Europe. Comme il a été signalé plus haut, les taux d'intérêt à long terme ont augmenté dans les pays industrialisés en particulier en début d'année. Cela s'explique par l'effet conjugué de l'amélioration des perspectives de croissance, des anticipations inflationnistes et de l'accroissement de la demande de capitaux générés par la reprise de l'activité économique.

En 1994 et début 1995, la continuité de la reprise aux Etats Unis s'est manifestée par un resserrement graduel de la politique monétaire et une augmentation des taux d'intérêt à court terme. Au Japon, les taux d'intérêt à court terme ont largement augmenté à la fin de l'été 1994 pour garder un niveau relativement stable jusqu'au début de 1995.

A la fin des années quatre-vingt-dix, malgré la forte expansion des flux de capitaux internationaux, le comportement d'investissement aux Etats Unis et au Japon sont relativement stables sur le moyen terme. Comme le montre le tableau I.3, les capitaux américains à destination de l'étranger et notamment à destination des marchés émergents ont pris pour la plupart la forme d'IDE. Le Japon, en revanche a recyclé ses excédents sous forme d'IP et à moindre degré, d'IDE.

Tableau I.3 : Les principaux soldes financiers (en milliards de dollars américains courants)
Solde des IDE Solde des IP Solde des autres flux (hors réserves de change)
  Etats-Unis Japon Etats-Unis Japon Etats-Unis Japon
1990 11 -49 -9 9 59 9
1990-1995 -20 -25 14 -14 -7 -127
1995-1999 24 -20 219 -21 -8 -56
1999 130 -10 244 -27 2 6
le signe négatif signifie des sorties nettes de capitaux hors du pays considéré

Source: FMI, US Department of Commerce (2000)

Le graphique I.11 retrace l'évolution d'une part des flux nets de capitaux dans les pays émergents d'Asie 24 et de l'Hémisphère occidental, et d'autre part du PIB réel des pays à revenu élevé, comme le Japon et les Etats Unis.

Les flux nets de capitaux comportent des investissements directs nets, des investissements de portefeuille nets et des autres investissements nets à court et à long terme. A partir du PIB réel 25 des pays industrialisés, on veut voir à travers ce graphique s'il existe une évolution cohérente entre l'activité économique de ces pays et les flux de capitaux dans les marchés émergents.

Graphique I.11 : Flux nets de capitaux dans les marchés émergents et activité économique dans les pays à revenu élevé (en milliards de dollars et PIB calculé au prix constant année de base 1995)
Graphique I.11 : Flux nets de capitaux dans les marchés émergents et activité économique dans les pays à revenu élevé (en milliards de dollars et PIB calculé au prix constant année de base 1995)

Source : Nouvelles perspectives du FMI (2000) et Statistiques de la Banque Mondiale (2001)

Dans ce graphique, le PIB réel aux Etats Unis est légèrement plus élevé qu'au Japon. Jusqu'en 1996, les flux nets de capitaux dans les marchés émergents asiatiques ou ceux de l'Hémisphère Occidental ont évolué dans le même sens, exception faite des années1994 et 1995. En effet, en faisant abstraction des périodes de crises, 1994-1995 pour les pays d'Amérique Latine et 1997-1998 pour les pays d'Asie, où les flux nets de capitaux ont tendance à diminuer, on remarque que lorsque le PIB réel augmente dans les pays à revenu élevé et notamment aux Etats Unis et au Japon, les flux nets de capitaux augmentent aussi. On remarque aussi (tableau I.3 et graphique I.11) qu'entre 1990 et 1995, en moyenne aussi bien le Japon que les Etats Unis ont été caractérisés par des sorties nettes de capitaux, ce qui explique les flux nets de capitaux relativement élevés enregistrés dans les marchés émergents à la même période. Par ailleurs, pour les pays d'Amérique Latine, une augmentation des flux nets de capitaux a été enregistrée après la crise du Mexique entre 1995 et 1997, ce qui correspond à une période d'absence de sorties de capitaux américains, puisque les principaux soldes financiers affichaient des résultats positifs. Au Japon en revanche, il y avait encore des sorties de capitaux, qui n'ont pas bénéficié aux pays émergents d'Asie ici représentés.

Contrairement aux années quatre-vingt où le Japon a enregistré les meilleurs taux de croissance, pendant les années quatre-vingt-dix, l’économie américaine a dépassé en termes de performance celle du Japon. Non seulement la croissance aux Etats Unis s’est améliorée, avec l’augmentation de l’emploi et la baisse de l’inflation, mais en plus, les crises ayant frappé les pays asiatiques n’ont pu que consolider la position économique leader des Etats Unis. Il est important d’insister sur la situation économique des pays industrialisés alors que l’étude porte sur les marchés émergents dans la mesure où la situation économique de ces derniers est affectée par la variation des fondamentaux macroéconomiques des pays industrialisés notamment du Japon et des Etats Unis. En effet, dans les pays émergents, la production suit le taux de croissance des pays industrialisés. La production des marchés émergents est meilleure lorsque le taux de croissance des pays industrialisés partenaires est élevé. Ainsi, l’économie des pays émergents est affectée par celle des pays les plus avancés. Par exemple, le recouvrement de la crise du Mexique en 1994 a été facilité par la rapide croissance enregistrée aux Etats Unis pendant cette période. En revanche, l’absence de croissance et le recul observé dans les pays leader asiatiques comme le Japon, ont posé des problèmes au niveau du recouvrement des pays d’Asie du Sud-Est à la suite de la crise de 1997. A l’exception des Philippines, les pays d’Asie ont été soutenus par la liquidité régionale fournie par les investisseurs les plus solides.

Entre 2000 et 2003, les pays d’Amérique Latine, en raison de leur besoin de financement croissant, se montrent vulnérables à une augmentation de l’aversion au risque et plus exposés à une importante baisse des flux financiers. A l’exception du Mexique qui a achevé son plan de financement en 2003, les autres pays de la région trouvent des difficultés à faire de même.

Pour conclure, nous avons pu remarquer que les facteurs internes sont généralement attribués à des dislocations de l’économie réelle tel que le choc de productivité transitoire, ou un renversement soudain des politiques macroéconomiques qui génèrent des modifications brusques au niveau du solde (S – I). Ces facteurs peuvent aussi être attribués aux marchés financiers, tel est le cas lorsque les nouvelles politiques altèrent la confiance des investisseurs et mènent par conséquent à des entrées ou fuites de capitaux. Les facteurs externes peuvent directement affecter l’économie, comme dans le cas d'un changement des taux d’intérêt dans le monde modulant d’où l’attraction relative des actions domestiques. Pour ces facteurs, le meilleur indicateur de la disponibilité des capitaux dans les marchés émergents a été pour plusieurs auteurs le taux d’intérêt réel. Généralement, la disponibilité des capitaux étrangers dans les marchés émergents est mesurée par l’équilibre entre l’épargne et l’investissement. Un excès d’apport d’investissement dans ces marchés est généralement expliqué par une hausse des taux d’intérêts et/ou une baisse des taux d’intérêt dans les pays industrialisés, ou bien par un faible rapport entre le capital et le travail des épargnants domestiques disponibles sur le marché. Il reste toutefois usuel d’attribuer l’augmentation des flux de capitaux dans les marchés émergents à une faiblesse des taux d’intérêt des pays industrialisés par rapport à un accroissement de ceux des pays émergents.

Par ailleurs, il est important de signaler qu'un arrêt soudain des flux de capitaux reflète souvent l'inquiétude croissante des investisseurs au sujet de la faiblesse de la situation économique et politique des systèmes financiers dans les marchés émergents pouvant générer des risques. Plusieurs études ont montré que les développements dans les pays industrialisés 26 jouent un rôle important pour limiter l'accès des marchés émergents au marché international des capitaux. Face à la volatilité des flux de capitaux, depuis la seconde moitié des années quatre-vingt-dix, les marchés émergents tentent de retrouver cet accès à travers l'établissement d'une politique macro-économique stable.

Il est capital de noter ici l'importance des réserves de change, dans la mesure où elle représente une articulation entre les déterminants des entrées de capitaux et les effets de ces derniers. En effet, les réserves répondent aux deux types de fondements internes et externes. Par ailleurs, elles peuvent à la fois provoquer les entrées de capitaux, mais aussi être affectées par les entrées de capitaux

Dans un grand nombre de marchés émergents, les entrées de capitaux qui ont accompagné la libéralisation financière ont été sollicitées dans un premier temps pour financer le déficit du compte courant. En cas de déficit du compte courant, l’économie peut avoir recours soit à une entrée de capitaux, soit à une baisse de ses réserves officielles. Dans ce contexte, l’état des réserves peut donc nous informer sur le volume des entrées de capitaux. En effet, en considérant la corrélation entre les entrées de capitaux et la variation des réserves de change, et à partir des graphiques I.12 (a et b) 27 , qui retracent le niveau des réserves de changes diminué de l’or, nous pouvons faire les constations suivantes, qui à leur tour nous renseignent sur le mouvement des entrées de capitaux :

Graphique I.12 : Evolution des réserves de change en millions de DTS
Graphique I.12 : Evolution des réserves de change en millions de DTS

Source : Données statistiques du FMI (2003)

Au terme de cette analyse de l’évolution des flux de capitaux et l'étude de leurs déterminants, les principales conclusions suivantes peuvent être dégagées.

En premier lieu, l’intégration des marchés de capitaux montre au cours du temps une courbe en forme de U. En effet, avant la première guerre mondiale, les marchés de capitaux ont été fortement intégrés. Ce degré d’intégration a connu une chute jusqu’en 1950 où il a recommencé à augmenter et s’est intensifié dans les années quatre-vingt-dix sans pour autant atteindre son niveau d’avant 1914. D'où l'intérêt que nous portons aux caractéristiques macroéconomiques des pays en question qui ont contribué à ce degré d’intégration des marchés à cette époque.

En second lieu, les flux officiels qui constituaient jusqu'en 1970 la majeur partie du financement des pays en développement, ont été remplacés par les flux privés représentant actuellement plus de 80% du total des flux. Ces flux privés qui constituent en partie les entrées de capitaux sur les marchés émergents se composent d’investissements directs étrangers, d’investissements en portefeuille et d'emprunts publics et privés à court et à long terme. Les IDE et les IP en particulier, ont connu plusieurs variations en terme de volumes selon les pays et les périodes en question. En effet, les investissements directs étrangers présentent une forme de flux de capitaux séduisante, et même avantageuse pour les pays hôtes. Du point de vue des investisseurs étrangers, ils sont rapidement séduits par les IDE compte tenu les rendements qu’ils peuvent générer. Les flux de portefeuille en revanche, étant soumis aux lois des marchés financiers, ne sont pas très demandés par les investisseurs étrangers, surtout si le pays hôte ne dispose pas d’instruments de politique macro-économique assez développés ou si l’économie a des faiblesses fondamentales tel qu’un faible système bancaire. Ils deviennent ainsi très sensibles à l’efficacité des marchés financiers. Etant plus volatils, les IP permettent aux investisseurs étrangers de décider subitement de quitter le pays dans lequel ils ont investi. C'est ce qui peut expliquer la préférence des pays pour les IDE plutôt que les IP.

En troisième lieu, les différentes formes d'entrée de capitaux peuvent être expliquées par des facteurs internes et externes. Les facteurs internes représentent en particulier les différentes réformes structurelles entreprises par les marchés émergents dans le cadre de la libéralisation financière et précisément la libéralisation du compte de capital. Ces réformes peuvent toucher à la fois le développement des institutions financières et monétaires, le développement des marchés de capitaux, les marchés de change, la libéralisation des IDE et des IP et les restrictions sur les mouvements de capitaux. Les facteurs externes sont plutôt liés aux chocs externes qui affectent l'économie et en particulier le mouvement des taux d'intérêt mondiaux, ainsi que l'évolution de l'activité économique.

Les entrées massives de capitaux ayant caractérisé les marchés émergents des années quatre-vingt-dix ont été provoqués par certains facteurs internes et externes, mais leurs volumes et leurs tailles ont aussi affecté certains aspects de l'économie. Nous nous intéressons dans le chapitre suivant aux effets macroéconomiques des entrées de capitaux dans les pays d'Amérique Latine et d'Asie du Sud-Est. Ces deux groupes de pays dont les caractéristiques sont différentes n'ont pas vu leur fondamentaux macro-économiques affectés de la même manière.

Notes
24.

Dans ce groupe seuls les pays en crise ont été retenu, à savoir : la Corée, l'Indonésie, les Philippines et la Thaïlande.

25.

Le PIB réel a été calculé à prix constant (année de base 1995), son évolution reflète donc l'évolution réelle de l'activité économique dans le pays.

26.

Comme par exemple sur les marchés boursiers où les prix des actifs volatils réduisent l'aversion au risque des investisseurs

27.

Sur le graphique I.12 b, l’axe des ordonnées de droite concerne uniquement la Corée