I-1- La stabilisation fondée sur le taux de change

Le tableau II.1 présente la liste de quelques programmes de stabilisation fondés sur le taux de change dans des pays à caractère inflationniste depuis la fin des années soixante-dix.

Tableau II.1 : Les principaux plans de stabilisation fondés sur le taux de change
Plan Dates début-
fin du plan
Régime du taux de change Taux d'inflation (1) Fondamentaux monétaires
    parité glissante taux de
change fixe
bande de taux de change caisse
d'émission
initial (2) le plus bas réserves valeur de la monnaie
Tablita
Chilien
février 1978-
juin 1982 (3)
février 1978-
juin 1979
juin1979-
juin 1982
    52,1 3,7
perte d’environ 65% des réserves

en février 1983, dépréciation de la monnaie de 55%
Tablita
Argentine
décembre 1978-
février 1981
decembre1978-fevrier 1981       169,9 81,6
baisse de 71%

en avril 1982, dépréciation de 410%
Austral (Argentine) juin 1985-
septembre 1986
(4)
mars 1986-
septembre 1986
juin 1985-
mars 1986
    1128,9 50,1
en sept 1987, baisse de 58%

inflation > 10% par mois
Cruzado (Brésil) février 1986-
novembre 1986
  fevrier1986-novembre1986     286,0 76,2
en mars 1987, baisse de 75%

inflation mensuelle en déc. 1987 de 21%
Tableau II.1 (suite) : Les principaux plans de stabilisation fondés sur le taux de change
Plan Dates début-
fin du plan
Régime du taux de change Taux d'inflation (1) Fondamentaux monétaires
    parité glissante taux de
change fixe
bande de taux de change caisse
d'émission
initial (2) le plus bas réserves valeur de la monnaie
Mexique 1987 décembre1987-décembre1994 (5) janvier 1989-
novembre 1991
février 1987-
décembre 1988 (6)
novembre 1991-décembre 1994   159,0 6,7 entre février 1994 et janvier 1995, chute de 85% des réserves dépréciation du peso de 100% en 4 mois depuis décembre 1994
Convertibilité (Argentine) avril 1991-
présent (7)
      depuis avril 91, avec une parité un pour un au dollar américain 267,0 -0,3 baisse des réserves de 52% entre mi 1994 et mars 1995  
(1) Taux d’inflation sur 12 mois ( en pourcentage ) ;
(2) Taux d’inflation sur 12 mois dans le mois où le plan a été mis en application ;
(3) Le programme a été achevé en mai 1982 ;
(4) Le programme a été achevé en juin 1986 ;
(5) Le programme a été achevé en septembre 1994 ;
(6) Le taux de change a été fixé suite à quelques dévaluations initiales entre décembre 1987 et février 1988 ;
(7) Le programme a été achevé en mai 1996

Source : A partir de Calvo et Végh (1999), FMI (1999)

En se référant à ces exemples, dont les principaux aspects sont résumés dans le tableau II.1, nous pouvons identifier les régularités empiriques suivantes :

  • diminution rapide de l’inflation 34 expliquée par le contrôle temporaire des prix ;
  • augmentation initiale de l’activité réelle suivie par une lente contraction,
  • appréciation réelle de la monnaie nationale ;
  • détérioration de la balance commerciale et de la balance du compte courant ;
  • ambiguïté dans l’impact de la réponse des taux d’intérêt réels.

L’étude de Calvo et Vègh (1999) permet de dégager un certain nombre de conclusions concernant le comportement des variables macroéconomiques clés, le comportement cyclique de la croissance du capital, et la consommation et l’investissement à la suite de l’application des programmes de stabilisation fondés sur le taux de change. Il apparaît que :

  • le taux de change réel s’est apprécié pendant trois années consécutives avant de commencer à se déprécier suite au taux de dévaluation élevé entre T-1 35 et T+2 (panel A, annexe 2 36 ) ;
  • le compte courant s’est détérioré jusqu’à la date T+3 qui correspond à trois années après la mise en application des plans de stabilisation, puis il a commencé à augmenter (panel B, annexe 2) ;
  • les taux d’intérêt réels diminuent à T et augmentent rapidement aussitôt après (panels C et D annexe 2) ;
  • la croissance réelle du PIB augmente et atteint son maximum à T+1 puis diminue. On observe un même comportement pour la consommation privée et pour la consommation des biens durables (respectivement panel E, F et G, annexe 2). Cependant, on note que le cycle des biens durables est beaucoup plus prononcé que le PIB réel ;
  • avant de chuter, l'investissement fixe a connu un pic maximum (panel H , annexe 2) ;
  • les comportements respectifs des ratios consommation privée/PIB et investissement fixe/PIB sont représentés sur les panels I et J (annexe 2). A T+1, le ratio consommation privée/PIB a atteint 74, 3 % (son maximum). En revanche, le ratio investissement fixe/PIB diminue à T et n’a surpassé son niveau initial qu’à T+3, avant de diminuer aussitôt après.

La réussite d'un plan de stabilisation est liée aussi à la date de sa mise en application. Il faut en effet tenir compte du fait que certains plans ont été programmés mais leur mise en application s’est effectuée beaucoup plus tard.

Lorsqu’un plan anti-inflationniste est mis en application, les investisseurs vont essayer d’évaluer la viabilité du plan en vérifiant la compatibilité des politiques gouvernementales avec le nouvel objectif annoncé d’une faible inflation. Comme l’ingrédient de base de la majorité des plans de stabilisation est la fixation du taux de change, les investisseurs vont se concentrer sur l’évaluation de la faisabilité d’un régime de taux de change fixe. Le plan de stabilisation qui consiste à ramener le niveau de l’inflation domestique au niveau international en fixant le taux de change est fondé sur l’idée qu’à long terme, l’inflation domestique va converger vers l’inflation étrangère majorée du taux de dépréciation de la monnaie domestique. La décision de fixer le taux de change et d’ancrer l’inflation nationale sur l’inflation internationale contraint naturellement les politiques budgétaires et monétaires. Cette contrainte s’explique essentiellement par le fait que le taux de croissance de l’offre de monnaie devient déterminé par la demande. Par exemple, si le financement du déficit public par l’expansion du crédit interne est supérieur au taux d’inflation, il y aura un excès d’offre de monnaie conduisant à une perte continue des réserves de change de la banque centrale, les autorités seront dans ce cas forcées d’abandonner le régime du taux de change fixe. Par conséquent un régime de change fixe viable a besoin d’un taux de croissance du crédit domestique inférieur au taux d’inflation internationale. Une augmentation du taux d’expansion du crédit interne finance le déficit public, mais signale surtout un conflit entre les politiques monétaires et budgétaires et l’objectif d’inflation. Cela conduit les investisseurs à anticiper un abandon de la stabilisation.

L’Argentine et le Mexique ont vécu pendant la période d’après guerre l’expérience d’une inflation chronique. Ils ont aussi connu l’échec de leurs programmes de stabilisation. Pour ces deux pays, la principale cause de l’inflation est la forte croissance de la masse monétaire. L’inflation s’est particulièrement accélérée dans les années soixante-dix, période caractérisée par un accroissement du déficit public d’au moins 7 % en 5 ans (voir tableau annexe 2). Or, pendant les années soixante, le Mexique s’est aligné sur le taux d’inflation des Etats Unis. Au début des années soixante-dix, le déficit budgétaire a commencé à augmenter assez rapidement. Le déficit budgétaire a été financé en grande partie par les emprunts auprès de la banque centrale qui ont à leur tour accéléré l’inflation. Le 31/08/1976, le peso est dévalué de 100 % et le taux annuel d’inflation a atteint 27 %. Peu après la dévaluation, un plan de stabilisation recommandé par le FMI est mis en place pour les trois années qui ont suivi. Ce plan a bien réussi la première année puisqu’une baisse du déficit public a été observée. Cependant l’inflation est restée quasi stable. Le plan de stabilisation s’est soldé par un échec en 1981 après une importante surévaluation du peso, ce qui a précipité une fuite massive de capitaux et une accumulation de la dette externe. En 1982, l’inflation s’est intensifiée, alimentée par une augmentation du déficit public due aux importantes subventions publiques pour aider les firmes à contrôler les dettes en dollar.

Pour freiner, voire baisser l’inflation, le gouvernement a annoncé un plan de stabilisation en décembre 1987. Ce plan prévu pour une durée de sept ans préconise un « pacte social » pour diminuer l’inflation ainsi qu’un taux de change fixe pour la première année.

Pour l’Argentine, après une période d’instabilité et de stagnation au cours des années quatre-vingt, l’Argentine a connu une amélioration de sa croissance économique au cours de la décennie suivante. Jusqu’en 1994, l’économie s’est rapidement accrue, aidée en cela par un environnement financier international favorable et par la stabilisation rapide consécutive à l’introduction du plan de convertibilité de la monnaie en dollar en avril 1991. Dans le cadre de ce plan, l'Argentine a essayé à travers les instruments de la politique économique de rétablir la liquidité du secteur financier, d'augmenter l'épargne intérieure et de redonner confiance dans la capacité des pouvoirs publics à défendre le taux de change fixe. Mais à la fin 1994 et en 1995, l’Argentine a subi de plein fouet les retombées de la crise mexicaine. Cette période a été suivie, en 1996 (année d’achèvement du plan convertibilité) et 1997, par une nouvelle période de croissance, mais une série de chocs extérieurs (crises asiatique et russe, dévaluation brésilienne) ont de nouveau bouleversé l’économie du pays dès la fin 1998.

La sortie de la récession se révèle lente car la croissance n’est tirée que par les exportations qui représentent une faible part du PIB. La poursuite de l’austérité budgétaire et le pessimisme ambiant n’ont pas permis un véritable redémarrage de la demande intérieure en 2000. Malgré un léger rétablissement de la croissance attendu en 2001, l’Argentine a bénéficié de la part des institutions financières internationales en 2001 et 2002 de 40 milliards de dollars américains en vue de rétablir ses comptes. Le gouvernement s’est engagé dans une série de réformes structurelles, socialement douloureuses, en vue de stimuler les investissements (modifications du régime de TVA) et de réduire les dépenses publiques (concessions dans les infrastructures, réforme des pensions, réforme du système de santé,…). Le système de convertibilité (1 peso = 1 dollar américain), en place depuis 10 ans, inclut depuis le 15 juin 2000 la devise européenne a concurrence de 50% mais seulement pour le commerce des marchandises. Malheureusement, la reprise tant espérée se fait attendre. A la fin de l'année 2000, l'accès au marché de capitaux a commencé à diminuer sérieusement. Pour certains économistes, le régime de convertibilité a fourni un manque de flexibilité des prix et des salaires, ainsi qu'une vulnérabilité aux chocs externes. Ainsi, ce régime n'a pas permis au taux de change réel effectif du peso de se déprécier lorsque cela a été nécessaire. Par ailleurs, l'Argentine accorde beaucoup d'importance aux entrées de capitaux plus que l'épargne domestique, ce qui reflète en partie le développement des marchés financiers domestiques. Lorsqu'il y a eu une importante réduction des flux de capitaux vers les marchés émergents en 1998, il est devenu très coûteux pour l'Argentine d'augmenter les fonds des marchés de capitaux internationaux. Compte tenu du régime de convertibilité et de la petite taille des exportations, l'Argentine n'a pas pu facilement s'adapter au choc a travers une rapide dépréciation du taux de change réel. Depuis décembre 2001, l'Argentine est plongée dans une crise économique. En janvier 2002, l’Argentine a rompu son lien avec le dollar, la caisse d’émission a ainsi été abandonnée.

Le tableau (annexe 2) présente le résumé des statistiques monétaires, budgétaires et d’inflation pour l’Argentine et le Mexique, avant et après les plans de stabilisation. Nous remarquons que les plans mexicains ont réussi à réduire l’inflation d’au moins 20 % par an alors que les politiques en Argentine ont échoué. L’inflation a retrouvé dans ce pays très rapidement des niveaux similaires à ceux qui prévalaient avant le plan de stabilisation.

En examinant le comportement de la monnaie, du crédit au secteur privé, des déficits budgétaires et du taux d’inflation (tableau annexe 2), il apparaît que le Mexique montre une contraction monétaire progressive et des déficits budgétaires après les plans. En revanche, l’Argentine ne montre pas une telle contraction monétaire ou une austérité budgétaire durable. A part ces différences, les deux pays ont connu des taux d’intérêt élevés dans les quelques premiers trimestres qui suivent la stabilisation.

Les tentatives de stabilisation dans les pays à inflation chronique risquent de souffrir d’un manque de crédibilité. Ces pays ont en effet appris à vivre avec une inflation élevée. Dès lors, les incitations à supprimer l’inflation seraient moins importantes que celles dans l’hyper inflation. D’ailleurs, ces pays ont connu plusieurs échecs quant aux plans de stabilisation qu’ils ont mis en application. Par conséquent, les autorités politiques auront du mal à convaincre les investisseurs que le plan de stabilisation courant ne va pas s’effondrer. D’autant plus que la réussite de tels plans demeure tributaire de l’avènement de chocs négatifs susceptibles d’affecter la croissance et le déficit budgétaire. Cela renvoie au comportement des fondamentaux du marché qui indiquent la compatibilité des politiques monétaires et budgétaires annoncées et l’objectif d’inflation.

En plus du plan Cruzado, le Brésil a mis en place le Plan Real qui est un plan de stabilisation mis en place dans le cadre d'un régime d'ancrage nominal souple de la monnaie. En 1993, l'économie brésilienne a connu une nette reprise avec un taux de croissance annuel de 4,9 %, un déficit budgétaire réel de 0,8 % du PIB et un solde de la balance courante équilibré. Toutefois, le taux d'inflation a fortement augmenté et a même atteint les 2500 %. Avec le Plan Real, au cours des premiers mois qui ont suivi sa mise en place datée du premier juillet 1994, le taux d’inflation a chute à 28%.

A la différence du plan Cruzado, le Plan Real se définit par l'introduction d'une nouvelle monnaie (le réal) dont la parité par rapport au dollar a été fixée en 1995 à 1 réal = 1 dollar américain. Cette parité a été accompagnée par une nouvelle mesure permettant le contrôle de la masse monétaire, mesure selon laquelle cette dernière ne doit pas dépasser de 20 % les réserves internationales.

En plus des plans de stabilisation fondés sur le taux de change, certains pays ont aussi fait appel aux plans de stabilisation fondés sur la monnaie.

Notes
34.

Cette baisse de l’inflation n’est toutefois pas durable.

35.

T correspond à la date de mise en application du plan de stabilisation

36.