II-2- Cas des pays d’Asie du Sud Est

Vers la fin des années quatre-vingt, un important volume de capitaux privés a commencé à affluer 50 sur les marchés émergents d’Asie de l’Est 51 . Au début de la décennie suivante, ces pays sont devenus la destination la plus importante des capitaux privés. En effet, leur part dans le total des capitaux à destination marchés émergents est passée de 10 % au début des années quatre-vingt à 40 % au début des années quatre-vingt-dix. En part de PIB, le volume cumulé des entrées de capitaux entre 1988 et 1995 s’est élevé à 55,5 % en Thaïlande, 48,5 % en Malaisie, 23,1 % aux Philippines, 9,3 % en Corée et 8,3 % en Indonésie.

Au cours de ces années, le volume des entrées de capitaux a excédé le déficit du compte courant, entraînant un accroissement des réserves de change. Dans chacun des pays étudiés, les réserves de change ont ainsi représenté environ 25 à 35% du total des flux de capitaux. Cela explique l’augmentation des avoirs en devises, une des contreparties de la base monétaire. En Indonésie par exemple, les entrées de capitaux sont de l’ordre de 4495 millions de dollars américains contre un déficit du compte courant de 2988 millions de EU$ en 1990 (année du début des entrées massives de capitaux), avec une augmentation des réserves de change en devise de 2088 millions de dollars américains (environ 46 % des entrées nettes de capitaux) 52 . Pour la période 1989-96, environ 26 % des entrées nettes de capitaux représentent une accumulation des réserves de change en Indonésie. De même, en Corée, la proportion des entrées nettes de capitaux accumulée en réserves de change est d’environ 32 % entre 1992-96. En 1992, les entrées nettes de capitaux étaient de l’ordre de 6994 millions de dollars américains contre un déficit du compte courant de 990 millions de dollars américains. En Malaisie à partir de 1989, date du début des entrées massives de capitaux, environ 80% des entrées nettes de capitaux sont accumulées en réserves de change et ce jusqu’en 1993. Cependant, les réserves diminuent en 1994 et 1995 avant de remonter légèrement en 1996. Environ le tiers des entrées nettes de capitaux a été accumulé en tant que réserves de change aussi bien aux Philippines qu’en Thaïlande. En reflétant l’accumulation des réserves de change en devise, une des composantes de la base monétaire a rapidement augmenté dans ces pays. Simultanément, on observe que tous les pays considéré ont enregistré une croissance rapide des agrégats M1 et M2 (graphique II.8).

Les réactions des différents pays face à ces entrées de capitaux et aux variations des variables macroéconomiques, ont été plus ou moins différentes, mais ont tourné le plus souvent autour de la politique monétaire et la politique du taux de change. Par exemple, pour l’Indonésie, suite aux périodes de dépréciation, causées par les chocs pétroliers des années quatre-vingt, la banque centrale indonésienne (BI) a fortement soutenu sa monnaie pour la voir s’apprécier pendant la décennie qui a suivi. Ce soutien a été effectué moyennant des achats de devise plus ou moins réguliers par la banque centrale. Toutefois, ceci a causé des problèmes de gestion monétaire auxquels les autorités ont réagi progressivement en élargissantla bande d’intervention sur le marché des changes. Face à la dépréciation de la rupiah, le gouvernement a choisi de sacrifier ses cibles monétaires pour essayer de reprendre le contrôle sur le taux de change. Il a mis en place une politique monétaire restrictive dans le but d’accroître les taux d’intérêt et d'attirer ainsi les capitaux.

Avant la crise, le gouvernement a opté pour un flottement du taux de change en élargissant régulièrement sa bande d’intervention. Et après le flottement du baht et de la ringgit, le cours de la rupiah s’est rapidement déplacé vers le niveau inférieur de la bande d’intervention de la BI. Le gouvernement a réagi en élargissant la bande, entraînant une nouvelle vague de spéculation. Ceci a poussé le gouvernement à abandonner la bande de fluctuation et à laisser enfin flotter sa monnaie. Contrairement à la Thaïlande, il n’y a pas eu beaucoup de perte des réserves depuis que le gouvernement a déclaré ne pas jouer au jeu du spéculateur. Bien que la pression sur les liquidités ait pu ralentir la dépréciation de la rupiah, elle n’a pas pu ramener la monnaie à son niveau. Par conséquent, le gouvernement indonésien a décidé un resserrement monétaire supplémentaire moyennant la réduction des dépenses publiques. Avec l’absence des réserves, les banques n’avaient pas d’autres choix que d’augmenter les taux d’intérêt dans l’espoir de maintenir un niveau de liquidité minimum.

La Thaïlande, quant à elle, a su préserver une politique monétaire stable et une faible inflation. Avec l’arrivée en masse des investisseurs étrangers, la banque centrale thaïlandaise (BOT) a essayé de stériliser leur impact sur l’offre de monnaie. Les taux d’intérêt internes ont augmenté en dépit de l’accroissement du volume de capitaux sur le marché et ce dans le but de souligner la substituabilité imparfaite des avoirs étrangers et domestiques. Il en a résulté un accroissement du niveau des investissements en portefeuille. Parallèlement, la BOT a assoupli les contrôles sur les mouvements de capitaux. Cependant, les mouvements de capitaux financiers en Thaïlande ont été sujets à des contrôles plus ou moins souples au début des années quatre-vingt-dix, qui sont devenus plus fréquents et considérables un peu avant 1999.

Pour les pays d'Asie du Sud-Est, l'avènement de la crise en 1997 a bouleversé les réactions des différents Etats, dans la mesure où leurs décisions à la fin des années quatre-vingt-dix, ont été prises pour défendre leurs économies respectives des perturbations causées par la crise, et non pas par rapport aux effets des entrées massives de capitaux. Toutefois, il est possible de considérer ces décisions comme réponse aux entrées massives de capitaux, si l'on considère que la crise est une conséquence directe des entrées massives de capitaux.

En dépit des effets positifs liés aux entrées de capitaux, de nouveaux problèmes de gestion macro économique sont apparus dans les marchés émergents. En effet, l'étude des répercussions des entrées de capitaux sur l’économie dans son ensemble, nous conduit à un dilemme entre le maintien de l’inflation et le maintien de la compétitivité.

Comme nous l'avons vu, il existe deux groupes de pays, ceux qui ont une forte inflation et ceux pour qui l’inflation ne pose pas de problème. Pour ces derniers, à savoir les pays d’Asie du Sud Est, le problème se situe plus au niveau du régime de change adopté, alors que les pays d’Amérique Latine veulent plutôt assurer une stabilité monétaire au sein de leurs pays. En maîtrisant leurs inflations, les pays d’Amérique Latine peuvent attirer davantage les capitaux étrangers. C'est pourquoi ces pays ont opté pour des plans de stabilisation qui peuvent être fondés sur la monnaie ou sur le taux de change.

Toutefois, ces plans de stabilisation peuvent échouer et ne pas réussir à baisser l'inflation et la maintenir à des niveaux faibles. Les pays concernés doivent donc s'orienter vers d'autres solutions au problème d’inflation lié dans ces cas aux entrées massives de capitaux. Dans ce contexte, plusieurs optent pour les contrôles de capitaux, la question est de savoir si oui ou non, le contrôle sur les capitaux est nécessaire, et peut le cas échéant être efficace.

Le chapitre suivant porte sur le choix de l'approche de contrôle sur les entrées de capitaux et l'efficacité de ces mesures dans les pays émergents en fonction des attentes et des objectifs de chaque groupe de pays.

Notes
50.

Les entrées de capitaux ont commencé à être importantes en 1988 pour la Thaïlande, en 1989 pour la Malaisie et les Philippines, en 1990 pour l’Indonésie et en 1990/91 pour la Corée.

51.

Takagi S. et T. Esaka (1999)

52.

Les données de cette balance des paiements tiennent compte des erreurs et omissions (FMI Statistiques financières internationales)