Suite de l'afflux de capitaux du début des années quatre-vingt-dix, la mise en place des contrôles sur les mouvements internationaux de capitaux est une solution souvent évoquée et proposée pour répondre aux dysfonctionnements avérés dans l'architecture monétaire internationale. L'expérience des pays émergents, notamment en Amérique Latine et en Asie du Sud-Est, montre que les effets des contrôles diffèrent en fonction des stratégies de politiques économiques adoptées au cours de leur mise en place. Avant de développer ces mesures de contrôle, il est important de comprendre, à travers les caractéristiques et objectifs économiques et monétaires des différents pays, les motivations qui poussent ces pays à choisir de contrôler les entrées de capitaux.
‘La motivation conduisant à l'adoption des contrôles de capitaux peut être analysée à travers le triangle d'incompatibilité (Mundell, 1972 , Padoa-Schioppa ,1987).’ ‘Le triangle d'incompatibilité montre qu'il est impossible de maintenir à la fois la fixité des changes, la mobilité des capitaux et l'autonomie de la politique économique. Ainsi la libéralisation des mouvements de capitaux n'est possible que s'il y a abandon de l'autonomie de la politique économique, ou abandon de la fixité des changes. Une analogie a été établie par Krugman (1998) selon laquelle le problème porte sur le choix d'un régime monétaire international qui pourrait réunir à la fois ajustement 53 , confiance 54 et liquidité 55 . En reliant l'ajustement et la liquidité on obtient un régime de change flottant. Avec l'ajustement et la confiance on a le régime de Bretton Woods, et enfin en reliant la liquidité et la confiance, on obtient soit un currency board (caisse d’émission) soit une union monétaire.’Opter pour la confiance suppose qu'un pays peut simplement décider de ne pas accepter de monnaie instable, dont la volatilité est commandée par le comportement des investisseurs. Ceci implique qu'il doit fixer son taux de change, ou au moins le gérer avec beaucoup de rigueur. Mais s'il essaie aussi de maintenir la liquidité, en autorisant la libre mobilité des capitaux, il devient alors sujet à des attaques spéculatives chaque fois que le marché suspecte le risque de dévaluation. Un choix doit donc être fait : soit le pays désapprouve tout ajustement futur du taux de change, en adoptant un currency board ou en évitant l'union monétaire, soit il restreint les mouvements de capitaux.
L'ajustement traduit la capacité du gouvernement à relancer l’économie pour faire face aux éventuelles récessions. Si ce genre de flexibilité est combiné à une libre mobilité des mouvements de capitaux, il expose l'économie aux éventuelles pressions spéculatives des capitaux à chaque fois que la politique monétaire risque de devenir plus expansionniste. Un gouvernement qui tient à maintenir sa capacité d'ajustement sera forcé soit d'adopter un taux de change flottant, soit de limiter la mobilité des capitaux.
La liquidité, fait référence aux situations où le pays est confronté à une libre mobilité des capitaux ou lorsque les restrictions sur les mouvements de capitaux ne peuvent être pratiquées. Le gouvernement se retrouve alors contraint soit à fixer le taux de change de manière rigide, soit à le faire flotter librement.
Le risque croissant d'inflation pour un grand nombre de petites économies fait accroître la difficulté de réunir les différents sommets du triangle d’incompatibilité. Ceci met les pays face à un choix difficile : dès qu'ils optent pour la confiance, c'est à dire un taux de change stable, ils sont contraints d'abandonner la politique de stabilisation ou d'essayer de restreindre les mouvements de capitaux. Tout laisse à croire que la solution réside dans le contrôle des mouvements de capitaux. En effet, mettre en place des contrôles de capitaux a été longtemps 56 perçu comme un moyen d’assurer une politique économique efficace et préserver son autonomie monétaire. Mais depuis le début des années quatre vingt, la donne a changé.
On a considéré que les contrôles de capitaux donnent naissance à des distorsions qui engendrent à leur tour une sous optimalité des politiques adoptée. A la fin des années quatre-vingt, alors que les conséquences de la crise d’endettement se font ressentir dans les pays émergents, ces derniers ont adopté des réformes structurelles afin de libérer l’Etat de tout engagement, et développer ainsi le secteur privé. En agissant de la sorte, ces pays se sont appuyés en particulier sur la libéralisation du compte de capital afin d’attirer des capitaux. Ils pensent apporter ainsi la solution à la crise d’endettement. Mais l’avènement des crises au cours de la décennie suivante a porté atteinte au bien fondé et à la crédibilité de cette stratégie. Ainsi, et en particulier depuis la crise asiatique, les débats sur les contrôles de capitaux se sont multipliés. En effet, les crises ont amené les économistes à accorder plus d’intérêt aux mesures de contrôle des capitaux.
Dans de telles circonstances, il peut paraître plus raisonnable de choisir de conserver le droit de contrôler au moins certains types de mouvement de capitaux, soit les entrées soit les sorties de capitaux. L’expérience des années quatre vingt dix a pu fournir des raisons qui suggèrent que l’efficacité des contrôles de capitaux n’est pas symétrique. Le contrôle des entrées de capitaux serait ainsi plus commode et aussi plus efficace que le contrôle des sorties 57 . Dans ce contexte, Montiel (1996) note que pour améliorer les effets des flux nets de capitaux supposés incompatibles avec l’équilibre interne et externe, les autorités peuvent adopter des politiques pour augmenter les sorties de capitaux et/ou stériliser les accroissements des réserves de change détenues, ce qui revient à contrôler davantage les entrées.
Dans ce chapitre nous allons étudier les mesures de contrôles des entrées 58 de capitaux utilisées par les deux groupes de pays et d'estimer leur efficacité, et ce en deux points :
L'ajustement est la capacité de poursuivre des politiques de la stabilisation macroéconomique.
La confiance est la capacité de protéger des taux de change de la spéculation déstabilisante, notamment des crises monétaires.
En matière de mobilité des capitaux à court terme, la liquidité sert à financer le commerce et autoriser temporairement des déséquilibres commerciaux.
Cette perception des choses concernant la finalité des contrôles de capitaux remonte aux accords de Bretton Woods en 1944.
Il a été constaté que les contrôles sur les sorties de capitaux sont généralement établis pendant les crises financières ou les crises de balance des paiements. Ces périodes de crise sont caractérisées entre autres par d’importantes dévaluations du taux de change, une augmentation de la volatilité des variables financières et, dans certains cas, une instabilité politique. Dans de telles circonstances, imposer des contrôles sur les sorties de capitaux peut être interprété comme étant un signal négatif sur l’état futur de l’économie. En revanche, les contrôles sur les entrées de capitaux sont appliqués dans de meilleures conditions économiques. Ainsi, et à partir de cette distinction, les contrôles sur les sorties de capitaux n’offrent pas les éléments nécessaires et favorables qui permettent de juger de l’efficacité des contrôles de capitaux en général. A contrario, les contrôles sur les entrées de capitaux semblent être plus à même de donner des résultats non biaisés quant à leur fiabilité.
L’élimination des contrôles sur les sorties de capitaux tient du fait de l’analyse du point de vue des implications macroéconomiques des entrées massives de capitaux (Chapitre 2 du présent travail ). En effet, après avoir évoqué les déterminants des entrées de capitaux à savoir les facteurs internes et externes des entrées de capitaux, la complexification de la politique monétaire face aux entrées de capitaux a été traitée, ce qui revient principalement à l’analyse des effets des entrées de capitaux sur la politique monétaire.