I-1-1- Limiter la volatilité du taux de change

Depuis la fin des années soixante dix, la volatilité des taux de change s’est fortement accrue. Les partisans des contrôles de capitaux attribuent ceci en grande partie à la forte croissance du volume des transactions et des flux financiers internationaux sur les marchés de change. Cette dernière fait intervenir un nouveau déterminant du taux de change qui suscite beaucoup d'intérêt, à savoir le comportement des agents source de mouvement spéculatif du taux de change. Dès lors, même si le taux de change ne constitue pas un objectif explicite de la politique monétaire, celle-ci peut néanmoins être contrariée par les mouvements de capitaux. En effet, à travers les variations des taux d'intérêt domestiques, élément indispensable pour orienter le comportement spéculatif des investisseurs, les taux de change réels et nominaux peuvent être amenés à fluctuer. En prenant en compte les effets de ces fluctuations des taux de change sur les prix relatifs, les autorités peuvent voir leur politique monétaire déstabilisée. Dans ce contexte, il est important que les autorités arrivent à maîtriser et à gérer les variations des taux de change afin de pallier toute tentative déstabilisatrice des spéculateurs.

Pendant les années quatre-vingt-dix, le mouvement spéculatif des investisseurs s’est accentué. Les marchés de change sont devenus de plus en plus liquides et réagissent rapidement aux chocs. Toutefois, étant donné certains facteurs tels que la rigidité des prix et des salaires et l’irréversibilité des investissements productifs, la vitesse d'ajustement de l’économie réelle aux mouvements de capitaux s'est amoindris. Tobin (1978) et Dornbusch (1976) montrent que ce différentiel de vitesse d’ajustement, en plus de l'existence d’une volatilité exogène excessive sur les marchés financiers, peut conduire à une forte volatilité du taux de change en termes nominal et réel (surévaluation, bulles…) source d’effets négatifs sur l’activité économique réelle.

Le graphique III.1, estime le degré de volatilité enregistré au cours des années quatre-vingt-dix. On détermine ainsi, en fonction de cette volatilité, les pays qui semblent avoir le plus besoin de contrôle sur les entrées de capitaux.

D’après ce graphique qui retrace la volatilité du taux de change 60 depuis le début des années quatre-vingt, on voit que les années quatre-vingt-dix ont connu une volatilité plus prononcée du taux de change. Pour certains pays, cela peut s'expliquer par les fortes entrées de capitaux qui ont caractérisé cette décennie et les périodes de crises qui ont suivi. En effet, avec les entrées massives de capitaux, les taux de change se sont appréciés, mais l'avènement des crises et les perturbations d'ordre économique qui les ont accompagnés, ont fragilisé la stabilité monétaire et les taux de change ont été lourdement touchés. Par exemple, en Thaïlande, les fluctuations du taux de change enregistrées à la fin des années quatre-vingt dix peuvent être expliquées par la crise de 1997 où la volatilité du taux de change était considérée comme un signal de cette crise. A l'exception de l'Argentine, depuis 1997 (1995 pour le Mexique) et jusqu'à fin 2002, la volatilité du taux de change s'est accentuée dans les pays d'Amérique Latine. Le même scénario s'est produit pour les pays d'Asie du Sud Est sauf pour les Philippines où la volatilité a été ressentie tout au long des deux décennies avec plus d'intensité au début des années quatre-vingt et en 1999.

Graphique III.1 : Volatilité du taux de change

Source : Calcul de l’auteur à partir des données mensuelles de la base de données du FMI (2003)

Le Chili a enregistré une volatilité plus accrue, et bien plus soutenue à partir de la fin des années quatre-vingt-dix. Dans le tableau III.1 61 , une comparaison entre le Chili, la Malaisie et les Philippines en matière d'évolution du taux de change effectif est établie. Il en découle que le taux de change réel effectif a connu au Chili une importante appréciation en 1997 suivi par une série de dépréciation jusqu'en 2001 (excepté en 2000 où il a légèrement augmenté) 62 . La volatilité du taux de change aux Philippines est confirmée par les différentes appréciations et dépréciations du taux de change réel effectif tout au long des années quatre-vingt-dix et même en 2000 et 2001.

Tableau III.1 : Taux de change effectif réel et nominal
Le Chili La Malaisie Les Philippines
Taux de change effectif réel Taux de change effectif nominal Taux de change effectif réel Taux de change effectif nominal Taux de change effectif réel Taux de change effectif nominal
1989 86,31 51,57 103,57 91,51 93,75 103,38
1990 82,32 62,61 98,52 90,70 84,09 94,52
1991 84,54 63,62 95,88 89,93 83,82 85,45
1992 89,48 70,43 102,51 97,12 93,20 93,93
1993 91,60 79,91 103,61 100,79 92,91 94,52
1994 94,31 94,71 99,68 100,04 97,38 101,14
1995 100,00 100,00 100,00 100,00 100,00 100,00
1996 103,40 99,76 104,44 103,13 109,32 102,06
1997 113,05 105,46 103,31 100,28 108,77 98,43
1998 111,11 100,45 82,09 77,12 88,71 74,79
1999 105,37 93,67 84,48 77,97 96,38 76,74
2000 106,03 93,10 86,60 80,04 89,83 69,80
2001 96,62 83,97 91,38 84,66 85,44 63,57

Source : Base de données du FMI, février (2003)

Sous un régime de taux de change fixe, les flux de capitaux à court terme, non soumis à des mesures de restrictions, peuvent être à l’origine d’importantes variations des réserves de change, de l’effondrement du régime de change ou d’une volatilité accrue du taux d’intérêt. Dès lors, des contrôles de capitaux efficaces peuvent, au moins à court terme, contrecarrer ces effets indésirables. Toutefois, ceci ne peut pas empêcher dans sa totalité l’avènement des crises puisque les fondamentaux, notamment les réserves de change, peuvent être atteints.

Une première solution a été proposée par Tobin. Elle consiste à imposer une taxe uniforme sur toutes les transactions de change décourageant ainsi les flux de capitaux de très courte durée considérés comme étant les plus spéculatifs. Dornbusch (1986) 63 de son côté, suggère que l’adoption de certaines mesures, tels que les systèmes de taux de change dual, sont capables de protéger l’économie réelle, au moins partiellement, et des comportements capricieux à court terme du marché de change. Une reprise de l’idée de Tobin a été proposée par Tornell (1990) selon laquelle la taxe Tobin peut aider à une ré-allocation des capitaux envers les investissements réels au détriment des investissements financiers. En effet, en diminuant la volatilité des rendements financiers, les opportunités de dégager des profits d’une spéculation sur le taux de change sont fortement corroborées.

Gros (1992) montre que les contrôles de capitaux peuvent limiter la spéculation lorsqu'ils agissent sur les taux d'intérêt domestiques. Dans ce cas, l'engagement du gouvernement à maintenir la parité stable peut être facilement contrôlé par le secteur privé et ce sous le contrôle de la politique du taux d'intérêt. Cette politique présente néanmoins un inconvénient qui consiste à annoncer aux agents une cible bien définie dont la crédibilité peut être testée par ces derniers moyennant des coûts de spéculation.

Notes
60.

La volatilité du taux de change a été calculé par le taux de croissance du taux de change de la monnaie nationale par rapport au dollar américain donné par le FMI

61.

Dans ce tableau, lorsque le taux de change augmente, il s'apprécie et lorsqu'il diminue, il se déprécie.

62.

Pour le cas du Chili, entre 1995 et 1996, les taux de change réel et nominal n'ont pas évolué dans le même sens

63.

cité dans Kaminsky et Leiderman (1996)