I-1-2- La recherche de l'autonomie de la politique monétaire

Pour le Chili, la recherche d’une plus grande autonomie de la politique monétaire peut en effet justifier le contrôle sur les entrées de capitaux 64 . Cela devient possible en agissant sur le taux d’intérêt domestique, soit en l’augmentant sans subir de trop fortes entrées, soit en le diminuant sans subir de fuites massives.

Graphique III.2 : Taux d'intérêt trimestriel (échelle logarithmique
Graphique III.2 : Taux d'intérêt trimestriel (échelle logarithmique

Bensaïd et Jeanne (1996) recentrent le débat sur l'opposition de deux thèses contradictoires : selon la première en retirant les contrôles de capitaux, les régimes de change fixes s'effondrent ; selon la seconde, les systèmes de change fixes sont naturellement stables et le passage par une crise s'explique par un non-respect de la discipline. Cette attitude est encouragée a priori par les contrôles de capitaux. D'où l'effet déstabilisateur des mesures de contrôle.

Bensaïd et Jeanne avancent que par l'augmentation des taux d'intérêt, les autorités monétaires tentent de résister à la spéculation. Cette stratégie a été adoptée à plusieurs reprises en Argentine en 1989 par une augmentation de 264785 %, en 1990 de 598 % et en 2001 d'environ 206 %. Le graphique III.2 65 montre en effet la hausse des taux d’intérêt aussi bien au Mexique qu’en Argentine pendant les années quatre-vingt-dix. Au Mexique l'augmentation la plus marquante était de l'ordre de 270 % en 1995. Concernant les pays d’Asie du Sud Est, d’importantes hausses du taux d’intérêt ont été enregistrées à la fin de cette décennie, mais cela a été en grande partie lié à la crise asiatique. En Indonésie, au cours de cette crise le taux d'intérêt a été augmenté de 99 % en 1997 et de 125 % l'année d'après.

Cette stratégie réussit certes à conserver la parité de la monnaie tant qu'elle est maintenue, mais se montre difficile à garantir à long terme. En effet, les spéculateurs connaissent les coûts élevés que génère la hausse des taux d'intérêt pour le gouvernement et sont conscients que cette hausse ne peut par conséquent pas être indéfiniment soutenue. Dès lors, et contrairement aux résultats escomptés, les efforts fournis par les autorités dans le but de défendre la monnaie peuvent contribuer à renforcer la spéculation. Cela fragilise le système de change fixe dans la mesure où les spéculateurs savent qu'ils peuvent à tout moment provoquer une crise. C'est dans la perspective d'éviter ces crises de change que les contrôles de capitaux ont été introduits. En effet, indépendamment de la forme qu'elles prennent, les mesures de contrôle de capitaux ont pour effet essentiel de découpler le taux d'intérêt domestique et les anticipations de dévaluation du marché des changes. La crédibilité de la monnaie domestique est ainsi renforcée et la défendre devient par conséquent moins coûteux pour le gouvernement.

Dans cet esprit, les contrôles de capitaux peuvent briser la logique du cercle vicieux selon laquelle les efforts du gouvernement pour défendre la monnaie contribuent à renforcer la spéculation. La vulnérabilité du système de change fixe face à la spéculation autoréalisatrice est ainsi réduite. C'est ainsi que les contrôles de capitaux deviennent stabilisateurs, dans la mesure où ils permettent aux autorités monétaires d'isoler le taux d'intérêt domestique des anticipations de dévaluation du marché des changes. Les contrôles de capitaux vont permettre au pays de poursuivre une politique monétaire indépendante pour une période donnée. Les motivations d'un gouvernement à imposer des contrôles de capitaux dépendent du degré de contrôle que celui-ci exerce sur sa politique monétaire, qui est d’ailleurs inversement liée à l’indépendance de la banque centrale. Les contrôles de capitaux facilitent la taxation des capitaux dés qu'ils parviennent à en diminuer la mobilité.

Dans le cas où la banque centrale est indépendante et qu’elle impose donc sa politique monétaire au gouvernement, les motivations d’accroître le revenu du seigneuriage en augmentant la demande de monnaie diminuent. Ceci peut s’expliquer par le fait que la politique monétaire est décidée de façon autonome. Epstein et Schor (1992) 66 montrent alors que l’indépendance de la banque centrale reflète la force des intérêts du secteur financier qui s’oppose à la limitation de la mobilité des capitaux. En outre, l’indépendance de la banque centrale peut réduire les problèmes de crédibilité qui rendent l’imposition des contrôles plus vraisemblable. Pour les banques centrales, la mise en application des contrôles peut leur permettre d'augmenter légèrement le taux d'intérêt et d'accroître d'autant leur capacité à résister face aux spéculateurs. Cette augmentation du taux d'intérêt domestique implique une augmentation du différentiel du taux d'intérêt et donc un accroissement du différentiel couvert en faveur de la monnaie nationale qui se manifeste à travers l'appréciation de cette dernière. La parité du taux d'intérêt n'est pas altérée et a même un effet stabilisateur par rapport aux contrôles de capitaux.

Ainsi, en assurant sa crédibilité avec l'adoption des contrôles de capitaux, la banque centrale pourra donc jouir de l'autonomie de sa politique monétaire et la mener dans les meilleures conditions.

Notes
64.

La recherche d’une plus grande autonomie de la politique monétaire peut aussi justifier un contrôle sur les sorties de capitaux comme le montre le cas de la Malaisie.

65.

Dans le graphique III.2, l’axe des ordonnées de droite correspond au Mexique, et celui de gauche à l’Argentine.

66.

Cités dans Grilli V. et Milesi-Ferretti G.M. (1995)