I-2-1- Les opérations de stérilisation

Dans la majorité des pays émergents le mouvement important des capitaux coïncide avec la libéralisation financière. Comme on l'a déjà souligné, la libéralisation financière stimule les entrées massives de capitaux. En effet, pour certains pays où le compte de capital est à peine libéralisé, telle que la Thaïlande, les faibles taxes stimulent d’importants mouvements d’investissements par les non-résidents. Pour d'autres pays, tels que le Chili et la Thaïlande ultérieurement, les taux d’intérêt élevés ont conduit à un large différentiel en faveur des marchés domestiques, stimulant ainsi un important mouvement des entrées de capitaux. Cette hausse des entrées de capitaux est en général génératrice d'une augmentation des réserves de change et par conséquent une augmentation de la masse monétaire. Pour rétablir l'équilibre sur le marché de change, la banque centrale peut intervenir à travers la vente ou l'achat des actifs étrangers contre des actifs nationaux. Ces opérations d'intervention sont de deux types :

  • Les opérations non-stérilisées, dans lesquelles la banque centrale échange de la monnaie nationale contre des entrées de devises, impliquent une variation de la base monétaire nationale. Ces opérations peuvent être confondues avec les opérations conventionnelles d’open-market, à la différence que ce sont les actifs étrangers qui sont achetés ou vendus et non les actifs nationaux. Ces opérations dites aussi indirectes, sont fréquemment utilisées ;
  • Les opérations stérilisées, qui impliquent une transaction de compensation en actifs nationaux dont le but est de stériliser l'effet dépressif du marché des changes sur la masse monétaire. Son principe consiste à l'achat continu par la banque centrale de monnaie nationale contre des devises afin de soutenir ainsi le cours de la monnaie. Par exemple, un achat officiel non-stérilisé des devises étrangères sur le marché des changes entraîne une augmentation des avoirs extérieurs nets détenus par la banque centrale et une expansion de la base monétaire nationale. Cette opération peut être stérilisée par une vente de compensation des titres nationaux. Ceci permettra la réduction des avoirs intérieurs nets de la banque centrale, et la base monétaire retournera ainsi à son niveau initial.

Face aux entrées massives de capitaux des années quatre-vingt-dix, la stérilisation a été le premier instrument utilisé par les pays concernés pour se prémunir contre les méfaits de tels afflux. Dans une opération de stérilisation efficace, la composante domestique de la base monétaire (réserve de banque plus monnaie) est réduite pour compenser, au moins temporairement, l'afflux de réserve. En théorie, cela peut être accompli par plusieurs moyens, tels que l’encouragement des investissements privés, ou l’accès des étrangers à l'emprunt sur le marché local.

La stérilisation compte plusieurs avantages. En effet, les opérations de stérilisation sont relativement rapides. Leur application ne nécessite pas beaucoup de temps. Par ailleurs, en offrant aux autorités un temps de recul, ces opérations leur permettent de juger si les entrées de capitaux sont de nature temporaire ou permanente et agir en conséquence. Elles peuvent aussi, à travers l'observation de l'accumulation des réserves, aider à protéger le système bancaire national des renversements brusques des flux de capitaux.

Toutefois, les opérations de stérilisation n'ont pas que des avantages. Elles peuvent être difficiles à effectuer dans la mesure où dans certains pays où les marchés de changes sont illiquides, la banque centrale n'arrive pas facilement à effectuer des opérations de stérilisation. Elles peuvent également générer d'importants coûts. En effet, si les titres émis par la banque centrale pour stérilisation sont d'imparfaits substituts aux titres nationaux, les opérations de stérilisation peuvent entraîner une augmentation des taux d'intérêt nationaux par rapport au taux international. Dès lors la banque centrale doit offrir une rémunération sur les titres de stérilisation plus importante que celle qu'elle perçoit sur les avoirs extérieurs qu’elle accumule. la stérilisation devient alors coûteuse. L'effet inverse se produit puisqu'elle prolonge les entrées de capitaux attirées par des anticipations de gains à court-terme. D'autre part, la structure de maturité de la dette publique contraint l’application des politiques de stérilisation, dans la mesure où plus la maturité des dettes émises par la banque centrale pour conduire les opérations de stérilisation est courte, plus il est facile pour les investisseurs d’échanger la dette contre des devises. Ceci crée des difficultés à la banque centrale, et peut, dans le cas d’un renversement brusque des flux de capitaux, aider à une faillite du système bancaire.

Par rapport à ces limites, la banque centrale peut intervenir d’une autre manière pour contrôler les entrées de capitaux, notamment en augmentant le taux des réserves obligatoires. Cette mesure permet l'augmentation du coût de l'intermédiation financière puisque le taux auquel sont rémunérées les réserves obligatoires est plus faible que le taux d'intérêt du marché. Pour préserver les marges, les banques transfèrent ce différentiel aux emprunteurs. L’inconvénient de cette opération réside dans le fait que les bénéficiaires de ce transfert sont soit les banques ou les marchés étrangers, soit les institutions financières et non bancaires qui échappent au contrôle des autorités monétaires. Or, augmenter les réserves obligatoires pour stériliser les flux de capitaux revient à des opérations d’open market. En effet, lorsque l'intérêt payé sur les réserves obligatoires avoisine le taux du marché monétaire, le coût approche de très près celui des ventes d’open market. Néanmoins, mettre en application ce genre de mesures s’avère être dangereux compte tenu de la présence de nombreux problèmes bancaires.

En Corée du Sud, les ventes via l’open market sont accompagnées par des hausses du niveau des réserves obligatoires ou par l’accès serré au refinancement auprès de la banque centrale mais ces mesures ont des effets limités. En effet, lorsque la mobilité des capitaux est importante les opérations de stérilisation peuvent se montrer peu efficaces dans la mesure où elles peuvent être rapidement entravées par le renouvellement constant des entrées de capitaux. C’est pourquoi à long terme, il n’est pas possible que ces politiques se montrent efficaces lorsque les entrées de capitaux persistent, d’autant plus que l'efficacité de ces politiques se trouve limitée par l'objectif de change. Par exemple, en Corée, les bons de stabilisation monétaire ont été en 1992 environ de l'ordre de 20 % de M2, contre 10 % en 1986. Compte tenu des coûts du crédit élevés dans ce pays, ces bons de stabilisation, dont le taux d'intérêt est supérieur à celui du marché mondial, ont fini par attirer des capitaux étrangers au lieu de servir à stériliser les capitaux déjà présents. Ainsi, les autorités vont faire appel à des mesures supplémentaires de contrôle dont le resserrement d'accès aux banques, l’ajustement des réserves obligatoires ou le placement de dépôts du gouvernement.

La Malaisie et la Thaïlande ont eu recours à un autre moyen pour absorber les réserves en déviant les dépôts du secteur public dans les banques commerciales au profit de la banque centrale. Pour ces deux pays, l'usage de cette méthode a été très efficace pour stériliser les flux de capitaux. En Malaisie, une partie des dépôts des banques et des fonds de pension a été transférée dans un compte spécial de la Banque centrale. Mais l'augmentation du passif de cette banque entre 1989 et 1992 avait également un caractère inflationniste. Dès lors, la Malaisie a opté pour qu'une partie de ses réserves soit affectée au remboursement anticipé de la dette extérieure. La Corée et la Thaïlande ont fait de même, alors que l'Indonésie a plutôt opté pour une consolidation fiscale, où une partie des dépôts des fonds de pension est transformée en certificats de dépôt de la banque centrale.

L'expérience récente montre qu’un grand nombre de pays en voie de développement manquent d'instruments convenables pour stériliser les flux de capitaux. Avec la libéralisation de leurs marchés, ces pays découvrent souvent que les outils traditionnels de la stérilisation ne sont plus efficaces à long terme. En effet, même si ces opérations sont largement utilisées, elles posent néanmoins quelques problèmes. C’est pourquoi, une grande partie des pays ont progressivement arrêté l’utilisation des ventes open market . Ils ont commencé en revanche à modifier leurs politiques économiques. La Thaïlande a essayé par exemple des ajustements budgétaires, le Chili de son côté, a réduit les restrictions sur les sorties de capitaux et a introduit une flexibilité plus élevée du taux de change. La Corée a accéléré la libéralisation commerciale. L’Indonésie a tenté une nouvelle technique de stérilisation moyennant l'utilisation des swaps étrangers. Une majorité de ces pays a aussi essayé de combiner les politiques monétaires traditionnelles avec des contrôles de capitaux indirects. Les réserves obligatoires sur certaines catégories d’emprunts en devises (au Chili) ont été une des formes les plus répandues de ces contrôles.

D’après l’expérience du Chili, de l’Indonésie, de la Corée du Sud et de la Thaïlande en matière d’entrées de capitaux, il apparaît que les opérations de stérilisation classiques éliminent certes les conséquences monétaires des entrées de capitaux par élargissement de la bande mais leur efficacité reste limitée. Les opérations de stérilisation se montrent efficaces lorsqu'elles sont accompagnées par des mesures supplémentaires tels que les contrôles de capitaux indirects.