II-1- L'impact sur le volume des flux de capitaux

Le tableau III.4, montre que les contrôles de capitaux affectent le compte de capital et les capitaux à court terme. En effet la réduction des entrées de capitaux se traduit généralement par une réduction du volume et de la maturité de ces capitaux.

Folkerts-Landau et Ito (1995) considèrent que les contrôles de capitaux affectent la composition des entrées de capitaux dans le sens attendu. Ainsi, l'effet immédiat du contrôle est de réduire le volume des entrées, mais cet effet s’estompe avec le temps. Au Chili, on observe que tout de suite après la mise en place des contrôles de capitaux (en 1982, 1985 et 1992) et pendant quelques mois, voire même une année, le volume des flux de capitaux a diminué, mais cela s'est rapidement dissipé.

De manière similaire, l’année 1995 a été marquée au Brésil par une chute du volume des flux de capitaux, mais cet effet n’a duré qu’une année. La même observation s'impose pour la Malaisie et le Mexique où la baisse des entrées de capitaux ne s’est pas maintenue plus de trois ans. Soto (1997), Laurens et Cardoso (1998) trouvent qu’à moyen et long terme il n’y a pas d’effets systématiques ou statistiquement significatifs sur le total des entrées de capitaux. Toutefois, d'autres études, notamment Cardoso et Glodfjan (1997) ont permis de montrer que les contrôles peuvent affecter la composition des entrées de capitaux (essentiellement les IP et les IDE). Le graphique III.3 montre l'évolution de la composition des entrées de capitaux depuis 1980, en la comparant à l'évolution des entrées nettes de capitaux.

Il ressort de ce graphique qu'au Mexique, à partir de 1994, la part des investissements directs étrangers dans le PIB a nettement augmenté, alors que le volume des investissements de portefeuille est resté stable et n'a augmenté qu'à la fin de 1998 au détriment des autres investissements. Il est à noter cependant que les IP représentent une nouvelle forme des entrées de capitaux dans ces pays.

Graphique III.3 : Entrées nettes des IDE et composition des capitaux
Graphique III.3 : Entrées nettes des IDE et composition des capitaux

Source : Données statistiques de la banque mondiale (2001)

Jusqu'à la fin des années quatre-vingt, les autres investissements constituaient la forme dominante des entrées de capitaux. Par la suite, à partir de 1991, en Argentine, comme au Mexique et à moindre degré au Brésil, les IP sont devenus de loin la forme d'investissement la plus dominante. Quant aux IDE, leur importance varie d'un pays à l'autre, mais dans tous les pays, ils ont eu tendance à augmenter ces dernières années.

Cette augmentation des IDE par rapport aux autres types d'entrées de capitaux reflète généralement un engagement de long terme dans le comportement des investisseurs dans le pays hôte. La hausse des IDE peut aussi être expliquée par la baisse des taux d'intérêt internationaux par rapport aux taux d'intérêt domestiques (graphique III.5).

Dans cet esprit, d’après l’expérience brésilienne, la majorité des mesures appliquées pendant les années quatre vingt-dix n’avaient pas réduit les flux de capitaux, mais en ont changé la composition. Les contrôles de capitaux ont en effet favorisé davantage les entrées de capitaux sous forme d’investissements directs étrangers compte tenue de la stabilité dont ils ont fait preuve, en comparaison aux investissements de portefeuille jugés plus volatils. Il est possible de voir aussi que par exemple au Chili, malgré une légère baisse du total des flux de capitaux en 1989, les flux nets d’investissements directs étrangers ont largement augmenté. Parallèlement, le niveau des investissements de portefeuille a baissé. Ceci pourrait être attribué au changement de la composition des flux de capitaux à la suite de la mise en place des contrôles.

D'après le graphique III.3, à l'exception de l'Argentine et de la Thaïlande où les avoirs en investissements directs étrangers sont inférieurs aux avoirs en investissements de portefeuille, pour les autres pays, les IDE ont de loin dépassé, ces dernières années, les IP qui n'ont cessé de chuter. Cela implique que la composition des investissements a tendance à changer ces dernières années en faveur des investissements directs étrangers, et que les investissements de portefeuilles sont plus volatils.

Valdes-Prieto et Soto (1996) montrent les effets du contrôle sur la maturité des entrées de capitaux en considérant le cas du Chili. Ils calculent une taxe implicite équivalente aux URR, et étudient son effet sur plusieurs variables, dont le taux de change réel. Le taux d'imposition de cette taxe n'est pas forfaitaire, mais dépend de la maturité du prêt. Pour un prêt de 180 jours, la taxe implicite annuelle varie entre 1,29 et 4,53 %. En revanche sur des fonds à long terme. Elle est proportionnelle à la maturité des prêts. Plus les prêts sont de longue maturité, plus les intérêts payés sont faibles. Ainsi les restrictions découragent les entrées de capitaux à court terme, mais n'affectent pas le volume total des entrées de capitaux. Le tableau III.5 recense le montant total des prêts et donne en pourcentage la part des prêts à court et à long terme entre 1988 et 1996.

Tableau III.5 : La maturité des entrées de capitaux bruts au Chili
Année Prêts à court terme (%) Prêts à long terme (%) Total des prêts
(en millions de dollars)
1988 96,3 3,7 951,402
1989 95,0 5,0 1529,717
1990 90,3 9,7 1864,568
1991 72,7 27,3 717,313
1992 28,9 71,1 779,269
1993 23,6 76,4 674,609
1994 16,5 83,5 981,274
1995 6,2 93,8 1121,504
1996 3,2 96,8 2109,710

Source : Edwards (1998)

Le tableau III.5 montre qu'à partir de 1992 les tendances se sont inversées. En effet, la part des prêts à long terme dans le total des prêts est passée de 27,3 % en 1991 à 71,1 % en 1992, et celle des prêts à court terme respectivement de 72,7 % à 28,9 %. Depuis, la part des prêts à long terme continue à augmenter et dépasse celle des prêts à court terme. Cette dernière a atteint en 1996, 3,2 % du total des prêts. Ces données montrent aussi qu'à l'exception d'un déclin en 1993, le volume total des entrées de capitaux continue à augmenter.

Dans le tableau III.6 qui regroupe pour les autres pays le montant de la dette totale en millions de dollars américains et la part des prêts à court terme, les résultats sont loin d’être satisfaisants comme pour le cas du Chili.

Tableau III.6 : Maturité de la dette
1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999
Argentine (en milliard de dollars)
Dette totale 68,35 64,72 75,14 98,80 111,42 128,41 141,55 147,88
Dette à CT (1) 23,5 13,3 9,5 21,5 21 24,9 21,8 21,3
Brésil (en milliard de dollars)
Dette totale 128,74 143,84 151,21 159.07 181.10 198.55 244.83 244.67
Dette à CT 18,7 21,3 20,8 19,2 19.6 17.4 12.3 12.1
Chili (en millions de dollars)
Dette totale 19133,7 20636,9 24728,4 25562.2 27403.9 31443.1 36321.0 37762.1
Dette à CT 16,8 20,0 26,0 27.2 25.5 31.5 21.3 14.5
Indonésie (en milliard de dollars)
Dette totale 88,00 89,17 107,82 124.40 128.94 136.17 150.88 150.10
Dette à CT 20,5 20,2 18,1 20.9 25.0 24.1 13.3 13.3
Corée (en millions de dollars)
Dette totale 51,40 53,70 58,20 56.80 64.50 114.00 128.10 136.00
Dette à CT 7,8 7,4 5,2 4.7 2.9 1.8 1.1 1.5
Malaisie (en millions de dollars)
Dette totale 20017,9 26148,5 30335,9 34342.6 39673.3 47228.2 44769.2 45939.4
Dette à CT 18,2 26,6 20,4 21.2 27.9 31.6 19.3 16.4
Mexique (en milliard de dollars)
Dette totale 112,31 131,73 140,19 166.87 157.50 148.70 159.78 166.96
Dette à CT 21,8 27,5 28,1 22.3 18.9 18.7 16.5 14.4
Philippines (millions de dollars)
Dette totale 33005,0 35936,1 39411,6 37829.2 40145.0 45681.8 4793.1 52021.5
Dette à CT 15,9 14,0 14,5 14.0 19.9 25.8 15.0 11.0
Thaïlande (milliard de dollars)
Dette totale 41,86 52,72 65,60 100.09 107.78 109.73 104.94 96.34
Dette à CT 35,2 42,9 44,5 44.1 39.5 34.5 28.3 24.3
La dette à court terme ( Dette à CT) est calculée en pourcentage par rapport à la dette totale
La partie en couleur correspond à la période avec les contrôles de capitaux

Source : A partir de World debt table, World development indicators (2001), Banque Mondiale (2000) et (2001)

D’après ce tableau, on remarque en effet, qu’avec les restrictions sur les entrées de capitaux, la part des prêts à court terme ne diminue pas automatiquement. Aux Philippines par exemple, elle a augmenté et n’a commencé à diminuer que quatre ans plus tard. Pour les autres pays, la baisse observée est très faible, mais cette baisse s’est accélérée dans tous les pays en 1998, cela peut être attribué aux conséquences de la crise asiatique de 1997. Quand au volume total de la dette, aucune diminution particulière n’a été observée, bien au contraire, il augmente d’année en année jusqu’en 1997.

Il est assez difficile d'évaluer empiriquement l'efficacité de ces contrôles. Les agents économiques peuvent en effet être très créatifs en matière de moyens nécessaires pour activer les flux internationaux de capitaux et contourner ainsi les contrôles. Dans les pays qui ont instauré des obstacles sur la mobilité des capitaux, le secteur privé a traditionnellement eu recours à une sur-facturation des importations et une sous-facturation des exportations afin d’éluder les contrôles légaux sur les flux de capitaux. Ainsi, les flux réels de capitaux dépassent de loin les mouvements de capitaux légalement prévus. Par conséquent, et d’après plusieurs études 74 , dans les pays où les capitaux ont fait l’objet de contrôle, l’approche traditionnelle fondée sur les obstacles légaux peut générer des résultats trompeurs. D'après le graphique III.4 qui retrace l'évolution du compte erreurs et omissions nettes, on remarque que l'évolution de ce compte diffère entre les pays d'Amérique Latine et les pays d'Asie du Sud Est. En effet, en Corée à partir de la fin de 1996 et jusqu'en 1998, une importante baisse du niveau de ce compte a été constatée, mais à partir de 1998 ce compte a rapidement gonflé. Aux Philippines, en revanche après une importante hausse en 1997, mais qui n'a pas pu atteindre le niveau prévalant jusqu'en 1996, le compte erreurs et omissions nettes a enregistré une baisse pendant les deux années qui ont suivi.

En Thaïlande, le mouvement oscillatoire marquant a débuté en 1996 et pendant les deux années qui ont suivi, il y a eu plusieurs mouvements extrêmes. Contrairement à la baisse enregistrée en 1996 et 1998, le compte erreur et omissions nettes a gonflé en 1997 et en 2000. Il est à rappeler qu'en 1997 la Thaïlande a connu une crise monétaire qui a accéléré la fuite des capitaux et ceci peut éventuellement expliquer cette augmentation. En Indonésie, c'est le schéma inverse à celui de la Thaïlande qui s'est produit. En effet, entre 1997 et 2000 l'Indonésie a connu une hausse du compte erreurs et omissions nettes. Parallèlement, le compte erreurs et omissions nettes japonais a connu en 1996, 1998 et 2000 une augmentation pouvant ainsi expliquer la fuite des capitaux du Japon vers les marchés émergents et en l'occurrence vers les pays d'Asie du Sud Est. Alors qu'aux Etats Unis, à partir de 1998 et jusqu'en 2001 ce compte n'a cessé de baisser.

Le poste "erreurs et omissions" tend généralement à augmenter après l'introduction d'un contrôle. C'est ce qui a été observé au Chili en 1992 et au Brésil à la fin de 1994. Toutefois, ces hausses n'ont pas été maintenues tout au cours des années qui ont suivi. En effet, ce n'est qu'à partir de 1998 que ce poste a commencé à gonfler de manière importante pour l'Argentine, le Chili et le Brésil après de fréquentes variations tout au long de la décennie. Cette hausse n'a duré que deux années puisqu’à partir de 2000, les tendances se sont inversées. Au Mexique, en revanche c'est uniquement en 1996 et 1999 que le compte erreurs et omissions nettes a gonflé mais a commencé à baisser pendant 1997 et 1998.

Graphique III.4 : Compte erreurs et omissions nettes (milliards $EU)
Graphique III.4 : Compte erreurs et omissions nettes (milliards $EU)

Source : Base de sonnées du FMI (2003

Notes
74.

Edwards et Khan (1985)