II-3- L'impact sur les taux d'intérêt

Un des objectifs des contrôles de capitaux est de pouvoir maintenir le taux d`intérêt domestique au-dessus du taux étranger, sans pour autant causer une appréciation du taux de change réel. Un taux d'intérêt domestique élevé est souvent justifié par le niveau de l'inflation dans les économies émergentes. Comme pour les pays d'Amérique Latine l'objectif est de réduire l'inflation. Or, maintenir élevé le différentiel du taux d'intérêt entre le taux domestique et étranger permet d'atteindre l'objectif de stabilité escompté.

Edwards (1998 b) étudie la manière dont les contrôles de capitaux ont affecté les différentiels du taux d'intérêt pour les pays d'Amérique Latine, et par la même la capacité d'améliorer l'indépendance de la politique monétaire pour le cas du Chili en particulier. En effet, en l'absence de restrictions sur la mobilité des capitaux, et en l'absence de risque pays, la condition de parité des taux d'intérêt non couverte est maintenue. Les déviations seront ainsi très faibles. Il y a donc absence d'indépendance de la politique monétaire.

Edwards exprime l'écart d'intérêt δt de la manière suivante :

Si > (k+R), alors il est nécessaire d'ajuster par des mouvements de fonds soit à l'intérieur ou à l'extérieur du pays. Ce processus se poursuit jusqu'à ce que l'équilibre du différentiel du taux d'intérêt soit rétabli. La vitesse à laquelle ce processus d'ajustement prend place dépend en principe du degré de développement du marché de capitaux dans le pays en question. Les pays ayant des restrictions rigoureuses et strictes ont généralement des corrections des déviations assez lentes.

En outre, l'équation précédente suggère que le degré de restriction sur les capitaux (k) peut affecter la valeur à laquelle le différentiel du taux d'intérêt va converger. Dans les pays d'Amérique Latine la valeur de k a tendance à changer pendant les dernières années. Il est à remarquer que la présence de ces restrictions exerce deux effets sur le comportement de :

un effet sur le niveau de auquel se produira la convergence,

Si le contrôle des capitaux est efficace, le niveau de convergence des taux d'intérêt doit être élevé et la vitesse d'ajustement lente.

L'estimation du comportement de δt porte sur deux périodes : (1986-1991) et (1991-1996). Elles correspondent respectivement à avant et après la mise en place des contrôles. En utilisant un modèle VAR sans restrictions, il apparaît que l'écart d'intérêt ne perdure pas dans le temps, et ce pour les deux périodes.

Le processus d'ajustement semble cependant être plus rapide en période sans contrôle, même si l'effort est limité à 2 trimestres contre 4. Ce résultat est en quelque sorte ce qui lui a été prévu par les autorités chiliennes et le gain en autonomie semble être très mince compte tenu des délais de la politique monétaire.

Au Chili, les dépôts obligatoires non rémunérés sur les entrées de capitaux ont favorisé à court terme une recomposition des entrées de capitaux en faveur des investissements productifs. Le différentiel du taux d'intérêt entre le Chili et les Etats Unis d'Amérique est passé de 2,9 % entre 1987 et 1994 à 4,3 % entre 1991 et 1998 (voir graphique III.5). La contribution de ces mesures dans ce résultat reste quelque peu ambiguë compte tenu de la mise en place simultanée des politiques de stérilisation des entrées de capitaux.

Soto (1997) a trouvé que la modification de la taxe implicite sur les entrées de capitaux a un effet légèrement positif à court terme sur les taux indexés. Edwards (1999) montre qu'une augmentation de la taxe sur les entrées de capitaux a un effet positif sur ces taux d'intérêt indexés. De Gregorio et al (1998) n'arrivent cependant pas au même résultat puisque leurs calculs suggèrent un effet considérable de la taxe sur le taux d'intérêt. En effet, ils concluent que si les réserves non rémunérées augmentent de 30 %, alors les taux d'intérêt à court terme vont augmenter d'environ 140 points.

Au Chili, après les contrôles, le différentiel du taux d'intérêt tend à disparaître plus lentement qu'en période de mobilité des capitaux (graphiques III.5). Vers la fin de décembre 1994, l'Argentine, le Mexique et le Chili ont enregistré une importante hausse des taux d'intérêt. Celle-ci correspond à la crise monétaire du Mexique et l'effet Tequila qu’elle a généré. Toutefois, ni au Chili, ni en Argentine il n'y a eu de dévaluation du taux de change suite à la crise du Mexique. En effet, l'augmentation des taux d'intérêt est un élément fondamental dans ces pays pour défendre la stratégie de leur taux de change dans les mois qui ont suivi la crise du Mexique. Entre 1992 et 1998, l'Argentine a enregistré le taux d'intérêt nominal le plus bas et entre 1996 et 1998 le moins volatil. Quant au taux chilien, il diminue progressivement dans le temps tout en maintenant le même degré de volatilité. Les données mexicaines montrent qu'aussi bien les taux d'intérêt que le degré de volatilité sont élevés, en particulier après la dévaluation de 1994. Pendant la crise du Mexique, les taux d'intérêt nominaux étaient plus volatils que les taux du Chili. Avec le regain de confiance des marchés financiers en Argentine, la volatilité est devenue plus faible. La crise asiatique a aussi eu des répercussions sur les pays d’Amérique Latine. En effet après la crise asiatique, les taux d'intérêt au Chili sont devenus plus volatils, alors qu'en Argentine, ils n'ont pas enregistré d'importants changements. Les déviations du taux d'intérêt national par rapport au taux d'intérêt international semble être tributaire de l'existence des restrictions sur les entrées de capitaux. En effet, avec la mobilité des capitaux, il est possible d'anticiper une convergence du différentiel du taux d'intérêt à un niveau d'équilibre fixé par les considérations du pays. Dans ce contexte, Edwards a effectué un test ADF pour les différentiels du taux d'intérêt pour l'Argentine, le Chili et le Mexique. Il apparaît que les pays où les capitaux sont mobiles, les différentiels convergent plus rapidement. Toutefois, les résultats obtenus sur la convergence du différentiel du taux d'intérêt au Chili doivent être interprétés avec prudence. Deux limites ont été retenues : (i) pendant la période d'analyse, la prime de risque du Chili a subi plusieurs changements ; et (ii) il est possible que la dynamique des différentiels du taux d'intérêt ne change pas exactement au moment de l'imposition des restrictions.

En 2000, Edwards a conclu à travers ses travaux que la politique des réserves non rémunérées conduit temporairement à une augmentation des taux d'intérêt réels indexés. Cela a deux conséquences : d'une part, les réserves obligatoires non rémunérées permettent (au moins à court terme) aux autorités monétaires de cibler les taux d'intérêt, sans générer de cercle vicieux des taux élevés, des entrées de capitaux et de stérilisation. D’autre part, cela implique que la conséquence des réserves obligatoires non rémunérées est une augmentation du prix de capital.

Les estimations au niveau du Chili indiquent qu'après les contrôles sur les entrées de capitaux, le différentiel du taux d'intérêt tend à disparaître plus lentement que pendant les périodes de libre mobilité des capitaux.

Pour générer des différentiels d’intérêt de cette ampleur, les taux d’impôt ne sont pas inférieurs à 84 % pour un an et 59 % en deux ans. Ces chiffres peuvent paraître extrêmes, mais ils sont en effet en concordance avec les taux d’impôt imposés dans les pays qui ont réussi à maîtriser les entrées de capitaux.

Les différents économistes ont conclu que pour que ce type de politiques réussisse à maîtriser les entrées de capitaux, il faut imposer des taux d’impôts très élevés sur les emprunts étrangers, et par conséquent endosser les charges élevées des taux d’intérêt réels domestiques.

Plusieurs pays ont eu recours à ce type de contrôle de capitaux dont la durée est supérieure à celle du choc du taux d’intérêt mondial, évidemment à cause de l’inquiétude d’une massive entrée des capitaux en cas de suppression prématurée des contrôles. Ceci est certainement plus coûteux puisqu’il est à l’origine d’une augmentation du taux d’intérêt réel domestique, une fois les chocs temporaires éliminés compensant ainsi les bénéfices associés aux chocs réguliers. Les avantages de bien être de la taxe sur les entrées de capitaux disparaissent environ après deux fois plus de temps que la durée du choc sur le taux d’intérêt réel mondial.

Comme le montrent le graphique III.5, en Malaisie par exemple, avant 1991, l’écart entre les taux d’intérêt s’est fortement réduit, mais à partir de cette date, le taux malais a augmenté et a dépassé les taux d’intérêt internationaux. De même pour l’Indonésie puisque avant 1997, l’écart fluctuait entre 0 et 15 points et après cettedate, il y a une différence de plus de 70 points entre le taux d’intérêt en Indonésie et les taux d’intérêt internationaux.

Graphique III.5 : Ecart du taux d'intérêt trimestriel
Graphique III.5 : Ecart du taux d'intérêt trimestriel

Source : calcul de l’auteur à partir des données du FMI (2000)

Les mesures restrictives sur les entrées de capitaux ont pour objectif de protéger les marchés émergents contre les flux de capitaux jugés excessivement volatils. Leur nécessité s'est de plus en plus ressentie pendant les années quatre-vingt-dix en particulier avec l'accroissement des crises de change liées aux entrées de capitaux dans les pays émergents. Pouvant conduire, entre autres, à une surchauffe de l’économie et à une appréciation du taux de change réel, les entrées de capitaux nécessitent d’être freinées pour que les pays puissent atténuer leurs conséquences. Plusieurs moyens et mesures de contrôle peuvent être utilisés, telles que les opérations d’open-market etles opérations de stérilisation. Ces restrictions peuvent aussi prendre la forme de taxe comme le cas des réserves obligatoires non rémunérées appliquées par le Chili.

Ces mesures adoptées par les pays d’Amérique Latine et d’Asie du Sud Est montrent que :

  • la taxe appliquée par le Chili s’est montrée plus efficace que les opérations de stérilisation adoptées par la majorité des pays ;
  • les contrôles de capitaux peuvent affecter à la fois la maturité et le volume des entrées de capitaux. Toutefois, il est beaucoup plus fréquent que seule la maturité des entrées de capitaux est touchée et se manifeste par une diminution des entrées à court-terme ;
  • les contrôles de capitaux pour se montrer efficaces, même temporairement, doivent être accompagnés par des réformes structurelles permettant de réduire considérablement la vulnérabilité des économies émergentes aux crises ;
  • les contrôles de capitaux se montrent d’autant plus efficaces que la taxe assujettie aux entrées de capitaux est élevée  (cas du Chili) ;
  • la majorité des travaux portant sur l’efficacité des mesures de contrôles des capitaux ont conclu que les contrôles de capitaux peuvent se montrer efficaces à court terme. En revanche, à long terme, ce système de contrôle génère des coûts dans la mesure où l'aspect temporaire de ces contrôles risque de devenir permanent. Dès lors, au lieu de favoriser une réforme des politiques inadaptées à ces entrées de capitaux, il les perpétue.

Ces éléments montrent finalement que les contrôles sur les entrées de capitaux n'apportent pas la solution qui permet de stabiliser durablement le système financier international. Les pays émergents concernés essaient d'orienter leurs recherches vers d'autres solutions qui peuvent éventuellement résider dans les conditions de conduite de la politique monétaire, puisqu’en plus de freiner les entrées de capitaux, à travers les contrôles de capitaux, les autorités monétaires cherchent à accorder plus d’indépendance à leur politique monétaire.