I.2.1- L’effet de la monnaie sur la stabilité des prix

L'ancrage monétaire se concentre sur le contrôle de l'inflation et comprend trois éléments clés :

  1. la transmission par les agrégats monétaires d’informations concernant l’évolution future des prix ;
  2. l’annonce publique du ciblage par les agrégats monétaires pour guider les prévisions inflationnistes des agents privés ;
  3. la mise en place des mécanismes empêchant les déviations systématiques du ciblage monétaire.

Cet ancrage suppose que la politique monétaire n'est pas dictée par des considérations budgétaires (absence de dominance budgétaire) et que le taux de change est flexible. Cela peut éventuellement empêcher les chocs, aussi bien endogènes qu'exogènes, susceptibles d'entraîner une hausse permanente de l'inflation, ce qui va dans le sens d'une stabilité à long terme.

Une condition fondamentale à cette stratégie d'ancrage repose sur l'existence d'une relation forte et stable entre l'objectif final (l'inflation) et l'agrégat cible. Comme M2 est censé représenter l’encaisse de transactions, alors le lien avec les prix et leur stabilité est vite établi. Si cette relation est amenée à faiblir, le ciblage par agrégat monétaire ne sera pas efficace. Le problème de ce lien se pose dans les pays d'Amérique Latine, comme dans les pays développés, dans la mesure où le nouvel environnement de la faible inflation et l'augmentation de l'intégration financière ne favorisent pas forcément la relation durable ou stable entre l'inflation et les agrégats monétaires. De même, les innovations financières et l'instabilité de la fonction de demande de monnaie posent problème. Cette instabilité peut ne pas donner le résultat escompté en matière d'inflation en utilisant un ancrage par les agrégats monétaires.

En effet, le comportement de la vitesse de circulation de la monnaie peut être très difficile à prévoir dans une période de transition d’une inflation élevée à une inflation faible. Ce phénomène est particulièrement important dans les pays à tradition inflationniste où la distinction entre monnaies et quasi-monnaies est assez brouillée. De plus, les périodes prolongées de forte inflation conduisent à un degré élevé de dollarisation de l’économie. Dans de telles situations, l’offre de monnaie correspondante risque d'inclure des avoirs et des dépôts en devise. Dès lors, une réduction des composantes domestiques de l’offre de monnaie peut avoir un léger effet sur la liquidité totale, et par conséquent sur l’inflation. Par ailleurs, une faible relation entre inflation et agrégat monétaire risque de diminuer la transparence de la banque centrale vis à vis du public. Cela va davantage compliquer la communication entre la banque centrale, le public et les marchés et par voie de conséquence affaiblir la crédibilité de la politique monétaire.

Afin de mieux comprendre comment se matérialise le besoin de ciblage par l'agrégat monétaire, il est important de voir l'évolution du ratio M2/PIB. En tant que stock monétaire, M2 désigne une variable intermédiaire de contrôle considérée comme indicateur d’inflation. Ce stock de monnaie est déterminé par l’ensemble du système bancaire et est exprimé en fonction de la base monétaire, elle même contrôlable par la banque centrale. La facilité de contrôler M2 permet donc de maîtriser l’inflation. Si on choisit d’étudier l’évolution du ratio M2/PIB, c’est parce qu’il permet en effet de mesurer le degré de monétisation du PIB par la monnaie en circulation. Plus ce ratio est en baisse, plus le taux de monétisation est faible et moins le pays est développée. D’autant plus qu’il nous permet par la suite de déterminer la vitesse de circulation de la monnaie. (Graphiques IV.3 a et b).

Graphique IV.3 : Evolution du ratio M2/PIB
Graphique IV.3 : Evolution du ratio M2/PIB

Pour le graphique IV3 a , l'axe des ordonnées de droite correspond à l'Indonésie et aux Philippines, alors que l'axe de gauche correspond à la Corée, la Thaïlande et la Malaisie.
Source : Données statistiques de la Banque Mondiale (2001)

Ce graphique montre qu’entre les pays d’Asie du Sud Est et les pays d'Amérique Latine, ces derniers ont en moyenne des ratios plus faibles, ce qui témoigne d'un besoin moins prononcé pour l'ancrage par agrégat de monnaie que les pays asiatiques, à l'exception du Brésil, entre 1990 et 1994. Hormis le Brésil, tous les autres pays ont enregistré un accroissement du ratio M2/PIB à cette période. Cette augmentation a été plus prononcée dans les pays d’Asie du Sud Est que dans les pays d’Amérique Latine. En Philippines, ce ratio est passé de 25 % en 1988 à 46 % en 1995, et en Thaïlande de 54 % en 1985 à 74 % en 1995. Plus la courbe est élevée, plus le taux de financement du PIB par M2 est fort et plus M2 est important, et donc il y a plus d’approfondissement financier. Le calcul de la vitesse de circulation confirme ce résultat.

La vitesse de circulation de la monnaie, calculée comme étant l'inverse du ratio (M2/PIB), peut nous renseigner sur l'inflation. Puisque la première est étroitement liée à la seconde. En effet, l'inflation s'explique dans plusieurs cas par un excès de liquidité, c'est à dire que la monnaie en circulation est beaucoup plus importante que les biens échangés dans cette économie. Par référence à la Théorie Quantitative de la Monnaie (TQM), notamment dans sa version de Pigou avec les hypothèses traditionnelles (constance de la vitesse de circulation), une augmentation de la monnaie en circulation entraîne un accroissement de la demande en biens et services, si cette demande ne s'accompagne pas par une hausse de la production alors les prix grimpent 82 . Dès lors, une augmentation de la vitesse de monnaie en circulation, signifie que la monnaie déjà existante a servi à plusieurs transactions, ce qui a tendance à augmenter les pressions inflationnistes dans une économie.

Tableau IV.2 : La vitesse de circulation de la monnaie
1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999
Argentine 8,71 9,47 7,30 5,20 4,81 4,96 4,41 3,78 3,48 3,17
Brésil 3,96 2,82 1,75 1,27 2,40 3,36 3,62 3,40 3,21 3,19
Chili 2,50 2,55 2,60 2,49 2,67 2,56 2,34 2,25 2,18 1,94
Mexique 4,61 3,98 3,81 3,69 3,50 3,43 3,77 3,54 3,58 3,85
Corée 2,60 2,58 2,55 2,47 2,43 2,45 2,35 2,28 1,72 1,47
Indonésie 2,49 2,51 2,37 2,30 2,23 2,09 1,92 1,80 1,74 1,75
Malaisie 1,55 1,51 1,38 1,24 1,25 1,18 1,08 1,02 1,05 0,95
Philippines 2,94 2,90 2,76 2,35 2,12 1,93 1,80 1,61 1,65 1,57
Thaïlande 1,43 1,37 1,34 1,26 1,28 1,26 1,24 1,09 0,97 0,94

Source : Calcul de l’auteur à partir des données de la Banque mondiale (2001)

D'après ce tableau, la Thaïlande est le pays qui a enregistré à la fin des années quatre-vingt-dix, la vitesse de circulation la plus faible. Ce qui implique une inflation plus faible et une meilleure stabilité des prix. Les pays d'Amérique Latine sont caractérisés par une vitesse de circulation plus élevée que celle des pays d'Asie du Sud Est. La plus marquante a été observée en Argentine en 1991. Dans ce contexte, il est à noter qu'aucune banque centrale en Amérique Latine n'a vraiment pratiqué explicitement le ciblage monétaire. Dans le cadre de leur expérience en matière de faible inflation et de taux de change flexible, la politique monétaire a certes assuré la circulation de l'information véhiculée par les agrégats monétaires, mais l'annonce et le respect de la cible ont rarement été réunis simultanément.

Notes
82.

Cette relation a été bien illustrée par I. Fisher où la masse monétaire multipliée par la vitesse de circulation de la monnaie doit être égale à la quantité de production multipliée par le prix.