I.2.2- Les limites de l’ancrage par un agrégat de monnaie

Traditionnellement une grande partie des banques centrales dans la région d'Amérique Latine utilise des agrégats monétaires pour la conduite de leur politique monétaire. Cette conduite a toujours été adoptée et dans toutes les circonstances : dans les périodes d'inflation élevée ; dans les périodes de faible inflation et indépendance élevée de la banque centrale ; dans les périodes où le taux de change est fixe et lorsqu’il est capable de flotter plus ou moins librement ; et dans les périodes de stabilisation, aussi bien celles qui ont réussi que celles qui ont échoué. Cependant, le fait que les agrégats monétaires ont joué un rôle important dans la conduite de la politique monétaire des pays d’Amérique Latine ne signifie pas que les banques centrales ont adopté délibérément une stratégie d’ancrage monétaire de ce type.

En effet, mettre en application de manière explicite un ciblage des agrégats monétaires présente principalement deux limites :

L'agrégat de monnaie a été longtemps considéré par les autorités monétaires dans le cadre de la TQM comme indicateur de la stabilité des prix, dans la mesure où il existe un lien stable entre la masse monétaire et le PIB nominal. Dès lors, les agents non financiers expriment une demande nationale de la monnaie en fonction de leur revenu permanent 83 , et toute augmentation de demande de monnaie qui n'est pas associée à une révision à la hausse du revenu permanent est intégralement dépensée, entraînant ainsi des tensions inflationnistes. Ces tensions se traduisent par la variation des prix des biens et des services.

Sans innovations financières, ce schéma serait encore à l'image de la relation que l'on peut établir entre la masse monétaire et la stabilité des prix. Or, à mesure que la libéralisation financière s'accroît et que les innovations financières l'accompagnent, il devient plus difficile aux autorités de mesurer effectivement la quantité de monnaie en circulation dans l'économie. Dans ce contexte, la difficulté première qui agit sur la relation entre agrégat de monnaie et stabilité des prix consiste à définir correctement l'agrégat de monnaie. En effet, les prix des actifs financiers fournissent des indications utiles sur les anticipations des marchés, relatives à l'orientation de la politique monétaire et aux conditions macro-économiques. Ces actifs sont en perpétuelle évolution et ne figurent pas systématiquement dans l'agrégat monétaire retenu. Il devient alors de plus en plus difficile à cet agrégat de nous renseigner efficacement sur le niveau de l'inflation.

Généralement, il est recommandé en cas de ciblage par agrégat monétaire de définir l'agrégat le plus large comme étant la cible à suivre. Or plus les agrégats sont larges, plus leur contrôle par l'instrument des taux, principal instrument préconisé par la banque centrale, est fragile. Cette fragilité est attribuée au fait que l'agrégat objectif comprend une grande part d'actifs rémunérés au taux de marché.

Par ailleurs, il est important de noter, que le ciblage par agrégat monétaire présente aussi la difficulté d'être compris par le public, ce qui affecte considérablement sa crédibilité vis à vis du public.

N'arrivant pas à atteindre les résultats escomptés et sous les pressions des marchés, une majorité des pays émergents a décidé d'abandonner ces politiques d'ancrage du taux de change et d'agrégat monétaire.

En effet, l'ancrage par le taux de change a commencé à perdre sa crédibilité. Un grand nombre de pays trouvent que l'utilisation d'un tel ancrage présente de sérieux problèmes pendant la phase de réduction de l'inflation. Mais si cette alternative a réussi à faire baisser l'inflation, cela a été fait au détriment de la compétitivité. Par ailleurs, avec un ancrage par le taux de change, on risque de perdre en vue l'objectif principal de stabilité des prix en se préoccupant davantage du choix du régime de change qui devient de plus en plus problématique avec une mobilité accrue des mouvements de capitaux. Alors que certains pays répondent à cela par une politique de caisse d'émissions ou de dollarisation, d'autres pensent qu'il est préférable d'augmenter la flexibilité du taux de change.

Les crises ayant touché certains pays émergents les conduit à réfléchir à ce type d'ancrage qui était mis en application au moment des crises. Pour le Mexique par exemple, suite à la crise de balance de paiements qu'il a connu à la fin de l’année 1994, il a été contraint à laisser flotter sa monnaie. Le Brésil de son côté a abandonné en 1999, le crawling pegpour un ciblage d'inflation. Depuis le real fluctue librement, mais a toutefois perdu environ 40 % de sa valeur par rapport au dollar. Le Chili, afin de préserver ses réserves de change a décidé d'abandonner depuis septembre 1999 son système de bande de change. L’Argentine a été ainsi le dernier pays de la région ayant un système d’ancrage nominal strict au dollar. En 2002, le Brésil, le Chili, et le Mexique ont préféré abandonner leur ciblage du taux de change.

L'abandon de l'ancrage par le taux de change conduit à la nécessité d'adoption d'un nouvel ancrage. Dans un premier temps la réponse la plus naturelle serait un ancrage par les agrégats monétaires, et ce compte tenu de l'expérience des différents pays en matière d'ancrage. Généralement, en parlant d'ancrage nominal, les deux éventualités qui s'offrent sont soit le taux de change, soit les agrégats monétaires. Toutefois, il s'avère que ce deuxième choix présente encore plus de difficultés que le premier. En effet, outre la difficulté de mise en place de cet ancrage et sa perception par le public, la relation entre les agrégats monétaires et l'objectif de la stabilité des prix établie à travers la vitesse de circulation de la monnaie, reste incertaine et sujette à plusieurs critiques. Par ailleurs, la banque centrale peut aussi rencontrer une autre difficulté en adoptant comme cible l'agrégat monétaire, qui se situe au niveau de la définition de cet agrégat. En effet, la banque centrale doit être attentive aux innovations qui portent sur les produits financiers et se tenir prête, en cas de changements importants dans la structure de ces produits, à modifier la définition des agrégats monétaires larges et étroits. Généralement, l'agrégat retenu doit d'une part, avoir une fonction stable de demande à long terme qui soit en mesure d'exprimer quantitativement la relation entre la monnaie et le prix tout en tenant compte des autres variables ayant une influence sur la demande de monnaie. D'autre part, il doit être en mesure de fournir sur un horizon de 12 à 24 mois des indications fiables sur l'inflation future, dans la mesure où les mesures de politique monétaire ne se répercutent sur l'inflation qu'après un délai considérable. Toutefois, la fonction de demande de monnaie est sensible aux innovations financières. En effet, l'évolution des prix des différents produits financiers peut être révélatrice de tensions inflationnistes non encore manifestes à travers les indicateurs usuels.

L'alternative à l'ancrage nominal est alors le ciblage d'inflation. Dans cet esprit, la cible d’inflation (adoptée par plusieurs pays industrialisés) semble attirer le plus d’attention. La politique monétaire se caractérise par l’annonce des objectifs du taux d’inflation à un niveau faible, une périodicité de prévision d’inflation de moyen terme, et un ajustement systématique des instruments de la politique monétaire dans le but de maintenir le taux d’inflation au même niveau que l’objectif d’inflation annoncé. Le ciblage d'inflation fera l'objet de la section suivante.

Notes
83.

Le revenu permanent est défini comme la somme actualisées des anticipations de revenus futurs des agents non financiers.